Origines des trois ordres classiques

Vitruve
Texte classique où Vitruve relate les origines des ordres dorique, ionique et corinthien. Il fait voir comment les architectes grecs ont puisé à même la nature leur inspiration.
LIVRE QUATRIÈME
(Extrait)
I. Des trois ordres de colonnes, de leur origine
et de la proportion du chapiteau corinthien.


Les colonnes corinthiennes ont les mêmes proportions que les colonnes ioniques, à l'exception du chapiteau dont la grandeur fait qu'elles sont, à proportion, plus hautes et plus déliées, puisque la hauteur du chapiteau ionique n'est que de la troisième partie du diamètre de la colonne, tandis que celle du chapiteau corinthien en a le diamètre tout entier. Cette différence en plus de deux parties de diamètre donne à la colonne corinthienne une hauteur qui la fait paraître plus délicate.
Les autres membres qui portent sur les colonnes corinthiennes empruntent leurs proportions et leur ordonnance à l'ordre dorique ou ionique. C'est que l'ordre corinthien n'a point de règles qui soient particulières à sa corniche, ni à ses autres ornements: l'ordre dorique prête à sa corniche les mutules qui conviennent aux triglyphes, et des gouttes à son architrave, et il doit à l'ordre ionique sa frise ornée de sculptures, et sa corniche avec des denticules.
Des deux ordres on a donc formé un troisième, n'ayant que le chapiteau qui lui appartienne. La forme des colonnes a fait naître trois ordres nommés dorique, ionique et corinthien: la première et la plus ancienne est la colonne dorique. L'Achaïe et tout le Péloponnèse furent gouvernés par Dorus, fils de Hellen et de la nymphe Orséide, et ce roi fit bâtir dans l'ancienne ville d'Argos, dans un lieu consacré à Junon, un temple qui se trouva par hasard être dans le genre qu'on appela dorique. On suivit ce modèle dans les autres villes d'Achaïe, à une époque où l'architecture n'était point encore une science.
Après avoir consulté l'oracle d'Apollon, à Delphes, les Athéniens, de concert avec toutes les villes de la Grèce, envoyèrent d'une seule fois, en Asie, treize colonies, ayant chacune son chef particulier. Le commandement général fut confié au fils de Xuthus et de Créuse, à Ion qu'Apollon de Delphes avait, par son oracle, reconnu pour son propre fils. Ce fut lui qui conduisit les colonies en Asie, et qui, après s'être emparé de la Carie, y fonda treize villes fameuses: Éphèse, Milet, Myonte, qui fut un jour engloutie par la mer, et dont les Ioniens transférèrent tous les droits aux Milésiens; Priène, Samos, Téos, Colophon, Chios, Érythrée, Phocée, Clazomène, Lébédos et Mélite. L'arrogance des habitants de cette dernière ville provoqua la vengeance des autres cités, qui, lui ayant déclaré la guerre, la ruinèrent d'un commun accord. Elle fut remplacée dans la suite, grâce au roi Attale et à Arsinoé, par la ville de Smyrne, qui fit partie de la confédération ionienne.
Après l'expulsion des Cariens et des Lélèges, ces treize villes appelèrent le pays Ionie, en l'honneur d'Ion, leur chef, et se mirent à bâtir des temples aux dieux immortels dans les lieux qu'ils avaient consacrés. Le premier qu'elles construisirent fut dédié à Apollon Panionius. On le bâtit dans le genre de ceux qu'on avait vus en Achaïe, et ce genre, fut appelé dorique, parce que les villes des Doriens leur en avaient présenté de pareils.
Lorsqu'il fut question d'élever les colonnes de ce temple, comme on ne savait pas bien quelles proportions il fallait leur donner, on chercha les moyens de les rendre assez solides pour qu'elles pussent supporter le fardeau de l'édifice, sans rien perdre de la beauté du coup d'œil. Pour cela on eut recours à la longueur du pied de l'homme qui fut comparée à la hauteur de son corps. C'est sur cette proportion que fut formée la colonne; la mesure du diamètre qu'on donna au bas du fût, on la répéta six fois pour en faire la hauteur, y compris le chapiteau. Ainsi commença à paraître, dans les édifices, la colonne dorique offrant la proportion, la force et la beauté du corps de l'homme.
Plus tard ils élevèrent un temple à Diane, et, cherchant pour les colonnes quelque nouvel agrément, ils leur donnèrent, d'après la même méthode, toute la délicatesse du corps de la femme, Ils prirent d'abord la huitième partie de leur hauteur pour en faire le diamètre, afin qu'elles s'élevassent avec plus de grâce. On les plaça sur des bases en forme de spirale, qui figuraient la chaussure; le chapiteau fut orné de volutes qui représentaient la chevelure dont les boucles tombent en ondoyant à droite et à gauche; des cimaises et des festons, semblables à des cheveux ajustés avec art, vinrent parer le front des colonnes, et du haut de leur tige jusqu'au bas descendirent des cannelures, à l'imitation des plis que l'où voit aux robes des dames. Ainsi furent inventés ces deux genres de colonnes: l'un emprunta au corps de l'homme sa noblesse et sa simplicité, l'autre à celui de la femme, sa délicatesse, ses ornements, sa grâce.
Dans la suite le goût et le jugement se perfectionnèrent; l'élégance des petits modules eut de la vogue, et l'on donna à la hauteur de la colonne dorique sept de ses diamètres, et huit et demi à la colonne ionique. Cette colonne, dont les Ioniens furent les inventeurs, fut appelée ionique. La troisième, qu'on nomme corinthienne, représente toute la grâce d'une jeune fille, à laquelle un âge plus tendre donne des formes plus déliées, et dont la parure vient encore augmenter la beauté.
Voici l'anecdote que l'on raconte au sujet de l'invention du chapiteau de cette colonne. Une jeune fille de Corinthe, arrivée à l'âge nubile, fut atteinte d'une maladie qui l'emporta; après sa mort, de petits vases qu'elle avait aimés pendant sa vie, furent recueillis par sa nourrice, arrangés dans une corbeille, et déposés sur sa tombe, et pour qu'ils se conservassent plus longtemps au grand air, elle les recouvrit d'une tuile. Cette corbeille avait été par hasard placée sur une racine d'acanthe. Pressée par le poids qui pesait en plein sur elle, cette racine d'acanthe poussa vers le printemps des tiges et des feuilles. Ces tiges grandirent tout autour de la corbeille, puis rencontrant aux angles de la tuile une résistance qui les comprimait, elles furent forcées à leur extrémité de se recourber en forme de rouleau.
Le sculpteur Callimaque, que l'élégance et la délicatesse de son ciseau firent nommer chez les Grecs [premier ouvrier], passant auprès de ce tombeau, aperçut ce panier et les feuilles qui l'entouraient d'une manière si gracieuse. Charmé de cette forme nouvelle, il l'adopta pour les colonnes qu'il éleva a Corinthe. Ce fut d'après ce modèle qu'il établit et régla les proportions de l'ordre corinthien.

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