De Kaboul au Kosovo

Negovan Rajic
L'auteur dénonce l'inertie des troupes des Nations Unies devant la destruction au Kosovo par des Albanais des églises orthodoxes dont certaines remontent au Moyen Âge. Il y avait là, contrairement à la situation en Afghanistan, toutes les possibilités d'intervention.



De Kaboul au Kosovo

Negovan Rajic

La destruction barbare des bouddhas géants en Afghanistan a provoqué, à juste titre, un tollé de protestations dans le monde. Qu'ils soient croyants ou non, tous les hommes civilisés ressentiront douloureusement ce geste comme un affront intolérable à la culture. Il s'agit non seulement d'une atteinte au patrimoine artistique de l'humanité, mais aussi à son histoire et à sa mémoire collective.

Malheureusement, à l'heure où j'écris ces lignes, les Talibans ont déjà transformé en un tas de pierres ces falaises de grès auxquelles les pieux moines bouddhistes avaient jadis insufflé une âme. Aucune grande puissance n'avait osé envoyer ses troupes dans le guêpier afghan pour sauver ces trésors inestimables. Si à la limite cela peut se justifier par souci d'épargner des vies humaines, on ne peut comprendre comment au Kosovo, au cœur de l'Europe, et en présence des troupes des Nations Unies, l'Occident puisse assister, sans broncher, à la destruction des monuments d'une civilisation qui en fin de compte lui appartient. Qui peut croire les commandants de la KFOR, disposant d'une armée de 40 000 soldats et de 2 000 policiers sur un territoire ne dépassant pas celui d'un département français, quand ils prétendent n'avoir pas de moyens suffisants pour protéger les populations serbes des extrémistes albanais et empêcher la destruction d'une centaine d'églises chrétiennes dont certaines étaient ornées de fresques admirables datant du Moyen Âge? Comment cela se fait-il que les dirigeants occidentaux et ces intellectuels qui encore hier satanisaient les Serbes, en les accusant de tous les crimes possibles, se taisent aujourd'hui lâchement?

Combien de temps l'Occident pourra-t-il fermer les yeux devant une réalité qui demain risque de le rattraper comme elle a rattrapé jadis les dirigeants nazis. Non, demain, ses dirigeants n'auront pas le droit de dire: nous ne savions pas. Les églises orthodoxes sont détruites à la dynamite, les maisons serbes incendiées et les vieux cimetières profanés en présence des troupes de la communauté internationale, celle-là même qui prétend s'ériger en juge suprême du bien et du mal.

Comble de cynisme ou d'inconscience, on nous dit maintenant que le commandant des troupes alliées au Kosovo, complice des terroristes, songe à confier la garde des monastères orthodoxes, encore debout, aux anciens soldats de l'UCK! Hitler lui-même n'avait pas osé pousser la perfidie jusqu'à confier la protection des synagogues aux formations des SS! Si la nouvelle se confirme, il faudra mettre une croix sur les derniers vestiges de ces joyaux d'art médiéval, protégés par l'UNESCO et témoins muets d'une civilisation mise à mort comme les bouddhas géants.

Mais ne nous trompons pas, leur disparition sera aussi notre défaite morale et les puissants de ce monde n'auront pas la conscience tranquille en essayant de nous persuader que cette destruction est ce que les Serbes ont mérité par leurs crimes, car qui, à l'heure où les grandes compagnies pétrolières élaborent déjà des plans pour sillonner de pipelines la péninsule balkanique, pourra encore croire que la guerre contre la Yougoslavie fut une guerre humanitaire?

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