Biographie de Donatello

Charles Perkins
Texte publié en 1868 dans la Gazette des beaux-arts.
DONATELLO ET BRUNELLESCHI
LE TOMBEAU DE JEAN XXIII
LE TOMBEAU D'ARAGAZZI À MONTEPULCIANO
LA MADELEINE ET LE SAINT JEAN DU BAPTISTÈRE DE FLORENCE
LE ZUCCONE
LE DAVID DE BRONZE
OUVRAGES PERDUS
LA STATUE ÉQUESTRE DE GATTAMELATA
LES BRONZES DE SAINT-ANTOINE DE PADOUE
MODÈNE ET FERRARE
LES DERNIÈRES ANNÉES
DONATELLO, LE PLUS GRAND SCULPTEUR CHRÉTIEN


Donatello est, sans contredit, le plus grand des sculpteurs toscans qui précèdent Michel-Ange, et s'il est loin d'égaler la vigueur et la puissance de conception de ce dernier, il lui est de beaucoup supérieur au point de vue de la délicatesse du travail, de la vérité des détails, de l'expression du caractère et de l'habileté d'exécution, soit dans le maniement du bronze, soit dans celui du marbre. Le fils de Niccolo di Betto Bardi naquit à Florence en 1386, et fut baptisé sous le nom de Donato. Dans sa première jeunesse, il étudia, dit-on, sous le peintre Bicci di Lorenzo qui, d'après des documents récemment découverts, était aussi sculpteur; mais ce fait, quoique présentant un certain intérêt historique, n'explique nullement le talent précoce de Donatello, qu'il devait tout entier à lui-même, comme tant d'autres grands maîtres, car Bicci ne fait pas plus pressentir Donato que Cimabuë n'annonce Giotto, que Verocchio, Léonard de Vinci, ou Ghirlandajo, Michel-Ange.

Donatello n'avait, dit-on, que seize ans lorsque les juges qui présidaient le concours pour la porte du Baptistère lui demandèrent son opinion sur les projets présentés. Si l'anecdote est vraie, elle montre quelle estime on faisait déjà de son jugement dans les questions d'art. Nous savons qu'il ne fut pas lui-même au nombre des concurrents, bien que Vasari l'affirme positivement; mais il ne faut jamais oublier, quand on consulte cet auteur, qu'il est tour à tour historien, conteur et improvisateur.

Dès son enfance, Donato vécut chez un riche banquier florentin, Ruberto Martelli, qui non seulement-lui donna une demeure et lui fournit le moyen d'étudier, mais encore qui lui fut, pendant toute sa vie, un ami fidèle, et, dans son testament, enjoignit à ses héritiers de ne jamais engager, vendre ou donner aucun des ouvrages de Donatello.

Donatello et Brunelleschi
Avec la protection d'un patron riche et bienveillant, Donatello put se livrer à ses études sans se préoccuper de ses besoins matériels, ce qui ne l'empêcha pas de consacrer toute son énergie à ses travaux, et de recevoir d'ailleurs les franches et' courageuses critiques de son ami Brunelleschi, dont il appréciait pleinement la valeur, ainsi que le montre l'histoire de son crucifix. Consulté par Donatello, Brunelleschi répondit que le Christ ressemblait à un paysan; le jeune sculpteur, quelque peu mortifié, répliqua qu'il était beaucoup plus facile de critiquer que de bien faire. Dédaignant de répondre, Brunelleschi se retira et modela un crucifix plus en harmonie avec son idéal, et un matin, ayant d'aventure rencontré Donatello dans la rue, il l'invita à venir déjeuner dans son atelier. Ils s'y rendaient ensemble, quand Brunelleschi, feignant d'être obligé de s'absenter un moment, pria son ami de le précéder et d'emporter la provision d'œufs, de fromage et de fruits qu'il venait d'acheter au marché. Sans être observé, il suivit Donatello jusqu'à la porte de l'atelier; là il le vit, aussitôt qu'il eut aperçu le crucifix, laisser tomber de son tablier toutes les provisions qu'il contenait, en s'écriant, dans un transport d'admiration:
A côté de ce Christ, le mien n'est vraiment qu'un paysan crucifié!

Peu de temps après le concours, les deux amis se rendirent à Rome; là, Brunelleschi, transporté d'admiration à l'aspect de ces ruines grandioses qu'il contemplait, pour la première fois, renonça, presque à la nourriture et, au repos, afin d'avoir plus de temps à donner à l'étude; déjà préoccupé de- l'idée de couronner la cathédrale de sa ville natale d'une coupole digne de ce noble édifice, il s'adonna surtout à l'étude du dôme du Panthéon, selon lui le modèle le plus fécond en enseignements. Donatello, de son côté, étudiait et dessinait, tous les morceaux de sculpture antique qu'il, rencontrait, et, aidé de Brunelleschi, il exhumait de nombreux débris de corniches, de chapiteaux et de bas-reliefs;- si bien qu'un jour ils déterrèrent un vase plein de médailles, ce qui, dès lors, les fit souvent désigner dans les rues comme étant des chercheurs de trésors. Nous trouvons une preuve de leur enthousiasme pour les œuvres d'art dans le voyage de Cortone que Brunelleschi entreprit pour aller visiter un des sarcophages du Dôme; dont Donatello lui avait fait une, description animée.

Après deux ou trois ans de séjour à Rome, Donatello retourna à Florence, où-il commença sa carrière de sculpteur, sans toutefois donner dans, ses premières productions de marques spéciales des études auxquelles il s'était livré et sans indiquer aucune grande individualité. Nouvel exemple qui nous montre combien souvent l'idée sommeille pendant de longues, années dans le cerveau de l'homme de génie; comment elle inspire tout à coup des œuvres qui, bien qu'en apparence sans aucun rapport avec le présent, se déduisent logiquement du passé: travail de l'intelligence presque identique à celui de la nature: le germe est confié à la terre, il semble mort, mais il se développe et soudain produit de tendres feuilles, de fraîches fleurs, des fruits mûrs.

