L'enseignement élémentaire et secondaire aux U.S.A.

Jacques Dufresne
À son colloque sur la santé, en juin 1976, la revue Critère avait invité A.L. Cochrane, expert en évaluation des services de santé. En nous quittant, ce médecin statisticien, qui venait de malmener ses confrères, nous a aimablement fait remarquer qu'en matière d'auto-évaluation les médecins étaient tout de même beaucoup plus avancés que les éducateurs.

    Dans une colonne, A.L. Cochrane place les coûts des services de santé; dans une autre, les chiffres concernant la morbidité et la mortalité. Il parvient ainsi à établir pour chaque pays, chaque région, voire même chaque hôpital un rapport coût-bénéfice qui permet des comparaisons très instructives quant à l'efficacité des services offerts.

    Il fallait s'attendre à ce qu'un jour ou l'autre une méthode du même genre soit appliquée en éducation. C'est chose faite, du moins en ce qui concerne les U.S.A. Plus nous dépensons, moins nos enfants s'instruisent. C'est la conclusion que les Américains ont pu tirer d'un livre de Frank E. Ambruster paru en août dernier et intitulé How Schools Fait our Children.1

    Dans une colonne, Ambruster a placé les coûts de l'éducation (75 milliards en 76 pour le secondaire et l'élémentaire); dans une autre, il a placé les résultats obtenus chaque année à un même test. Les élèves étaient bien entendu toujours de même niveau et ils constituaient un échantillon représentatif. Le tableau suivant donne une idée assez nette des corrélations obtenues.

    Les résultats baissent à mesure que les coûts montent. Bien sûr, il faut corriger la courbe de gauche en tenant compte du taux d'inflation. La chute des résultats demeurerait toutefois inquiétante même si les coûts étaient demeurés stationnaires.

    La signification concrète de cette chute des résultats est encore plus inquiétante. À leur entrée au collège plusieurs anciens du High School ne peuvent pas comprendre des manuels conçus pour leurs homologues d'il y a dix ou quinze ans. Il y aurait aux U.S.A. dix-neuf millions d'illettrés fonctionnels, de gens qui sont incapables de lire un formulaire d'emploi et de passer des examens de permis de conduire. Un test administré récemment a montré qu'au début de leur quatrième année de High School 4.7% des adolescents étaient illettrés.

    Ces vérités amères sont confirmées de toutes parts. La City University of New York, qui était à l'avant-garde en matière de démocratie scolaire, vient de mettre le cap sur l'excellence pour sortir de ce qui ressemblait de plus en plus à un abîme de médiocrité.2 Au cours des années soixante, cette université avait supprimé ses examens d'admission. Tout détenteur d'un diplôme de l'enseignement secondaire pouvait y être admis sans formalités. Il y aura dorénavant des conditions d'admission, comme par le passé, mais ce ne sera plus les mêmes: on prendra les étudiants après une douzième année, mais on n'exigera d'eux que l'équivalent d'une huitième année, de ce qu'était une huitième année avant le commencement de la dégringolade. Taux d'inflation: 33%.

    Ambruster élimine une à une les explications les plus fréquemment données. Le manque d'argent! Allons donc, dit-il, c'est dans certains quartiers pauvres que les résultats sont les meilleurs. Ils ont par contre baissé même dans les quartiers où chaque enfant dispose d'une encyclopédie à domicile. Quand on lui fait remarquer que les enfants ont sans doute fait des progrès dans le domaine des choses non-mesurables, Ambruster rétorque: pourquoi faudrait-il déduire qu'ils sont forts dans le non-mesurable de ce qu'ils sont faibles dans le mesurable?

    Ambruster s'en prend ensuite à tous ceux qui veulent former la personnalité totale de l'enfant, qui rêvent de lui apprendre à penser à un âge où il conviendrait mieux de lui apprendre à lire et à compter. Penser! A-t-on idée de poursuivre un pareil objectif! Pour les engager, exige-t-on des enseignants de l'élémentaire et du secondaire qu'ils sachent penser? Qu'est-ce d'ailleurs que penser?

    Les professeurs en mal d'innovation, poursuit-il, songent plus à répondre à leurs propres questions qu'à satisfaire les besoins réels de l'enfant. Il cite à ce propos l'aveu de Max Beeberman, l'un de ceux qui ont proposé les mathématiques nouvelles:

    Dans certains cas nous avons tenté de répondre à des questions que les enfants ne se posent jamais et de dissiper des doutes qu'ils n'ont jamais eus, mais en fait nous avons répondu à nos propres questions et dissipé nos propres doutes d'adultes et de professeurs.

    En conclusion, Ambruster incite ses concitoyens à se lancer dans une croisade pour ramener l'école à ce qu'elle était «20 years and three quarters of a trillion tax dollars ago». En août dernier, le New York Times consacrait une page couverture et un cahier complet de son magazine à cette croisade.

    Mais 1957, c'est aussi «20 years of T.V. and affluence ago». Les mêmes remèdes pourront-ils avoir les mêmes effets? On remarque que la courbe de l'inflation scolaire est très semblable à la courbe de l'inflation économique. Était-ce le cas dans les années quarante? Y avait-il à cette époque des milliers et des milliers d'enseignants dont le premier objectif était «d'apprendre aux jeunes à survivre dans un monde de pollution et de guerre... ?» Le doute sur les valeurs dites de civilisation avait-il atteint une acuité telle qu'on ne voyait plus de raisons de remplacer l'anglais des slums par celui de la classe moyenne?

    On peut également se demander si le tissu social américain est encore propice aux croisades. De toute évidence, la prise en charge proposée par Ambruster suppose des collectivités à la fois homogènes et à échelle humaine. De telles collectivités existent-elles encore? Dans la mesure où elles existent partagent-elles la philosophie de Mr Ambruster?

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