Clint Eastwood et la notion d’équilibre - Petit essai sur la grandeur d’un cinéaste de légende

Jean-Philippe Costes

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Clint Eastwood (cliquez ici pour accéder à son dossier biographique)

 

A propos de l’Amour, John Huston fit dire à Sterling Hayden, le héros de son mémorable Quand la ville dort : « I don’t get it… I don’t get it… ». C’était une façon simple et néanmoins admirable de résumer la prodigieuse complexité d’un sentiment que chacun peut éprouver mais que nul ne peut expliquer rationnellement. Clint Eastwood, qui fut lui-même à l’origine d’un singulier hommage à l’auteur d’African Queen[1], pourrait fort bien susciter de semblables commentaires. Celui dont Orson Welles disait jadis qu’il était « le metteur en scène le plus sous-estimé de Hollywood » est en effet devenu l’un des réalisateurs les plus aimés du Public mais aussi, de la Critique. Or, il est difficile, de prime abord, de déterminer les causes d’un tel engouement pour un cinéaste qui, non content d’avoir souvent abordé des genres conventionnels (le Western, le Policier, le Film de guerre…), a bâti une œuvre que tout incite à taxer d’hétérogénéité, voire, d’incohérence. Ainsi, peut-on, de bonne foi, déceler quelque lien entre des films aussi disparates que Bronco Billy, Firefox, Bird, Sur la route de Madison ou Invictus ? Apparemment, la réponse est négative. Les thuriféraires et les hagiographes de l’artiste, devenu, de son vivant, un dieu du Cinéma, ont certes coutume d’avancer toutes sortes d’arguments pour justifier leur culte. Généralement, ils soulignent l’attrait du maître pour les histoires à la fois simples et pénétrantes, ils vantent son sens du tragique, glorifient le classicisme « Fordien » de sa mise en scène et magnifient sa capacité peu commune à peindre, avec le même talent, des actes de violence, des mondes crépusculaires ou encore, des portraits de femmes d’une émouvante justesse. Toutes ces appréciations ne sauraient être tenues pour quantité négligeable. Néanmoins, une analyse approfondie conduit à penser que la grandeur de Clint Eastwood a une origine plus subtile. Cette source première, qui irrigue la totalité de sa filmographie et lui confère, en définitive, une remarquable cohérence, c’est la recherche, la restauration et la formalisation esthétique d’une notion chère à l’ensemble du genre humain : l’équilibre

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Josey Wales, hors-la-loi

  

             Bien qu’habilement dissimulée sous le vernis de la narration, la quête de l’harmonie et du juste milieu[2] confine à l’obsession, chez l’ancien disciple de Don Siegel. Elle se manifeste essentiellement dans les rapports qu’entretiennent l’Individu, particule élémentaire de la Société, et les Institutions, c’est-à-dire, l’ensemble des structures politiques, juridiques et morales que la Culture a imposées à la Nature[3]. Ces relations fondamentales, Clint Eastwood les aborde sous un angle résolument conflictuel. Ainsi, il semble systématiquement préférer le binôme Individu/Nature au couple Institution/Culture. Cette posture idéologique se traduit notamment par un souci permanent de conter les aventures de marginaux, qui se défient des coutumes et de la pensée dominante. Dans L’Homme des Hautes Plaines et Pale Rider, cette figure récurrente prend les traits d’un justicier solitaire. Dans Josey Wales, hors-la-loi, il s’agit d’un franc-tireur Sudiste. Dans Honkytonk Man, c’est un chanteur de bastringue alcoolique. Dans Le retour de l’Inspecteur Harry, c’est un policier taciturne, partisan de la manière forte. Dans Bird, c’est un jazzman sous l’emprise des stupéfiants. Dans Chasseur blanc, cœur noir, c’est un réalisateur égocentrique et contestataire. Dans Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, c’est une ville Géorgienne – en l’occurrence, Savannah – peuplée de riches excentriques. Dans Les pleins pouvoirs, c’est une sorte de « gentleman cambrioleur ». Dans Jugé coupable, c’est un journaliste amoral, porté sur la dive bouteille. Dans Space cowboys, c’est un quatuor de vieux astronautes anticonformistes. Dans L’échange, c’est une mère célibataire, qui doit affronter les bassesses d’une société machiste. Dans Gran Torino, c’est un ancien combattant misanthrope et raciste…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

L'hommes des hautes plaines

 

            L’aversion de Clint Eastwood pour l’Institution se manifeste aussi à travers sa conception très personnelle – et par là même, très révélatrice – de la spiritualité. Million dollar baby en est probablement la meilleure illustration. Le film montre ainsi un entraîneur de boxe[4] qui, d’un côté, se rend quotidiennement à l’église pour assister à la messe[5] et de l’autre, prend un malin plaisir à railler le jeune prêtre de la paroisse. Cette dichotomie, également présente dans Gran Torino, peut apparaître comme une simple contradiction, destinée à provoquer l’amusement du Public.  En réalité, elle constitue une véritable profession de foi, prononcée par un homme qui croit visiblement en Dieu mais qui, au nom de la primauté de la liberté individuelle sur l’Institution, prêche la méfiance à l’égard de la Religion[6].

