Le sexe fuyant

Jacques Dufresne
Avant de parler du condom, il faudrait parler de responsabilité. Mais il est plus facile d'éviter une grossesse non désirée que de changer les êtres. Le premier problème peut se régler de manière technique (rapide et efficace) alors que le second demande toute une vie.
Dans La Presse du 9 février, on pouvait voir la photo d'un pasteur américain distribuant des condoms à ses fidèles. Au Québec, la panique n'a atteint que les écoles, mais l'inquiétude monte dans la population, sous l'effet cumulatif des messages concernant le SIDA, les autres MTS, les risque de grossesse ou d'infertilité.

    Et le spectre de l'infanticide vient de surgir à l'horizon. Le bruit court en effet, sans qu'on puisse étayer cette rumeur sur des statistiques solides, que les cas d'infanticides et de meurtres d'enfants seraient actuellement à la hausse au Québec. Sur ce phénomène, encore très peu fréquent dans la pire des hypothèses, on sait au moins une chose: la plupart du temps ce sont de jeunes femmes vivant seules avec leur enfant qui sont réduites à cette extrémité.

    Nous, les hommes, nous ne sommes plus le sexe fort mais le sexe fuyant. À la fuite devant la femme, dénoncée jadis par le psychiatre Karl Stern, a succédé la fuite devant les responsabilités liées à l'amour, ce qui revient au même. On se prend à souhaiter le retour des moeurs traditionnelles en cette matière ou même l'importation des moeurs corses dans nos contrées. Dans ce pays, les parents de la jeune fille abandonnée pourchassaient le père fuyard jusqu'à ce que mort s'ensuive.

    Avant les condoms, c'est l'idée de la responsabilité du mâle qu'on devrait répandre dans les écoles et les églises. En ayant d'abord en vue la santé morale et psychologique des jeunes mâles. On peut en effet tenir pour acquis que la responsabilité est au centre de l'image positive qu'un homme peut avoir de lui-même.

    Cette image est aujourd'hui atteinte de deux façons. D'abord par le fait que, le plus souvent, la responsabilité de la contraception, de l'avortement ou de l'enfant est assumée par la femme seule, qui en est parfois réduite à l'infanticide. Certes, la génération au pouvoir a trop souvent donné l'exemple de l'irresponsabilité en cette matière. Ce n'est pas une raison suffisante pour encourager les jeunes à suivre la même pente en descendant. Cette pente, il faudra bien commencer à la remonter un jour ou l'autre. Je me demande parfois, si, dans le cas de l'avortement par exemple, il ne faudrait pas aller jusqu'à faire payer les frais médicaux par les pères fuyards, quel que soit leur âge. La jeune fille a déjà eu dans son corps sa part des conséquences de l'acte posé en commun. Il n'est pas juste que celle de l'homme soit assumée par la société, surtout à un moment où cette dernière ne parvient pas à subvenir aux besoins des pauvres et des malades.

    L'image que l'homme a de lui-même est aussi atteinte d'une façon plus subtile, mais peut-être plus corrosive pour cette raison même, par le fait que les filles, les plus jeunes du moins, ne tirent qu'une médiocre satisfaction de leurs ébats amoureux. Le souci que la société se donne pour prévenir et guérir les maux liés à la sexualité n'est en effet nullement compensé par le plaisir qu'en tirent celles qui en sont les première victimes. 70% des adolescentes n'éprouvent aucun plaisir en faisant l'amour et plusieurs d'entre elles sont battues par leurs partenaires. Plus du tiers dans le cas des adolescentes de milieu perturbé. (Relire l'excellent article de Monique de Gramont dans le Châtelaine de février 1986.)

    Il y a là de quoi briser non seulement l'image mais aussi la réalité des hommes. Il semble que de plus en plus de jeunes gens abordent la vie avec un profond malaise, comme en témoigne notamment le taux de suicide dans leur cas. Ne faut-il pas chercher la première cause de ce phénomène dans les échecs amoureux? On a beau être jeune, penser que ses extases se communiquent magiquement à la femme, on a beau tout ignorer du corps et de l'âme de cette dernière, on a tout de même une vague perception de l'échec amoureux, et cet échec laisse quelques traces, qui infectent bientôt toute la personne si l'on n'y prend garde. On ne peut accumuler les fiascos de ce genre sans en être affecté.

    Le flambeau de la responsabilité est passé dans le camp des femmes au cours des dernières décennies. S'il y a encore des hommes qui se souviennent de ce qui a fait la force de leur sexe dans le passé, peut-être verront-ils l'urgence d'un redressement moral au terme duquel ils auront repris une partie du terrain perdu. À moins qu'il faille en conclure que l'homme perd fatalement tout sens des responsabilités en perdant le caractère absolu de son pouvoir.

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