L'alto relievo représentant l'Annonciation dans la chapelle Cavalcante à Santa Croce, et les statues de saint Pierre et,de saint Marc, à Or SanMichele, ont probablement été exécutés par Donatello dans les cinq ou six années qui suivirent son retour de Rome. Elles n'offrent aucune qualité saillante et n'appellent ni l'éloge ni le blâme, justifiant l'éloge négatif que Michel-Ange a fait du saint Marc: «Qui donc pourrait se refuser à ajouter foi à l'Évangile prêché par un homme qui respire si bien l'honnêteté? » Mais qui songera à s'arrêter devant le saint Marc de Donatello, quand, dans une niche voisine du même édifice; il peut voir le saint Georges, qui passe, à bon droit, pour la plus belle personnification du héros chrétien que jamais statuaire ait sculptée dans le marbre? Une main appuyée sur un bouclier reposant à terre, l'autre tombant le long du corps, la tête levée, le regard perçant, il semble prêt à attaquer un ennemi mortel. Tout montre en lui cette froide résolution qui assure la victoire: son corps tout entier et même la légère compression de sa main droite indiquent la pensée dominante. Dans le soubassement de la magnifique niche gothique où il est placé, un bas-relief plein de mouvement, et composé admirablement, représente le saint terrassant le dragon; mais malheureusement il a beaucoup souffert des injures du temps.

Le tombeau de Jean XXIII
Nous arrivons maintenant à une série de travaux importants, dans l'exécution desquels Donatello fut secondé par le Florentin Michelozzo Michelozzi, tout à la fois architecte et sculpteur. Ce sont les tombeaux du cardinal Brancacci, de Bartolomeo Aragazzi, et du pape Jean XXIII. Le dernier, indépendamment de son mérite comme œuvre d'art, offre ce double intérêt, qu'il rappelle le grand schisme de l'Église, et qu'il est le dernier tombeau papal que l'on rencontre hors de Rome. Peu d'existences ont été aussi agitées que celle de ce pape; né à Naples, Balthazar Cossa, dans sa jeunesse, fut tour à tour célèbre comme homme de lettres, comme orateur, comme poète et comme soldat. Alors qu'il était légat à Bologne, sous les papes Grégoire XII et Alexandre V, il chercha, par une suite de manœuvres perfides, à soumettre les villes de la Romagne, et se rendit tellement impopulaire que les Bolonais se soulevèrent aussitôt après son élection, s'emparérent de la forteresse où il avait mis garnison et, la rasant, refusèrent de traiter avec lui, à moins qu'il ne reconnût les droits municipaux qu'ils venaient de reconquérir., À cette époque, deux autres papes prétendaient au titre de successeurs légitimes de saint Pierre Grégoire XII qui, soutenu par le roi de Naples Ladislas, alors maître de Rome, s'était réfugié à Naples, et Benoît XIII qui, reconnu par la France et par l'Espagne, vivait à Avignon. Mais Grégoire et Benoît, déposés par le concile œcuménique de Pise, refusant de se soumettre à cette décision, les puissances chrétiennes forcèrent le pape Jean de convoquer à Constance un nouveau concile pour mettre fin à un schisme aussi scandaleux. Pour se concerter avec l'empereur Sigismond sur les arrangements préliminaires, Jean se rendit à Crémone, où il échappa à une mort presque certaine, car le seigneur de. la ville, Gabiiolo Fondolo, confessa plus tard que, se trouvant avec le pape et l'empereur sur la plate-forme du clocher de Crémone, il avait eu la pensée de les précipiter tous deux du haut en bas, pour occasionner dans la chrétienté une révolution inattendue dont il aurait pu profiter. Ayant échappé à ce danger, le pape Jean continua sa route pour se rendre au concile; il fut accusé de crimes, sous soixante-neuf chefs différents, fut déposé, et enfermé à Heidelberg par ordre du nouvel élu, le pape Martin V. Ayant enfin reconnu la validité de l'élection du nouveau pontife et imploré son pardon à genoux, Jean obtint sa grâce et fut nommé cardinal quelques mois avant sa mort, qui eut lieu à Florence en 1419. L'inscription placée sur sa tombe, qui le qualifiait de quondam papa, porta ombrage à Martin V, qui voulut la 'faire enlever; mais le principal magistrat s'y refusa, en disant: Quod scripsi, scripsi '. Le tombeau nous présente l'effigie d'après nature, et certainement non flattée, du défunt, étendu sur une couche de bronze doré, au-dessous d'une lunette où se trouve un bas-relief de la Madone et de l'enfant Jésus, avec des anges. Les statuettes de l'Espérance et de la Charité, dans les niches sur la partie antérieure du soubassement, sont de Donatello,; celle de la Foi est de Michelozzo.