 

            Toutefois, c’est indubitablement la question du Pouvoir politique qui symbolise le mieux l’individualisme de Clint Eastwood et son hostilité à l’égard du système social. Ainsi, de L’Homme des Hautes Plaines à Un monde parfait en passant par Josey Wales, hors-la-loi et Les pleins pouvoirs[7], presque toute son œuvre est traversée par des Maires, des Gouverneurs, des Sénateurs ou des Présidents corrompus, arrivistes et manipulateurs[8]. Grande est la tentation de voir en ces portraits au vitriol l’expression d’une philosophie triviale, identifiable au « Tous pourris » qu’affectionnent les cafés du commerce. Néanmoins, la réalité est infiniment plus complexe. En effet, Eastwood n’est assurément pas motivé par le Nihilisme, l’Anarchisme ou quelque Poujadisme à la mode Anglo-Saxonne. Quand il stigmatise la classe politique, de ses membres les plus modestes à ses représentants les plus prestigieux, il s’inscrit en toute conscience dans la continuité de deux courants de pensée très anciens, qui se complètent parfaitement. Le premier est le confédéralisme. Cause fondamentale de la Guerre de Sécession[9], cette doctrine rétive à tout forme de supranationalité défend la souveraineté des pouvoirs régionaux, c’est-à-dire, la prééminence des autorités locales sur les autorités centrales qui prétendent les assujettir. Malgré la victoire finale des Nordistes, partisans d’une Fédération qui ne laisse aux Etats fédérés que des compétences résiduelles, cette idéologie a survécu. Certes, le système politique Américain a depuis longtemps surmonté les clivages liés à la question de l’indépendance des membres de l’Union. Cependant, chaque Etat continue, aujourd’hui encore, à veiller jalousement sur son autonomie. Josey Wales, hors-la-loi est le reflet de cette animosité persistante. Plus que l’itinéraire d’un milicien désireux de se venger de ceux qui ont massacré sa famille, le film relate en effet le combat acharné d’un homme et plus généralement, d’une communauté, qui entendent protéger leur liberté contre un ordre constitutionnel qu’ils jugent oppressif par nature[10].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

Pale Rider

 

            La Nature est précisément en lien direct avec le second courant de pensée auquel se rattache Clint Eastwood. Le libéralisme[11], puisque c’est de lui qu’il s’agit, établit ainsi que le droit naturel est antérieur et, par voie de conséquence, supérieur au droit positif. Or, ce postulat a deux conséquences, qui rejoignent logiquement les présupposés de l’idéologie confédérale. D’une part, l’Individu est Souverain. Il est le titulaire exclusif du Pouvoir suprême[12]. Aucune Institution, fût-elle frappée du sceau de Dieu ou du Peuple, ne dispose d’une légitimité suffisante pour contester son libre-arbitre. D’autre part, l’Homme n’est pas mauvais par essence, comme l’ont prétendu bon nombre de philosophes contractualistes des XVIIè et XVIIIè siècles. Aussi, il n’est nullement obligé de se soumettre à un organisme politique qui, sous prétexte de le protéger de ses congénères, le priverait de liberté. Dans ce contexte, l’Etat est, au mieux, un « moindre mal ». C’est un acteur secondaire. Pour l’empêcher de se métamorphoser en Léviathan, c’est-à-dire, en monstre tyrannique, il convient de le cantonner dans le rôle ingrat d’un « veilleur de nuit », comme le préconisait l’économiste Friedrich Von Hayek[13].

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 

Honkytonk Man

  

            A bien des égards, l’œuvre de Clint Eastwood peut être considérée comme une transposition, à l’écran, de cette pensée anti-absolutiste. Le fait que le cinéaste décrive souvent les Politiques comme des symboles de l’arbitraire institutionnel en témoigne. Son choix, constamment réitéré, de montrer des individus en lutte contre un système présenté comme foncièrement néfaste le confirme[14]. Ses éloges renouvelés des contre-pouvoirs et plus particulièrement, de la Presse, apportent la preuve définitive qu’il n’a aucune confiance en des institutions qu’il juge structurellement inaptes à protéger les droits de la personne[15]. Dans le sombre univers de celui qui restera, à jamais, le pistolero génialement cynique des westerns de Sergio Leone, il importe de rester sur ses gardes en toutes circonstances, même avec ceux qui sont censés être au service du bien commun…

 

