La discipline à l'origine de l'école

Jacques Dufresne
Brève évocation de la discipline de l'ancienne école et de la cassure qui survint ensuite
À l'origine de l'école, il fallait de la discipline aussi bien pour écrire que pour prendre son rang.
Aux XVIeet XVIle siècles, l'écriture était une technique fort complexe, une chorégraphie de la plume, disent Furet et Ozouf. C'était l'époque du menuet. L'allemand gothique donne sans doute une idée assez juste de cette ancienne façon d'écrire. Du menuet, on est passé en quelques siècles à une danse sans figures, spontanéiste. Cette révolution dans l'écriture, où la spontanéité s'allie au fonctionnel pour triompher du style et de la gratuité, illustre parfaitement l'ensemble des mutations qui ont transformé le système scolaire.

Pour maîtriser les passions, pour former les esprits méthodiques qui construiront les chemins de fer, l'école s'appuiera également sur la maîtrise du temps, et de l'espace. Les rangs qui se formaient encore dans les écoles de notre enfance ne donnent qu'une faible idée de la discipline qui régnait dans les écoles de Jean Baptiste de la Salle.

«Symboliquement la première partie de la Conduite des écoles chrétiennes s'ouvre donc par l'entrée et se ferme par la sortie de l'école. Entre ces deux termes aucun instant n'est laissé au hasard. Prières, leçons, exercices se succèdent sans relâche de telle sorte qu'aucun enfant ne puisse à aucun moment distraire son attention. La pédagogie s'apparente alors à une science des distributions, chaque élément se décomposant lui-même en segments, de telle façon que les séries ainsi constituées s'enchaînent sans hiatus: ainsi la semaine se divise-t-elle en jours, qui n'ont pas tous la même valeur, la journée en leçons, la leçon elle-même est ponctuée de signaux qui la scandent. Comme au théâtre, une machinerie se met en place destinée à permettre au maître de saisir d'un seul regard l'unité qui trouble l'harmonie en ne respectant pas les règles. Mais pour que l'oeil aille sans entrave au détail microscopique, il a fallu empêcher toute confusion, en sectionnant jusqu'à l'atome les trois éléments qui se combinent dans l'école: le temps, l'espace, les enfants eux-mêmes.»
R. Chartier, M.M. Compère, D. Julia, L'éducation en France du XVIe au XVIlle siècle, Paris, Sedes, 1976, p. 115.

Jean Baptiste de la Salle, c'est déjà Kant - qui soumettra la connaissance au temps et à l'espace - c'est déjà Linné, c'est déjà Lavoisier, c'est déjà Diderot. Les collèges des jésuites prendront admirablement le relais des petites écoles. Les anciens de ces maisons d'enseignement formeront les idées déjà contenues dans la discipline qui les aura formés. Par l'analyse et la classification des phénomènes, ils expliciteront le contenu implicite de leur éducation première. Jean Baptiste de la Salle est peut-être un personnage historique aussi important que Louis XIV; c'est lui qui commandait le peuple pendant que le roi commandait les armées. Louis XIV, comme plusieurs autres aristocrates et aussi, chose plus étonnante, comme les représentants des Lumières, ne voyait dans l'école qu'un instrument politique dont il fallait pouvoir arrêter le développement au moment opportun.

Qu'il y ait eu cassure dans la pédagogie, il n'est plus possible d'en douter. Parmi les méthodes nouvelles utilisées - là où l'esprit de méthode existe encore - seul l'enseignement programmé paraît être dans la suite logique de la pédagogie lasallienne. Mais il n'en a pas l'âme. Il en est la caricature formaliste et mécanique.

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