Nos deux sculpteurs travaillaient encore à, ce tombeau quand ils commencèrent celui du cardinal Brancacci. Compatriote et chaud partisan du pape Jean, il l'avait couronné à Bologne, et l'avait servi comme vicaire et comme légat à Naples. Longtemps avant sa mort (il mourut à Rome dans un âge avancé), il fonda, à Naples, l'hôpital et l'église de San-Angelo à Nilo, dans laquelle il fut enseveli. Son tombeau est placé dans un retrait voûté; du sommet tombe un lourd rideau que soulèvent deux génies en pleurs, qui contemplent tristement le cardinal, étendu sur un sarcophage soutenu par trois figures de femmes. Sur la face antérieure, un relief représentant la Madone assise sur un trône et entourée d'anges appartient à ce genre délicat de relief appelé stiacciato, qui, faisant à peine saillie, arrive à -modeler par des gradations presque insensibles et semble plutôt dessiné sur le marbre que sculpté. Donatello surpassa, dans ce genre de travail, tous les sculpteurs. Ses illustres contemporains, les médaillistes Pisanello, Matteo di Pasta et Sperandio, firent l'usage le plus habile de ce procédé, mais ils ne l'employèrent jamais pour des têtes de grandeur naturelle.

Au point de vue de la grandeur et de la largeur de style, ce tombeau est unique entre tous les tombeaux italiens. Le visage sévère et fortement accusé du cardinal, les deux génies en pleurs qui, avec leurs draperies simples et classiques, rappellent les chœurs de la tragédie grecque, nous offrent la personnification la plus élevée et la plus dramatique de ce type pisan que nous avons si souvent eu l'occasion de signaler; et les trois cariatides sur lesquelles repose toute cette pompe funéraire viennent compléter cet ensemble saisissant.

Le tombeau d’Aragazzi à Montepulciano
Douze ans avant sa mort, Bartolomeo Aragazzi, le savant secrétaire du pape Martin V, chargea Donatello et Michelozzo d'exécuter, pour l'église paroissiale de Montepulciano (sa ville natale), son tombeau, auquel il consacrait -une somme de vingt-quatre mille scudi. Cette énorme dépense confirme la croyance générale que la vanité d'Aragazzi ne le cédait en rien à son talent de poète et à son savoir. Telle était aussi la pensée de Leonardi Bruni, quand il dit : « Jamais individu ayant eu la conscience de sa renommée n'a songé à s'ériger un monument à lui-même. Est-il rien, ajoute-t-il, de plus honteux que de rappeler par un monument la mémoire d'un homme dont la vie est ignorée? Cyrus ordonna que son corps fût confié à la terre, ne connaissant pas, disait-il, «de matière plus noble que celle qui produit les fleurs, les fruits, et les substances précieuses. César et Alexandre ne se préoccupèrent pas non plus de leurs propres tombeaux.» Dans cette même lettre, Bruni nous apprend que, voyageant dans le district d'Arezzo, il rencontra un jour le tombeau d'Aragazzi qu'on transportait à Montepulciano; le pesant fardeau s'était embourbé; les efforts des bœufs pantelants ne pouvaient le tirer de la fondrière. Dans son désespoir, un des charretiers, s'arrêtant pour essuyer la sueur qui inondait son front, s'abandonna à la colère en s'écriant qu'il espérait que les dieux damneraient tous les poètes passés et futurs. Intéressé, en sa qualité de littérateur, à connaître la cause de cette imprécation, Bruni lui demanda pour quel motif il haïssait les poètes. Le paysan lui répliqua qu'un vaniteux imbécile, mort récemment à Rome, avait ordonné qu'un monument de marbre, celui-là même qu'il transportait, fût érigé en son honneur dans sa ville natale, et il ajouta que c'était un poète dont il n'avait jamais entendu parler.

Ce fut en vain qu'Aragazzi se donna tant de peine pour perpétuer sa mémoire à Montepulciano, car, lors de la construction de la nouvelle église, son tombeau fut enlevé et, soit négligence, soit animosité, ainsi que le rapporte la tradition, il fut en partie détruit. Les nombreux fragments dispersés dans l'église sont d'une telle supériorité, qu'on ne saurait trop déplorer cette destruction. Aucune des sculptures de Donatello ne surpasse en beauté le bas-relief engagé entre les deux premiers piliers de la nef centrale. La Madone assise tient sur ses genoux le divin Enfant qui, souriant avec tendresse à Aragazzi, agenouillé devant lui, appuie son pied sur l'épaule de l'un des trois enfants charmants groupés aux pieds de la Vierge. Quatre figures, représentant des membres de la famille Aragazzi, entourent le trône de la Madone, derrière laquelle deux petits anges tiennent une guirlande. On retrouve dans cette-œuvre, admirable de composition, magistrale au point de vue du rendu des formes et du traitement des surfaces, ravissante par la grâce séduisante des enfants, par la douceur et la tendresse exquise du Sauveur enfant, toutes les qualités qui caractérisent le talent de Donatello. Le second relief, à peine inférieur au premier, représente Aragazzi revêtu d'un costume officiel; il s'entretient avec une femme âgée qu'il tient d'une main,, tandis qu'il donne l'autre à un des deux jeunes hommes qui accompagnent cette femme, qu'escortent aussi deux moines. L'effigie du poète, qui se voit à gauche du grand portail de l'église, pourrait bien être de Michelozzo, les surfaces planes étant beaucoup moins plates et le travail beaucoup moins réaliste que ne le sont habituellement les œuvres de Donatello. Les autres fragments de ce tombeau sont le socle, orné d'enfants portant des festons, qui fait maintenant partie d'un grand autel; deux statues de grandeur naturelle, la Force portant une colonne, et la Foi, revêtue d'un costume classique, dont le visage, rempli d'expression, manque cependant de beauté; enfin un haut-relief de grandeur naturelle, représentant Dieu le père bénissant.