            Tel est d’ailleurs l’un des éléments les plus troublants, dans le travail du réalisateur. En effet, sa vision de l’Humanité et de la Société aurait dû le conduire à réserver sa défiance à l’Institution et à l’esprit de système. En d’autres termes, la cohérence élémentaire l’obligeait théoriquement à concentrer ses critiques sur la Culture. Or, il n’a eu de cesse, durant sa longue carrière, de peindre la Nature sous d’odieuses couleurs. Ainsi, force est de constater que sa foisonnante filmographie est peuplée d’une jungle inextricable de voleurs, d’assassins, de violeurs, de menteurs et de pervers en tous genres. Ce portrait digne de Dorian Gray laisse à penser que l’Homme est fondamentalement nuisible et qu’en conséquence, il ne peut faire l’économie d’un Pouvoir coercitif, capable de canaliser sa violence intrinsèque. Le revirement intellectuel ne saurait être plus saisissant, car il fait basculer Eastwood dans la famille idéologique de l’ennemi juré du libéralisme politique[16] : Thomas Hobbes. Rappelons en effet que ce philosophe Anglais du XVIIè siècle fut un chantre du despotisme et un pourfendeur de la démocratie. Il fonda sa doctrine sur une conception chaotique de la Nature, que l’on peut résumer en quelques propositions schématiques : puisque « l’Homme est un loup pour l’Homme », puisqu’il est taraudé par des passions qui annihilent sa liberté, puisque l’instinct de conservation, unique déterminant de ses actes, le pousse perpétuellement à tuer pour survivre, puisqu’il n’est pas naturellement sociable, il convient d’en faire un être policé, en le soumettant à un Gouvernement assez fort pour mettre un terme à « la guerre de tous contre tous ». Ces postulats matérialistes et leurs prolongements imprègnent une part importante de l’œuvre d’Eastwood. On en trouve notamment la trace dans L’Homme des Hautes Plaines. Ce western en forme de petit traité philosophique montre en effet une communauté villageoise de l’Ouest Américain sous un jour que n’aurait sans doute pas renié l’auteur du Citoyen, de La nature humaine et du Léviathan. A l’exception du héros, ses protagonistes n’ont qu’une seule religion, une seule morale, une seule obsession : survivre. En conséquence, leur existence n’est que lâcheté, assassinats et trahisons[17]. Leur instinct de conservation est tel qu’ils en viennent à souffrir docilement les innombrables outrages que leur fait subir le tyran qu’ils ont eu l’imprudence de désigner, pour les protéger d’un trio de tueurs sans scrupules. Il y a quelque chose d’infernal, dans ce tableau répugnant de la bassesse humaine[18]. Or, l’Enfer ne saurait être une démocratie. C’est, par force, un ordre répressif, dans lequel l’Individu est constamment placé sous le couperet de l’Institution. Selon Eastwood, c’est ce régime qui sied  malheureusement au genre humain[19]. L’avertissement final que lance William Munny, le héros sanguinaire et désespéré du bien nommé Impitoyable, pourrait en être la devise : « Vous avez intérêt à ne plus faire aucun mal aux putains, ou je reviendrai et je vous tuerai tous, salopards ! »

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Mémoires de nos pères

 

            Ces propos peu châtiés et néanmoins édifiants sont très éloignés des thèses individualistes et libérales que Clint Eastwood développe dans la plupart de ses films. Cependant, le réalisateur ne renie aucun de ses engagements. Au début du long procès de Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, il va même jusqu’à citer un aphorisme de Hobbes, par la voix de l’Avocat de la Défense : « La Vie est brutale, désagréable et courte ». Cette apparente versatilité pourrait être tenue pour un aveu de faiblesse. En réalité, elle constitue une preuve de force. Ainsi, la grandeur du cinéma de Clint Eastwood réside notamment dans le fait qu’il n’entend rien démontrer. Contrairement à ce qu’affirment ses  rares détracteurs, qui lui reprochent d’avoir des opinions trop arrêtées sur quelques sujets sensibles (l’autodéfense, la violence…), il ne professe aucun dogme. Quiconque fera l’effort de l’étudier attentivement constatera que sa logique est fondée sur des balancements perpétuels entre des positions opposées. L’objectif de ces oscillations incessantes est aussi limpide qu’invariable : atteindre un point d’équilibre[20]. Equilibre et non, certitude, car il n’est pas de Vérité absolue, chez Eastwood, mais au mieux, une infinité de points de vue, qui dépendent de la perception de chaque individu. L’acteur - réalisateur le dit lui-même, à la fin d’Un monde parfait : « Je ne sais plus rien. Je ne sais vraiment plus rien »[21]. Il le répète plus clairement encore par le truchement de Kevin Spacey, héros ambigu de Minuit dans le jardin du Bien et du Mal : « La Vérité, comme l’Art, est dans l’œil du Spectateur ». Le propos prend même une connotation politique dans L’échange. En montrant les excès kafkaïens d’un psychiatre qui, sur l’ordre d’une police corrompue, tente de faire passer pour folles des femmes parfaitement saines d’esprit, Clint Eastwood suggère en effet que l’indétermination du Vrai et du Faux est un critère fondamental de la Liberté et, par extension, de la Démocratie.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

 Minuit dans le jardin du bien et du mal

 

            Ce relativisme, qui semble gagner en vigueur au fil du temps, débouche sur une opposition de plus en plus marquée à toute forme de manichéisme. Le diptyque consacré à la bataille d’Iwo Jima constitue, à n’en pas douter, le plus brillant témoignage de ce cheminement vers la sagesse et l’excellence artistique. Ainsi, là où des cinéastes ordinaires se seraient contentés de montrer la guerre sous un seul angle – de préférence, le plus chauvin et donc, le plus lucratif – Eastwood a choisi d’adopter le point de vue des deux belligérants – en l’occurrence, les Américains et les Japonais. Difficile mais remarquablement réussi, l’inhabituel exercice poursuivait, de toute évidence, un but précis : confronter des vérités pour s’approcher de la Vérité et partant, rétablir un équilibre historique fréquemment mis à mal par les assauts conjugués du nationalisme et du dogmatisme.

