Adeline Virginia Stephen (25 janvier 1882 - 28 mars 1941) est la fille de Leslie Stephen, philosophe, critique littéraire et éditeur du Dictionary of National Biography, et de Julia Jackson. De son premier mariage, Julia eut une fille, Stella, et deux fils, George et Gerald, tous beaucoup plus âgés que Virginia. Leslie et Julia eurent quatre enfants: Vanessa, Thoby, Virginia et Adrian. Les enfants des deux mariages furent élevés ensemble à la maison des Stephen, 22 Hyde Park Gate, près de Kensington Gardens. Dans cette maison régnait une atmosphère chaleureuse et intimiste qui a favorisé, entre les enfants, des courants d’attirance sexuelle réciproque. Il est prouvé hors de tout doute que George, et probablement Gerald aussi, a fait des avances à Virginia, de sa treizième jusqu’à sa vingtième année. Peu après la mort de sa mère, en 1895, Virginia connut sa première dépression à l’âge de treize ans. Elle passa alors par une crise d’autocritique morbide et se reprocha sa vanité et son égoïsme. Elle s’estima inférieure à sa sœur Vanessa et se révéla très irritable. Son père mourut du cancer en 1904, à la maison, après une longue maladie. Trois mois plus tard, souffrant d’une dépression* plus grave encore que la première, elle tenta de se suicider en sautant par la fenêtre. Après sa convalescence, Vanessa, Thoby, Adrian et Virginia aménagèrent à Bloomsbury où commence le Bloomsbury Group, un cercle privé de discussion, composé, pour une bonne part, d’amis de Thoby et auquel appartenait Leonard Woolf, le futur mari de Virginia. En 1906, les Stephen partirent en voyage en Grèce. À leur retour, Thoby succomba à la typhoïde. Cette mort fut pour Virginia la plus traumatisante entre toutes, car elle était très attachée à son frère et se sentit coupable de sa disparition.
En 1912, elle épousa Leonard, journaliste politique. Leur union a duré jusqu’à la mort de Virginia, mais leurs relations sexuelles ont cessé, par mutuel consentement, six mois après leur mariage. Son mari a été pour elle un soutien moral considérable, même si elle lui reprocha de ne pas toujours comprendre ses difficultés émotionnelles. De 1913 à 1915, elle connut une période de grave dépression durant laquelle elle a presque complété son suicide en prenant une surdose de véronal. Traversant ensuite plusieurs autres crises, grâce à une volonté extraordinaire, elle réussit pourtant à produire une œuvre littéraire d’envergure. Sa personnalité acquit d’ailleurs une maturité et une autonomie* très fortes, assumant pleinement une vie loin de toute religion et de toute morale officielle. Au moment où elle terminait son dernier roman Entre les actes, le 13 janvier 1941, elle apprit la mort de James Joyce qui avait le même âge qu’elle, à quinze jours près. Elle déclina de jour en jour et refusa désormais de se faire soigner. Le 28 mars 1941, elle se jeta dans l’Ouse, à proximité de sa maison dans le village de Rodmell, Sussex. Elle n’a pas su maintenir l’espoir que les hommes et les femmes abandonneront leur animosité réciproque ou que la raison et la bonne volonté dissiperont l’autoritarisme d’une société masculine par trop hiérarchisée. Les événements qui ont conduit à la seconde guerre mondiale et la guerre elle-même ont détruit, dans une nature aussi dépressive que la sienne, tout sens d’optimisme (J. R. Maze, Virginia Woolf, Feminism, Creativity, and the Unconscious, Westport (Conn.) et Londres, Greenwood Press, 1997, p. 9).
Trois jours avant de se suicider, elle écrit à son mari une lettre d’adieu*: «Chéri, Je suis certaine que je redeviens folle. Je pense que nous ne pourrons pas vivre une seconde fois une épreuve aussi terrible. Et cette fois, je ne m’en sortirai pas. Je commence à entendre des voix et je ne peux plus me concentrer. Alors je vais faire ce qui me semble la meilleure chose à faire. Tu m’as donné le plus grand bonheur qui soit. Tu as été plus parfait que n’importe qui. Je ne crois pas que deux personnes aient été plus heureuses que nous jusqu’à ce que cette terrible maladie me frappe. Je ne peux plus combattre. Je sais que je gâche ta vie et que sans moi, tu pourrais travailler. Et tu le feras, je le sais. Tu vois, je n’arrive même pas à m’exprimer correctement. Je ne peux plus lire. Ce que je veux te dire c’est que je te dois tout le bonheur que j’ai connu. Tu as été totalement patient envers moi et incroyablement bon. Je tiens à le dire — le monde le sait. Si quelqu’un avait encore pu me sauver, cela aurait été toi. Tout m’échappe sauf la certitude de ta bonté. Je ne peux plus continuer à gâcher ta vie.» Et elle ajoute: «Je ne crois pas que deux personnes puissent être plus heureuses que nous ne l’avons été» (P. Rose, Virginia Woolf. Qui êtes-vous? Lyon, La Manufacture, 1987, p. 302-303). À propos de cette lettre, sa biographe écrit: «Elle témoigne de discipline, de rationalisme, du souci de ceux qu’elle abandonne, de sa dignité professionnelle. C’étaient des qualités qui ont marqué sa vie. Pour ne pas les perdre, elle se suicida. Et bien que ce soit la peur de la folie qui l’ait conduite au suicide, son suicide lui-même ne fut pas tant un acte de folie qu’une dernière et suprême tentative de discipline. […] Certains suicides paraissent plus rationnels que d’autres […]. Mais devenir fou est une souffrance réelle que l’on peut très bien ne pas vouloir supporter deux fois» (ibid.).
Dans My Madness Saved Me: The Madness And Marriage of Virginia Woolf, (Transaction Publishers, Somerset, New Jersey, 2006, Dr Thomas Szasz s'est donné comme tâche de scruter les constructions socioculturelles du caractère de Virginia Woolf, de son mariage et de son sort d'être malgré sa créativité et son imagination, une «femme victorienne».
À consulter: Fabienne Brugère, «Mrs Dalloway ou le temps de la littérature», la revue Esprit, La pensée Ricoeur, mars-avril 2006. «Comment comprendre le rapport du récit au temps? Tel est le propos de Ricœur lorsqu’il s’attache à l’analyse de Mrs Dalloway de Virginia Woolf dans Temps et récit 2. Le philosophe découvre des matériaux littéraires propres pour dire le temps, des techniques narratives subtiles qui permettent de faire varier, chez Woolf, les combinaisons du temps intérieur et du temps extérieur ».
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