On doit encore à la collaboration de Donatello et de Michelozzo le bas-relief, en bronze des fonts baptismaux du Baptistère de Sienne, qui représente le festin d'Hérode. De tous les reliefs qui ornent ces fonts baptismaux, celui-ci est certainement le plus dramatique, de même que celui de Ghiberti est le plus remarquable. Hérode recule d'horreur à la vue de la tête de, saint Jean-Baptiste, qu'un soldat agenouillé lui présente sur un plat; deux enfants, un convive qui se couvre le visage de ses mains, et deux autres personnages dont les gestes montrent l'affliction que leur fait éprouver ce spectacle, font ressortir davantage l'expression d'Hérode, et donnent à la composition une unité admirable. Derrière la table près de laquelle est assis le tyran, s'élève le mur de la prison, et, à travers les arcades ouvertes, on aperçoit le geôlier remettant à un de ses valets la tête du prisonnier.

La Madeleine et le saint Jean du baptistère de Florence
Au commencement de 1433, un artiste nommé Simone, que Vasari désigne, à tort, comme étant le frère de notre sculpteur, appela Donatello à Rome pour le consulter sur la plaque tombale du pape Martin V, qu'il avait modelée, et qu'il allait couler en bronze pour la basilique de Latran. Donatello arriva peu de temps avant le couronnement de l'empereur Sigismond, et fut engagé, avec Simone, à s'occuper de l'organisation des fêtes publiques qui furent célébrées à cette occasion avec la plus grande magnificence. Il passa probablement à Rome le reste de l'année, celle de l'exil de Cosme de Médicis, et ne retourna à Florence qu'après le retour triomphal, de son protecteur dévoué. Selon nous, ce fut pendant les quinze ou seize années qui suivirent ce retour qu'il exécuta un certain nombre d'ouvrages sans date, qui appartiennent à ses deux manières, l'une réaliste, l'autre classique. La Madeleine du Baptistère et le saint Jean des Uffizi nous offrent les exemples les plus frappants de cette manière où l'artiste, sans autrement se préoccuper de l'art en soi, a tout sacrifié au réalisme. Le visage dévasté de la Madeleine, presque voilé sous ses longs cheveux épars, ses membres décharnés, qui semblent à peine capables de supporter même un corps amaigri, nous montrent que Donatello chercha à traduire aussi fidèlement que possible l'idée qu'il se faisait d'une femme qui, pendant longtemps, réduite à la nourriture la plus grossière et la plus insuffisante, prenait à peine quelques moments d'un sommeil agité, sur le dur rocher, qui était pour elle tout ensemble un asile de pénitence et de prières. Ainsi encore lorsqu'il sculpta son saint Jean, songeant à l'effet que de longues courses errantes à travers le désert, un régime de sauterelles et de miel sauvage, l'absence de tout abri contre l'orage et la tempête, hormis un maigre vêtement de poil de chameau, produiraient sur la charpente humaine, il figura un squelette dont le visage brille d'un sombre fanatisme; dont les lèvres entr'ouvertes semblent murmurer le message prophétique qui absorbe son être tout entier. Ces œuvres ne sont ni idéales ni belles, et provoquent un certain sentiment de répulsion, mais elles ont cette valeur et cet intérêt qu'elles sont les représentations sincères et réelles des personnes dont elles donnent l'image; puis elles nous montrent que Donatello ne croyait pas que le seul but de l'art fût de plaire aux yeux, et aussi qu'il regardait les Madeleine rebondies et les saint Jean rayonnants de jeunesse et de beauté comme des images mensongères et absurdes.

Le Zuccone
Une des plus précieuses facultés de cet artiste était de savoir juger le degré de fini que réclamait une figure destinée à être vue à une distance plus ou moins considérable, et il lui arriva ce qui était arrivé à Phidias; la statue du roi David, qui, dans son atelier, paraissait complètement manquée, une fois en place excita la plus vive admiration. Cette statue, qu'on voit dans une niche au troisième étage du campanile de Florence, est connue sous le nom de Zuccone à cause de sa tête chauve. Alors que Donatello travaillait à cette statue, on l'entendit lui dire: «Parle, parle!» Il la tenait en telle estime que, dans la discussion; il se complaisait comme argument irrésistible à dire: «Alla fe che porto al mio Zuccone. ».Personne autre que le sculpteur lui-même ne sut ni juger ni «apprécier cette statue avant qu'elle ne fût placée dans la niche, qui lui était destinée; chacun des larges plis de la draperie produisit alors l'effet voulu sur les personnes qui la voyaient de la piazza. Il en est de même des bas-reliefs représentant des enfants chantant et dansant, aujourd'hui dans un étroit corridor des Uffizi, qui nous paraissent d'un travail grossier; mais si nous avions pu les voir, à leur place, sur la balustrade de l'orgue au Dôme, ils nous produiraient sans doute un effet bien plus puissant que n'eussent produit à cette même place, qui leur était aussi destinée, les reliefs sculptés par Lucca della Robbia ceux-ci-, très-terminés, étant placés au-dessous de ceux de Donatello; gagnent nécessairement beaucoup dans leur position actuelle. Cette heureuse faculté de savoir proportionner un degré de fini à la distance se manifeste dans les bas-reliefs de la chaire extérieure de la cathédrale de Prato, d'où, de temps en temps, on montre au peuple la ceinture de la Vierge. Les bandes d'enfants joyeux qui, entrelacés comme des rameaux de vigne, cheminent' en dansant et en chantant, sont d'un, effet admirable: les tailles profondes et angulaires qui accusent les personnages:du premier plan projettent des ombres transparentes sur le relief moins saillant des figures des plans postérieurs, et permettent de distinguer les contours, même à une distance considérable.