 

            Rétablir l’équilibre constitue précisément le second pilier de l’œuvre de Clint Eastwood. Complément logique du premier pilier[22], cette volonté est indissociable d’un idéal universel : la Justice. [23] Bien qu’elle soit théoriquement familière à tous et qu’elle s’inscrive, en l’espèce, dans le cadre de films destinés à un large public, cette notion apparaît sous un jour ambigu, qui ne facilite pas la compréhension. Ainsi, la Justice selon Eastwood est à la fois classique et singulière. Elle est classique[24], dans la mesure où elle repose sur des principes très anciens, partiellement hérités de la tradition biblique. Le premier d’entre eux pourrait être résumé par l’adage christique : « Il faut rendre à César ce qui est à César et à Dieu, ce qui est à Dieu ». De cette maxime fondatrice[25], il résulte que tout acte de Justice relève d’une Ethique, fondée sur l’équilibre entre la Dette et la Créance. En d’autres termes, la préservation du Juste, fondement de l’harmonie sociale, s’analyse essentiellement comme une procédure visant à restituer à chacun ce qui lui est dû. Le système n’a, répétons-le, rien de révolutionnaire. Néanmoins, Eastwood a ceci de particulier qu’il met un point d’honneur à l’appliquer indépendamment des classes sociales. Ainsi, les shérifs indignes de Pale Rider et d’Impitoyable, les policiers véreux de L’échange ou encore, le Président machiavélique des Pleins pouvoirs, sont amenés à rendre gorge comme de vulgaires délinquants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Les lettres d’Iwo Jima

 

            Mais le plus frappant est de constater que ce désir incoercible de restaurer les équilibres rompus va bien au-delà du crime et concerne toutes les dimensions, tous les protagonistes de la Vie. Blood work, judicieusement traduit en Français par Créance de sang, en fournit un premier témoignage. En effet, sous le couvert d’une enquête policière menée par un greffé du cœur, Eastwood rend justice aux glorieux anonymes, qui donnent la vie par-delà la mort en faisant don de leurs organes. De même, le retour en grâce haut en couleur des quatre vieux astronautes de Space cowboys et la réhabilitation sociale de Walter Kowalski, le vieillard atrabilaire qui, dans Gran Torino, enseigne l’art de vivre à un jeune Hmong désorienté,  ne sont que des prétextes pour rendre justice aux Anciens, hâtivement écartés par des jeunes convaincus d’être supérieurs à leurs aînés. Mémoires de nos pères obéit à une logique similaire. En dénonçant les mensonges qui ont entouré la photographie emblématique de la bataille d’Iwo Jima[26], le film rétablit la vérité historique et ce faisant, rend justice aux hommes qui furent les authentiques héros de la guerre. Le récit de l’existence tourmentée de Christine Collins, inoubliable héroïne de L’échange, est également un moyen de rendre justice à une catégorie sociale régulièrement malmenée par la Société : les femmes. Un point culminant est atteint dans le ténébreux et néanmoins magistral Mystic River, puisque ici, c’est Dieu Lui-même qui est appelé à rendre justice à Ses créatures. Conçu comme une effroyable réaction en chaîne, qui commence avec le viol d’un enfant et se termine par l’assassinat d’un homme accusé, à tort, d’avoir tué une jeune fille, le film montre en effet que l’Etre humain n’est que le jouet tragique d’un Destin qui lui échappe. Dans ce contexte, le Pécheur est en droit de réclamer la miséricorde divine, car en dernière analyse, il est la première victime des méfaits que sa condition (et non, son libre-arbitre) l’a poussé à commettre[27]. Ainsi donc, tout, dans l’univers de Clint Eastwood, ramène à la sagesse évangélique : il faut rendre à chacun ce qui lui appartient et ce, même si le débiteur est omnipotent.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un monde parfait

 

            L’universalité de ce principe d’équilibre[28]a pour corollaire une intransigeance absolue. Quiconque commet un crime de sang doit le payer de son sang, quiconque prend une vie doit en répondre en mourant[29]. Etranger aux principes élémentaires de l’Etat de Droit, détaché des procédures inhérentes à tout procès équitable[30], ce mode de règlement des litiges, calqué sur l’adage « Œil pour œil, dent pour dent », peut sembler barbare au premier regard. Ce sentiment est d’autant plus fondé que dans les films de Clint Eastwood, l’exécution des méchants revêt une dimension jubilatoire. Comment, en effet, ne pas exulter en voyant le Pasteur[31] de Pale Rider se faufiler dans les rues d’une ville déserte et abattre, un à un, l’infâme shérif Stockburn et sa pléiade de suppléants inhumains ? Qui n’a éprouvé une intense sensation de joie en regardant l’homme des hautes plaines tuer à coups de fouet le truand diabolique qui avait, quelque temps plus tôt, assassiné son frère dans les mêmes circonstances ? Qui n’a eu le cœur gonflé de satisfaction en voyant Gordon Northcott, l’ogre de L’échange, s’agiter au bout d’une corde et expirer, lentement, au pied de la potence ? Toutefois, la loi biblique du Talion, telle qu’elle montrée et exaltée par Eastwood, ne s’identifie pas à une vengeance aveugle et bestiale. Malgré la violence qui l’accompagne, elle est constitutive d’une véritable Justice, dont la logique peut être résumée en des termes désormais bien connus : l’harmonie du monde commande de rétablir, coûte que coûte, les équilibres indûment rompus par les hommes. Bien que primitif, ce système de compensation, fondé sur une stricte symétrie des souffrances, est fondamentalement rationnel. L’Anthropologie nous apprend de surcroît qu’il est l’une des pierres angulaires de la Civilisation, dans la mesure où il  a été – et continue d’être, au sein de nombreuses peuplades -  un élément essentiel à la préservation de la stabilité et de la paix sociales. Nul n’est besoin d’entrer dans les dédales de la Science pour le comprendre. En effet, Lawrence d’Arabie, le chef d’œuvre de David Lean, en fournit une excellente illustration. L’édifiant épisode se déroule quelques heures avant l’attaque du port d’Aqaba. C’est à ce moment crucial dans la lutte contre la domination Ottomane que survient un grave litige entre deux tribus Arabes, fédérées par le légendaire aventurier Britannique : l’une d’entre elles déplore le décès de l’un de ses membres, assassiné par un combattant issu d’un clan rival. Si Justice n’est pas rendue, une guerre tribale éclatera. Pour éviter cette funeste issue et accessoirement, pour maintenir son offensive contre les Turcs, Lawrence se propose de solutionner le conflit. Pour ce faire, il se dit prêt à exécuter, de sa main, l’auteur du crime. La partie lésée donne son approbation. En dépit des apparences, cette bénédiction est pleinement fondée : d’une part, l’application de la peine capitale compensera le préjudice subi et d’autre part, le juge, en exécutant la sentence, ne causera pas de nouveau déséquilibre, puisqu’il n’appartient pas aux groupes ethniques des belligérants.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