Afin de protéger cette œuvre contre les dégradations extérieures, Donatello l'exécuta de manière que même les parties les plus saillantes ne se projetassent point sur le profil de la bordure qui les encadrait. S'il réussit à vaincre cette difficulté dans le relief dont nous parlons, sans amoindrir son œuvre, il n'en fut pas de même dans le groupe en bronze de Judith et Holopherne, qui est plein de roideur et dont les extrémités ne se détachent pas assez de l'ensemble. Quoique l'air résolu de la Judith penchée au-dessus du corps de sa victime soit parfaitement en harmonie avec son caractère et avec sa mission, cette œuvre nous semble une des moins intéressantes de Donatello. Après l'expulsion de Pierre de Médicis, le groupe fut enlevé du palais Médicis et placé sur la ringhiera ou plate-forme du palazzo Vecchio, et comme avertissement aux tyrans, on y grava cette inscription: Examplum sal. pub. cives posuere, 1495.

Entre son style réaliste outré, dont la Madeleine et le saint Jean peuvent être regardés comme les types, et son style inspiré de l'antique, Donatello produisit de nombreux ouvrages, empreints sans contredit de réalisme, mais beaucoup plus agréables parce qu'ils sont moins exagérés. A cette manière appartiennent la statue et le buste de saint Jean du palais Martelli, dont le charme tient à un raffinement, à une vérité extrêmes, et à une délicatesse d'exécution combinée avec une grande individualité, qualités remarquables surtout dans le buste. Ces mêmes qualités donnent beaucoup de prix à un autre buste de saint Jean, placé dans une salle du presbytère de la chiesa della Connnenda, à Faenza; ce travail est exquis, et l'expression en est simple, vraie et très-naturelle. Dans ce buste, comme dans le profil du même saint, bas-relief en pierre de couleur foncée aux Uffizi, les cheveux sont admirablement traités, ils sortent de la tête de la façon la plus naturelle, ils tombent en boucles presque soyeuses d'une grâce parfaite. Pour la chevelure, les anciens étaient certainement sans rivaux, mais nul sculpteur ancien on moderne n'a jamais surpassé Donatello dans l'art de donner aux cheveux le naturel et la souplesse. Il est d'autres représentations de saint Jean dues à cet artiste; telles, la statue en bois clé la chapelle florentine de l'église des Frari, à Venise, et la statue en bronze de la cathédrale de Sienne, qui ni l'une ni l'autre n'offrent de qualités saillantes; et encore la statue en bois de la sacristie de Saint-Jean de Latran, dont les membres, les mains surtout, sont d'un modelé magnifique.

Le David de bronze
Nous avons parlé à plusieurs reprises de l'amitié qui existait entre Cosme de Médicis et Donatello: le prince consultait souvent notre artiste dans les achats d'art destinés à sa collection particulière; il profitait également de son talent en lui faisant restaurer les œuvres mutilées, et il le chargea de faire des copies en relief de huit de ses plus belles pierres gravées, pour orner le cortile de son palais. Il lui commanda aussi divers ouvrages originaux: l'un des plus remarquables est la gracieuse statue en bronze de David, aujourd'hui aux Uffizi, et qui, sans être une copie; offre un exemple heureux de l'influence que l'antique peut exercer sur le génie, sans pour cela l'asservir. Le corps nu, le jeune héros porte un chapeau de berger, entouré de lierre, qui projette l'ombre sur son visage; il se tient debout, un pied sur la tête de son gigantesque ennemi, une épée énorme dans sa main droite, et la main gauche appuyée sur la hanche. Le soin apporté dans toute cette œuvre est visible jusque dans le casque de Goliath, qui est orné d'un beau relief stiacciato, représentant des enfants qui traînent un char triomphal. Ce bronze est sous tous les rapports supérieur au David en marbre des Uffizi, qui nous semble faux dans la conception, gauche dans la pose et théâtral dans le sentiment. On voit dans la même galerie un délicat petit relief en bronze, représentant le triomphe de Bacchus: le dieu, étendu sur son char, qu'un petit amour pousse par derrière, tient élevé au-dessus de sa tête un petit satire; deux autres amours sont assis sur le timon, cieux traînent le char, et une douzaine de ces charmants enfants dansent et chantent en agitant leurs cymbales et en traînant des ceps chargés de grappes.

La célèbre patère en bronze, de la collection de Martelli, maintenant au Kensington Museum, est une imitation encore plus cherchée et vraiment admirable de l'antique; elle en approche de si près, comme composition et comme exécution, que plusieurs personnes ont supposé que c'était la reproduction de quelque pierre gravée antiques. Les figures à mi-corps de Silène et d'une bacchante, le masque surmonté d'un cartouche avec cette inscription: Natura fovet quos necessitas urget; la corne ou rhyton qui reçoit le lait s'échappant du sein de la femme, le thyrse et les branches de vigne, les trophées, etc., le terme à l'arrière-plan, sont des merveilles d'exécution, travaillées avec le soin le plus excessif, jusque dans les plus minutieux détails. Les damasquinures et les feuillages d'or et d'argent qui relèvent le tout font un véritable joyau de cette patère, qui est certainement une œuvre unique en son genre.

Ouvrages perdus
Les biographes de Donatello mentionnent de nombreux ouvrages qui, autrefois dans la galerie Médicis ou dans les collections florentines particulières, sont aujourd'hui à tout jamais perdus ou dispersés, sans qu'il soit possible d'en constater l'identité d'une manière certaine. À cette dernière série appartiennent un beau profil en relief d'une femme dont les traits nobles et dignes et les cheveux noués dans le goût classique, derrière la tête, peuvent nous faire supposer que c'est l'œuvre décrite par Borghini, comme ayant appartenu autrefois à Baccio Valori; et un profil de sainte Cécile dont le relief, en certains endroits, atteint à peine l'épaisseur d'une feuille de papier, et présente cependant les nuances les plus délicates, un modelé d'une habileté consommée et d'une vérité parfaite; la tête est entourée d'un diadème d'où s'échappent çà et là des boucles de cheveux si fins qu'on ne peut apercevoir le travail que par l'observation la plus attentive. Les traits ravissants, le regard baissé et la tête légèrement inclinée de la sainte, nous rappellent la description que, dans un de ses sonnets les plus exquis, Dante nous a tracée de sa chaste Béatrice :
    Ella sen va sentendosi laudare,
    Benignamente d'umiltà vestita,
    E par che sia une cosa venuta
    Di cielo in terra a miracol mostrare.
Un autre ouvrage non daté, un des plus beaux et un de ceux qui ont le plus le cachet du maître, est le Christ au sépulcre, soutenu par des anges; tels sont aussi le relief stiacciato de Jésus-Christ donnant les clefs à saint Pierre et une charmante Madone avec l'enfant Jésus tous trois appartiennent au South Kensington Museum.