Million Dollar Baby

 

            Cet exemple exogène est le fidèle reflet de la pensée juridique de Clint Eastwood. Malgré son caractère schématique, il permet de mieux cerner la façon dont le réalisateur a conçu une part essentielle de son œuvre. Néanmoins, deux questions, intimement liées l’une à l’autre, restent en suspens : pourquoi un homme adulé de ses contemporains privilégie-t-il une Justice expéditive, qui s’affranchit ostensiblement des procédures de son temps ? Pourquoi choisit-il des références dont l’ancienneté et le caractère mythique confinent à l’ésotérisme ? La réponse est aussi surprenante que fascinante : parce qu’il se défie de la Justice moderne et de sa prétention à faire plus qu’elle ne peut. Les attendus de ce jugement sans concession sont exposés dans le procès épique de Minuit dans le jardin du Bien et du Mal[32]. Ainsi, considérant que les Avocats déforment les faits et réécrivent l’Histoire au gré des intérêts de leurs clients, considérant que les jurés ne sont que des hommes et qu’à ce titre, ils sont faillibles et influençables[33], considérant enfin que la réalité est une notion relative, qui dépend essentiellement des points de vue individuels[34], Clint Eastwood déclare, avec une force que sa sensibilité artistique affranchit de toute lourdeur démonstrative, que la Justice humaine est faite pour dire le Droit et non, la Vérité[35].Ce vice congénital est brillamment symbolisé par la statue sur laquelle s’ouvre et se referme le film. Allégorie de l’Institution judiciaire (elle tient dans ses mains des plateaux en équilibre), la jeune fille au visage minéral penche en effet la tête sur le côté. Il s’agit là d’un signe manifeste de désolation et d’impuissance. Néanmoins, cette posture insolite a un second sens, qui prolonge ingénieusement le premier : elle suggère avec une réjouissante espièglerie que la Justice, en tant que valeur, finit toujours par triompher, mais que l’Homme n’est pour rien dans cet heureux épilogue. Le dénouement de l’intrigue le confirme. Ainsi, le vénéneux Jim Williams paie finalement de sa vie le meurtre qu’il a commis. Toutefois, il n’est pas exécuté sur ordre d’un tribunal[36], il est terrassé par une crise cardiaque, provoquée par le spectre de sa victime[37]

 

            Ennemi de l’immanence, Clint Eastwood apparaît donc comme le défenseur d’une conception transcendante de la Justice. A posteriori, cette inclination mi-philosophique, mi-spirituelle, explique l’un des grands invariants de son œuvre : le rétablissement de l’équilibre entre la dette et la créance est presque toujours le fait de personnages insaisissables[38], d’anges exterminateurs[39] ou encore, de fantômes[40]. Dans tous les cas, il s’agit d’être fabuleux – et par là même, éblouissants – dont les capacités excèdent largement celles d’une Humanité présentée comme incapable de faire régner le Bien, l’ordre et la tranquillité.

 

            Si la grandeur d’un créateur est fonction non seulement, de sa capacité à développer une vision personnelle et cohérente de la Vie mais aussi, de son aptitude à faire coïncider le fond de sa pensée à la forme qu’il privilégie, il ne fait guère de doute que Clint Eastwood est l’un des artistes majeurs de son époque. Force est en effet de constater que le réalisateur a su exploiter toutes les ressources de la narration cinématographique pour créer une véritable esthétique de l’équilibre. Ainsi, on peut aisément constater qu’il a choisi de tourner[41], le plus souvent, des films dont la structure repose sur un minutieux dosage d’action et d’intimisme. Poignante histoire d’amour filial écrite aux larmes des rings de boxe, récit euphorisant de la victoire Sud-Africaine à la troisième Coupe du monde de Rugby, Million dollar baby  et Invictus constituent deux des meilleurs exemples de ce souci permanent de la pondération.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L'Echange

 

            Le profil et la trajectoire individuelle des personnages s’inscrivent dans une logique similaire. Qu’ont en commun la plupart des héros dont Eastwood relate les aventures ? Ce sont des personnages déséquilibrés par le Destin, le crime ou la marginalité. Tous cheminent, à leur façon, vers l’harmonie. Dans chaque scénario ou presque, deux moyens dérivés de la notion d’équilibre sont mobilisés pour atteindre cette fin. La Justice est le premier. Moins systématique mais tout aussi prégnant, le second est la stabilité familiale. C’est elle que cherche Red Stovall, le chanteur de Country de Honkytonk Man. A cause de sa profession de musicien itinérant, il n’a pu épouser la femme de sa vie et connaître l’enfant que cette dernière lui a donné. C’est cette même stabilité que poursuit le cambrioleur des Pleins pouvoirs : sa fille, un magistrat intègre, lui reproche amèrement son inconduite et refuse obstinément de le voir. C’est elle enfin que recherchent le truand d’Un monde parfait, brisé par une enfance malheureuse, l’entraîneur de Million dollar baby, éloigné des siens par sa passion de la boxe, la mère courage de L’échange, affligée par la disparition de son fils ou encore, le Dom Juan alcoolique de Jugé coupable. Tous ces personnages ne connaissent pas la joie de retrouver une paix durable. Certains doivent se contenter de l’entrevoir ou de créer, pour un temps, une famille de substitution[42]. Néanmoins, ils empruntent, à chaque fois, un parcours qui les amène à reconquérir leur équilibre perdu. Il ne s’agit pas là d’un simple ressort scénaristique, destiné à susciter, à bon compte, l’adhésion du Public. C’est avant tout le fidèle reflet de la quête philosophique et artistique que Clint Eastwood a entreprise au début des années 1970, lorsqu’il a entamé sa carrière de réalisateur.

 

            Mais le metteur en scène utilise d’autres aspects de la narration, pour obtenir cette heureuse coïncidence entre la forme et le fond. La musique est l’un des instruments qu’il privilégie pour accorder l’une à l’autre[43]. Qu’elle soit l’œuvre de Lennie Niehaus, de son fils Kyle ou d’un autre compositeur, elle est généralement apaisante, intimiste, modérée. En tant que telle, elle constitue un important facteur de mesure, pour chacun des films qu’elle accompagne. A cette occasion, on relèvera avec un intérêt mâtiné d’admiration  que Clint Eastwood ne considère pas la musique comme un simple accessoire : il en fait aussi un acteur principal, au service de sa vision du monde. Bird et Honkytonk Man en témoignent avec une puissance et une clarté remarquables. Pour Charlie Parker et Red Stovall, les héros de ces films en clair-obscur, composer, jouer ou chanter sont en effet des contrepoids indispensables aux mille et une pesanteurs de leur condition. Que serait leur vie[44]sans la joie extatique que procurent ces activités ? Un océan de tristesse, aussi noir que les nuits durant lesquelles ils boivent, se droguent et gagnent leur pitance à la sueur de leur art incompris.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Gran Torino

 

            Les quatre astronautes de Space cowboys pourraient inspirer de semblables réflexions. Outre les injustices d’une hiérarchie sans cœur, ils sont en effet confrontés aux affres de la vieillesse, aux rebuffades de la jeunesse triomphante et même, pour l’un d’entre eux, à la tragédie d’une maladie incurable[45]. Cependant, ils se distinguent par une fraîcheur, une résistance et un dévouement à toute épreuve. Le secret de leur stupéfiante vitalité n’est pas la musique, mais un trait commun à la plupart des héros dont Eastwood retrace l’itinéraire : l’humour. Parfois potache, souvent grinçant, toujours empreint de dérision, il ponctue chaque histoire, fût-elle dramatique. Ainsi, Josey Wales se moque de tout et de tout le monde. Alors qu’il meurt à petit feu, Red Stovall, le chanteur à bout de souffle, ne recule devant aucune facétie. William Munny, le justicier sur le retour du sublime Impitoyable, glisse à son ami Ned Logan[46] que le Kid de Schofield, le jeune tueur acrimonieux qui les accompagne, « est un crétin ». Walter Kowalski, le héros taciturne de Gran Torino, est un maître du bon mot et de la réplique assassine. L’homme des hautes plaines nomme un nabot gesticulant à la tête de la ville de Lago et ridiculise à plaisir les lâches citoyens qu’il est censé défendre… Pour ceux qui la pratiquent, cette constante ironie et ce souverain détachement sont des respirations salutaires, sans lesquelles le monde serait étouffant et la Vie, suffocante. Pour le créateur de ces personnages à la jouissive ambivalence, c’est une façon magistrale de contrebalancer la terrible noirceur de ses films.

 

            La mise en scène de Clint Eastwood est, dans son ensemble, le symbole ultime de cette extraordinaire esthétique de l’équilibre. On la dit fréquemment « classique », voire, « académique ». En réalité, elle est fluide, épurée, opposée aux montages hystériques des clips vidéo et des spots publicitaires. Si elle recourt, de temps à autres, aux miracles de l’informatique, c’est essentiellement pour procéder à des reconstitutions historiques[47]et non, pour célébrer le culte païen des Effets spéciaux. En un mot comme en cent, elle est irréductiblement et formidablement équilibrée.