Un beau bas-relief en bronze de la mise au tombeau, que nous sommes disposés à regarder comme appartenant à la période finale de la carrière de Donatello, se voit dans le musée Ambras, à Vienne. Les figures groupées autour du sarcophage ont beaucoup d'expression, mais sont quelque peu exagérées peut-être dans leur douleur. Le sarcophage, sur la partie antérieure duquel est sculpté un bas-relief du style antique, est relevé d'or.

La statue équestre de Gattamelata
Au commencement de 1444, Donatello se rendit à Padoue, où il exécuta une série de travaux importants pour la basilique de Saint-Antoine; il coula en bronze la statue équestre de Gattamelata, capitaine général des forces vénitiennes.

Immédiatement après la mort de ce célèbre condottiere, la seigneurie de Venise vota une somme de deux cent cinquante ducats pour la célébration de ses funérailles dans l'église de Saint-Antoine à Padoue, où se trouvait déjà un sarcophage destiné à recevoir les restes mortels de ce capitaine. Elle décida aussi qu'on commanderait à Donatello une statue équestre en bronze, qui serait dressée sur la place avoisinant l'église. Il se rendit donc à Padoue pour exécuter cet ordre, œuvre d'autant plus difficile pour lui qu'il s'était jusqu'alors occupé de travaux d'une nature toute différente, que problablement il n'avait jamais vu d'autre statue équestre antique que celle de Marc-Aurèle, et qu'il n'existait en Italie aucune statue équestre moderne dont les défauts ou les qualités pussent l'éclairer et le guider. Depuis Justinien jusqu'en 1233, on n'avait érigé aucune statue équestre en Italie; à cette époque, les Milanais firent exécuter un bas-relief représentant leur podestat Oldrado de Tresseno, qui le premier fit brûler des hérétiques dans leur cité. Ce relief, qu'on voit encore au dehors du palais des Archives, est, ainsi qu'on peut l'attendre d'une œuvre de cette époque, médiocre et sans vie; le podestat monte un lourd coursier, dont les membres pesants justifient parfaitement le pas solennel. Plus de quarante ans après, les habitants de Lucques élevèrent des statues équestres à deux membres d'une puissante famille guelfe, Tomnmaso et Bonifazio degli Obizzi; il n'existe aucun document qui nous permette d'en apprécier le style et la valeur. Ce n'est qu'au milieu du XIVe siècle que deux élèves de Brunelleschi, Niccolo di Giovanni Baroncelli, et Antonio di Cristoforo, furent chargés par Lionello d'Este, fils naturel du marquis Niccolo, de faire une statue équestre de son père qui, bâtard comme lui, avait, en vertu de ce droit que M. Rio appelle «le droit coutumier de son domaine », déshérité ses enfants légitimes en faveur de Lionello. Donatello coula la statue de Gattamelata à peu près à l'époque où les Baroncelli coulaient, à Ferrare, le groupe dont nous venons de parler. Le grand capitaine, montant un lourd cheval de guerre, est représenté revêtu d'une armure, la tête nue et la main droite étendue tenant le bâton de commandement. Les ornements les plus riches sont prodigués sur cette armure; la cuirasse et les cuissards cri sont couverts; la selle est décorée de figurines en haut relief; l'ornementation des genouillères et des caparaçons est aussi d'une grande richesse. L'attitude du général est à la fois' aisée et imposante; il, est solidement campé sur son cheval, nais sans roideur aucune.

Ainsi qu'on devait s'y attendre de la part d'un sculpteur qui avait étudié l'anatomie de l'homme bien plus que celle du cheval, le cavalier est de beaucoup supérieur à la monture, dont la tète, le col et le poitrail sont hors de toute proportion avec la croupe et les jambes de derrière on peut remarquer ainsi que, contrairement à la réalité, il lève les jambes du même côté, mais c'est une faute dans laquelle sont tombés bien d'autres sculpteurs que Donatello; dans les bas-reliefs du Parthénon, plusieurs chevaux reproduisent ce mouvement, qu'on trouve aussi dans les fameux chevaux de bronze de Saint-Marc, à Venise. Le mouvement d'un de ces chevaux ressemble tellement à celui du coursier de Gattamelata, qu'il nous est permis de supposer que Donatello s'en inspira afin de faire le grand modèle en bois conservé au palazzo della Ragione, à Padoue. Un critique éminent regarde ce cheval de bois comme bien supérieur au cheval de la statue de Gattamelata, et même à celui de la statue Coleoni à Venise; niais nous ferons observer que la tête est une restauration, ce qui nous prive d'un important point de comparaison avec les deux autres coursiers, et que si la tête du cheval de Gattamelata n'est pas un chef-d'œuvre, celle du cheval de Coleoni est pleine de vie et de fierté. Le piédestal très-élevé qui supporte la statue de Gattamelata est orné de deux bas-reliefs en marbre, dont la disposition présente quelques légères différences. L'un d'eux représente des génies ailés placés de chaque côté d'une tablette surmontée d'un casque ayant pour cimier un chat, emblème adopté par l'illustre guerrier dans ses armoiries.