 

            Beaucoup de choses pourraient encore être dites. Il incombe à chaque spectateur de se plonger ou de se replonger dans les salles obscures, pour faire jaillir de l’écran la lumière de sa propre vérité. Gageons néanmoins que ces quelques éléments suffiront à prouver qu’Eastwood-le-justicier n’a ni usurpé sa légende, ni volé l’admiration du Public. En définitive, John Huston avait tort : l’Amour n’est pas totalement irrationnel…

 

 

 



[1] Il s’agit de Chasseur blanc, cœur noir (1990). Comme un écho à cette marque d’estime, Eastwood a par la suite dirigé Angelica Huston, la fille de John, dans Créance de sang.

[2] Ou, si l’on préfère les tournures métaphoriques, la volonté d’atteindre « minuit dans le jardin du Bien et du Mal »…

[3] Pour paraphraser le philosophe Etienne Bonnot de Condillac (1715-1780), une chose est dite d’institution lorsqu’elle est « l’ouvrage des hommes, pour la distinguer de celles que la Nature a établies ».

[4] Incarné par Eastwood lui-même.

[5] L’histoire nous apprendra qu’un sentiment de culpabilité, consécutif à un abandon de famille, est à l’origine de cette étonnante assiduité.

[6] Cette méfiance peut aller jusqu’à la condamnation des ministres du culte. Tel est notamment le cas dans L’Homme des Hautes Plaines, où Eastwood s’ingénie à brocarder la couardise du pasteur de la ville maudite de Lago. Cela se vérifie également dans Jugé coupable, film hanté par la présence maléfique d’un confesseur narcissique et menteur. Notons que contrairement aux apparences, L’échange n’inverse pas cette tendance à l’anticléricalisme. Le religieux interprété par John Malkovich y apparaît certes comme un sauveur. Cependant, il s’agit d’un Pasteur, affranchi, par définition, de toute contrainte hiérarchique. En outre, son comportement de « croisé cathodique », prêt à tout pour faire triompher le Bien, fait de lui un être en marge d’un monde spirituel coutumier de l’effacement, voire, de la soumission.

[7] Titre qui résonne comme une mise en garde contre les dérives absolutistes du Pouvoir politique.

[8] La seule dérogation au principe est Nelson Mandela, dans Invictus. Toutefois, vingt-six années de prison pour délit d’opinion ont fait du grand homme un Président d’exception…

[9] L’esclavagisme ayant été un élément secondaire dans le déclenchement du conflit, par rapport à l’épineuse question de la répartition des pouvoirs entre Etat fédéral et Etats fédérés.

[10] Cette tournure est d’ailleurs un euphémisme, dans la mesure où le film décrit les Fédérés comme des pillards, des violeurs et des assassins sans foi ni loi, capables d’exécuter des Confédérés repentis au moment même ou ces derniers prononcent le serment de fidélité à l’Union.

[11] Ici considéré au sens Européen et non, Américain du terme.

[12] En Philosophie du Droit, ce pouvoir se nomme « la compétence de la compétence ». Il s’identifie à une capacité de décider en dernier ressort.

[13] Le penseur libéral Jacques Garello a parfaitement résumé ces principes dans le numéro 623 du périodique La Nouvelle Lettre : « Les Libéraux sont unanimes pour repousser l’idée de Souveraineté, qui suppose que dans une société donnée, la seule source de droit et de légitimité juridique soit celle du Politique. Que ce soit au nom de Dieu ou au nom du Peuple, aucun absolutisme ne saurait être admis, car le Pouvoir n’est qu’au service de la personne humaine et du respect de ses droits individuels, antérieurs et supérieurs à toute législation, à toute élection, à toute planification ». Précisons que dans la première phrase, la condamnation de la Souveraineté ne concerne que Dieu, la Nation et le Peuple. La Souveraineté de l’Individu, elle, est reconnue et exaltée par tous les Libéraux.

[14] Qu’il s’agisse de la Justice (Minuit dans le jardin du Bien et du Mal, Jugé coupable…), de la Police (Le retour de l’Inspecteur Harry, Pale Rider, Créance de sang, L’échange…), d’une municipalité (L’homme des Hautes Plaines…), de la Production musicale et cinématographique (Bird, Chasseur blanc, cœur noir), de la hiérarchie militaire (Le maître de guerre, Mémoires de nos pères, Les lettres d’Iwo Jima), ou même, de la NASA (Space cowboys), presque tous les systèmes de pouvoir sont visés et placés en situation d’infériorité par rapport à des personnages héroïques, dont le salut dépend d’initiatives purement individuelles.

[15] Ainsi, on remarquera que dans Jugé coupable ou encore, dans L’échange, les héros doivent l’essentiel de leur bonne fortune à des journalistes et non, aux institutions qui étaient pourtant en charge de leur protection (Justice, Police, système sanitaire…).

[16] Précisons, sous le contrôle du Professeur Rosanvallon, que la distinction fréquemment opérée entre libéralisme économique et libéralisme politique est en grande partie dénuée de fondement (cf. Le libéralisme économique. Histoire de l’idée de Marché, Paris Editions du Seuil, 1989).

[17] A telle enseigne que l’action se déroule dans une ville dont le nom, Lago, rappelle étrangement celui du traître qui œuvre à la perte d’Othello, le héros mythique de William Shakespeare.

[18] Si infernal que le personnage incarné par Clint Eastwood, faux sauveur mais authentique fossoyeur des méchants, rebaptise « Hell » la ville maudite de Lago et ordonne à ses habitants de repeindre tous les bâtiments en rouge vif…

[19] Rétrospectivement, on peut d’ailleurs penser que cette triste nécessité est la cause du dédain que des personnages comme Josey Wales ou l’homme des hautes plaines vouent à la majeure partie de leurs contemporains : si ces derniers étaient assez raisonnables pour dominer leurs passions, l’Homme aurait « le pouvoir de se passer de Pouvoir »…

[20] Notons qu’en Anglais, « équilibre » se dit « balance ». Cette correspondance ne saurait être un hasard…

[21] A cette occasion, on remarquera que chez Eastwood, les mots prononcés à la fin des films revêtent une importance capitale. Dans le cas d’Un monde parfait, cet intérêt a été occulté par l’image, magnifique et néanmoins secondaire, du « mort qui sourit sous une pluie de billets de banque ».

[22] La recherche de l’équilibre.

[23] La balance est en effet le symbole immémorial de la Justice. Or, l’étymologie nous enseigne qu’elle est également à la racine du mot « équilibre » (« équilibre » venant d’ « aequus » et de « libra » qui, en Latin, signifient respectivement « égal » et « balance ».) En conséquence, la quête de justice apparaît comme le prolongement naturel de la recherche d’équilibre. Ceci confirme, si besoin en était, que la trajectoire intellectuelle et artistique de Clint Eastwood est parfaitement cohérente.

[24] Certains diront « archaïque ».

[25] Maxime à partir de laquelle fut également instituée la séparation entre les Pouvoirs Spirituel et Temporel.

[26] Photographie truquée et diffusée à des fins publicitaires, dans le seul but d’inciter le peuple Américain à soutenir l’effort de guerre des Etats-Unis.

[27] Signe de son innocence fondamentale, le personnage interprété par Sean Penn porte une énorme croix, tatouée sur son dos. Malgré ses crimes, il pourra, lui aussi, laver ses péchés dans la rivière Mystic, symbole du pardon divin.

[28] Le principe est « universel », en ce sens qu’il s’applique à tous, sans distinction.

[29] Jimmy Marcum (alias Sean Penn), héros tragique de Mystic River, est le seul qui déroge à la règle. Il ne doit cependant son salut qu’à la coresponsabilité de Dieu dans la commission de ses crimes (cf. supra).

[30] Respect des libertés publiques, protection des droits de la Défense

[31] Ou plus exactement, le faux Pasteur.

[32] A cette occasion, on observera que ce film a décidément une importance fondamentale dans l’œuvre d’Eastwood.

[33] Dans le film, leur fiabilité est d’autant plus sujette à caution qu’ils ont été choisis dans la population de l’extravagante Savannah. La personnalité la plus en vue de ces insolites citoyens est d’ailleurs un vieillard à demi fou, qui menace de « tuer tout le monde » en vidant, dans les canalisations d’eau de la ville, le contenu de la fiole de poison qu’il porte constamment sur lui.

[34] Cette idée est la conséquence directe du relativisme d’Eastwood (cf. supra).

[35] La seule exception à la règle apparaît dans L’échange. On objectera cependant que si la Justice sanctionne bel et bien le psychopathe et les policiers responsables de la mort des enfants, elle ne parvient pas à faire toute la lumière sur le sort de Walter Collins, le fils de l’héroïne. En outre, il convient de souligner que l’Institution s’est mise en branle sous l’impulsion décisive de la Presse (elle-même guidée par le Pasteur charismatique incarné par John Malkovich) et qu’elle agit de surcroît sous l’étroite surveillance de l’opinion publique (le prétoire étant présenté comme un théâtre, où l’assistance joue le rôle d’un témoin de moralité).

[36] Abusé par un Avocat roublard, ce dernier l’avait en effet acquitté.

[37] Spectre dont les connaisseurs apprécieront la dimension shakespearienne.

[38] Josey Wales, le franc-tireur légendaire que nul ne peut arrêter, en est l’exemple le plus saisissant.

[39] Cf. L’Homme des Hautes Plaines, Impitoyable

[40] Le phénomène se produit explicitement dans Minuit dans le jardin du Bien et du Mal. Bien qu’implicite, il est tout aussi perceptible dans Jugé coupable, où le personnage incarné par Eastwood mène une enquête qui ne pourrait aboutir, sans la contribution post-mortem d’une journaliste décédée.

[41] Choisi de tourner et non, écrit, car s’il apporte parfois des modifications aux histoires qu’on lui propose, Clint Eastwood n’est pas scénariste.

[42] Dans Honkytonk Man, Un monde parfait et Million dollar baby, le héros forme ainsi une nouvelle cellule familiale avec son neveu, son otage et son élève. Dans Josey Wales, hors-la-loi, il s’installe dans le ranch d’une famille d’immigrants, venue du Kansas.

[43] Pour information, Clint Eastwood est lui-même un fin mélomane.

[44] Et, par extension, notre vie à tous…

[45] Le personnage qu’incarne Tommy Lee Jones est atteint d’un cancer du pancréas.

[46] Alias Morgan Freeman qui fut, quelques années plus tard, l’interprète de Nelson Mandela dans Invictus.

[47] Par exemple, le champ de bataille d’Iwo Jima ou le Los Angeles de l’entre-deux guerres, dans L’échange.




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