À l'occasion de quelques jeux publics que le comte Capodilista donna à Padoue, ce modèle fut recouvert de peau, de façon à ressembler à un cheval vivant; et on plaça sur son dos un Jupiter gigantesque. Un poète contemporain, Ludovicô Lazzarelli, en fit l'éloge dans ses vers et le déclara supérieur aux œuvres de Dédale, de Phidias et de Praxitèle; éloge fort commun d'ailleurs chez les poètes de la Renaissance.

Les bronzes de Saint-Antoine de Padoue
Les bronzes que Donatello exécuta pour le grand autel de la basilique de San-Antonio seront bien plus estimés de ses admirateurs que cette statue de Gattamelata. Ceux qui représentent quelques-uns des miracles opérés par saint Antoine sont au nombre des plus remarquables: tel celui où le saint, au milieu d'une foule nombreuse qui témoigne, par une grande variété de gestes et d'expressions, son étonnement en voyant enfoui, au milieu des ducats d'un coffre-fort, le cœur d'un avare dont le corps repose dans une bière voisine. Un des reliefs contigus est aussi l'œuvre de Donatello; l'autre fut probablement exécuté sur ses dessins, par ses élèves qui, au nombre de quinze ou vingt, l'aidaient constamment dans ses travaux. Ces reliefs et les cieux autres de la chapelle de l'Eucharistie, où reposent Gattamelata et son fils, étant, à une exception près, le seul effort tenté par Donatello dans la voie spéciale de Ghiberti, nous amènent à une comparaison. Si, comme chez Ghiberti, on y retrouve l'emploi des plans de la perspective et des fonds d'architecture, ils visent cependant bien moins à se rapprocher de la peinture et à tromper les sens que ceux de Ghiberti; quoique moins riches, moins beaux, moins laborieusement composés, ils sont plus « sculpturaux », les figures étant moins en relief, et groupées avec moins de recherches de perspective. Les huit petits reliefs autour de l'autel et ceux qui ornent lés piédestaux des statues, de grandeur naturelle, de saint Louis et de saint Prosdocimo, exécutées par Donatello, représentent des anges chantant et jouant de divers instruments de musique; ce sont d'admirables exemples du style qui caractérise ce maître. Les trois figures placées dans les pilastres, et l'ange si gracieux qui tient un livre ouvert, sont surtout des chefs-d'œuvre de beauté; ces œuvres d'art, achevées avec une délicatesse et' un soin exquis, sont appliquées sur un fond damasquiné d'or et d'argent. Quatre anges jouant aussi de divers instruments de musique, un Christ mort entouré d'anges et une Madone avec l'enfant Jésus, dans la chapelle du Saint-Sacrement; un crucifix, une Déposition en argile coloriée, les statues de saint François et de saint Antoine, une Vierge avec l'enfant Jésus entre saint Daniel et sainte Justine, en différents endroits du chœur; et les symboles des Évangélistes, parmi lesquels l'Ange de saint Matthieu se distingue par sa beauté remarquable, furent tous coulés ou modelés, sous la direction de Donatello, par Giovanni et Antonio Celino da Pisa Urbano da Cortona et Francesco Valenti. Les surfaces, traitées avec soin, sont travaillées au marteau, de manière à reproduire les tissus qu'on voulait imiter; les parties secondaires nième nous, montrent que le consciencieux artiste ne considéra son travail comme achevé que lorsqu'il eut épuisé toutes les ressources de son art. On est heureux de constater que les Padouans apprécièrent toute la valeur de ces bronzes; l'enthousiasme fut si grand, que Donatello prétendit qu'il devrait retourner dans sa ville natale, où une dose salutaire de critique l'empêcherait de s'abandonner à l'orgueil. Il quitta donc Padoue en 1450, et se rendit à Ferrare pour soumissionner la fonte de cinq statues de bronze destinées à un autel de la cathédrale, mais il ne put s'entendre avec la fabrique, qui lui accorda une indemnité pour son déplacement, le laissant libre de partir. Nous le perdons de vue jusqu'à l'année suivante. Il nous est permis de conjecturer qu'à cette époque il séjourna à Venise, où il exécuta une statue en bois de saint Jean-Baptiste, pour l'autel sculpté, doré et peint de la chapelle des Florentins, aux Frari.

Modène et Ferranre
De Venise, il se rendit à Modène pour y couler une statue en bronze de Borso d'Este, duc de Ferrare. Despote sans conscience et sans cœur, résumé de tous les vices, ennemi de toute liberté, le duc n'en était pas moins en grande faveur auprès des habitants de Modène, par suite des nombreux et importants privilèges municipaux qu'il leur avait concédés, lors de son investiture au duché.

Le duc fut prié d'envoyer son portrait à Modène et d'indiquer le costume dans lequel il désirait être représenté. Donatello s'engagea à terminer cette statue en un an et à choisir, dans les montagnes voisines; le marbre nécessaire à la construction du piédestal. Des travaux urgents l'empêchèrent de jamais remplir cet engagement, quoiqu'il eût renouvelé les promesses déjà faites à l'envoyé spécial que lui adressèrent, à Padoue, les magistrats de Modène, qui avaient patiemment attendu pendant deux ans.

Ainsi que nous l'avons déjà vu, c'est de 1449 que datent les derniers bronzes de la basilique de San-Antonio, à Padoue; Donatello doit cependant avoir travaillé dans cette ville de 1451 à 1453, puisque ce fut là que l'envoyé des Modénois vint le trouver.

Nous savons aussi qu'en mars 1454 il fut appelé à Ferrare pour siéger au nombre des juges qui devaient prononcer sur les statues de bronze exécutées par Baroncelli pour le Dôme. Nous savons encore qu'avant de retourner à Florence, où il passa le reste de sa vie, il doit avoir sculpté ce ravissant buste de saint Jean, à Faenza, dont nous avons déjà parlé, ainsi qu'une statue en bois du même saint (qui a été aujourd'hui peinte et restaurée) pour le couvent des Padri Reformati. Nous pouvons donc supposer que ce ne fut qu'en 1457 qu'il rentra de nouveau à Florence pour s'y établir définitivement. Quoiqu'il eût alors passé la soixantaine, grâce à sa vie sobre et régulière, il était encore plein de force et de vigueur. Un grand nombre de ses œuvres, dont nous avons parlé sans en pouvoir préciser la date, ont probablement été exécutées à cette époque, à laquelle appartiennent certainement les quelques travaux dont il nous reste à parler. Nous citerons la niche très-ornée à l'extérieur d'Or San-Michele, et dans laquelle se trouve le groupe de l'Incrédulité de saint Thomas, par Verocchio; c'est un plein cintre surmonté d'un galbe très-ouvert qui repose sur des colonnes torses que supportent des pilastres corinthiens. Les parties nues sont ornées de masques, de rinceaux et autres ornements. La statue en bronze de saint Jean, au dôme de Sienne, exécutée probablement dans l'année qui suivit son retour de Padoue, date aussi de cette époque, car on sait que Donatello se rendit alors à Sienne, pour soumissionner une porte en bronze destinée au Baptistère; mais, par suite de motifs encore ignorés, il n'exécuta jamais ce travail.

Les dernières années
Donatello consacra les dernières années de sa vie à l'ornementation de l'église de Saint-Laurent à Florence, pour laquelle il modela les quatre Évangélistes en stuc, plusieurs bustes de saints, et la petite porte en bronze qui avoisine l'autel de la sacristie; il fit aussi les dessins et commença l'exécution de deux chaires en bronze qui furent terminées par son élève Bertoldo. Quoique les reliefs de ces chaires, qui représentent des épisodes de la Passion, soient exagérés comme sentiment et inférieurs comme exécution aux bronzes de Padoue, ils nous prouvent que si la main était devenue débile l'esprit n'en avait pas moins conservé toute sa vigueur. Le dernier et le plus inférieur de ses ouvrages, la statue de saint Louis de Toulouse, couronnant autrefois le portail de Santa-Croce, se voit aujourd'hui dans le musée du Bargello. Cette figure est mal proportionnée, et les plis quelque peu tourmentés des draperies ne permettent pas de distinguer les formes. Donatello faisait lui-même peu de cas de cette statue, et, pour justifier son manque de caractère, il, disait, affirme-t-on, qu'il n'en était que plus en harmonie avec un homme qui avait été assez fou pour échanger un royaume contre un couvent.

Tandis qu'il travaillait à l'église Saint-Laurent, Donatello reçut de Cosme de Médicis une somme d'argent suffisante pour son entretien et celui de quatre aides; bien que cette somme pourvût largement à ses besoins, il dépensait peu pour lui-même, et Cosme, trouvant que son costume ne répondait pas à son rang, lui envoya un manteau, un capuchon et un surtout rouges; mais Donatello, les renvoyant aussitôt, le remercia, en disant que ces vêtements étaient beaucoup trop beaux pour qu'il en fit usage. Après la mort de cet excellent ami et protecteur auquel Donatello ne survécut que deux ans, Pierre de Médicis combla de soins et d'attention notre artiste; il lui accorda une pension viagère, en remplacement d'une ferme à Caffagiuolo que le sculpteur avait refusée dans la crainte des ennuis et des troubles qu'elle pourrait lui causer. Une paralysie relégua Donatello dans son lit pendant quelque temps, et la mort vint mettre fin à ses souffrances, le 13 décembre 1466. Ne voulant pas plus après sa mort que pendant sa vie s'éloigner de Cosme de Médicis, il avait demandé à être enterré dans l'église Saint-Laurent, où ses funérailles eurent lieu, en présence de tous les artistes de la ville et d'une foule immense de ses concitoyens: la cité entière voulait rendre un dernier hommage à un si grand génie, qui, par sa générosité, par sa simplicité et sa bienveillance, s'était acquis la sympathie de tous.

Donatello le plus grand sculpteur chrétien
Michel-Ange excepté, jamais sculpteur toscan n'exerça sur l'art de son époque une influence égale à celle de Donatello. On peut, entre tous, le proclamer le premier et le plus grand des sculpteurs chrétiens; car, malgré son amour ardent et son étude persévérante de l'art classique, toutes ses œuvres, quand elles ne sont, pas des imitations cherchées de l'antique, sont empreintes du plus profond sentiment religieux. Il nous est, donc difficile de comprendre pourquoi de nombreux écrivains ont avancé que, dans l'art, Ghiberti représente le christianisme, et Donatello le paganisme. Passionnés pour l'antique, tous deux lui doivent leurs qualités les plus éminentes; mais quelle est l'œuvre de Ghiberti où se montre une inspiration aussi profondément chrétienne que celle qui rayonne dans: le saint Georges, dans le saint Jean, dans la Madeleine et dans un grand. nombre des bas-reliefs de Donatello ? Chez ce dernier, l'homme aussi bien que l'artiste répond à l'idéal que nous nous faisons du chrétien modeste, bienveillant pour tous, plein de charité, ami éprouvé, honnête, droit, loyal, Donatello était une de ces rares natures dont rien ne ternit la pure et irréprochable renommée.

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