Gustavo Turecki est directeur du Groupe McGill d’études sur le suicide (GMES), centre ayant pour objectif la tenue d’études multidisciplinaires sur les facteurs de risques biologiques, comportementaux, cliniques et psychosociaux liés au suicide. Présentement, cinq chercheurs et 40 personnes travaillent au GMES. Les suicides et les tentatives de suicide*sont des problèmes majeurs de notre société. Il devient essentiel de comprendre, de prévenir et de traiter les comportements suicidaires. Les personnes qui souffrent de dépression* majeure sont particulièrement à risque. Les études de Gustavo Turecki, M.D., Ph.D., visent à mieux comprendre les caractéristiques de ces personnes en se basant sur des facteurs de risques biologiques et cliniques. À travers ses travaux, Gustavo Turecki pose la question suivante : « Pourquoi est-ce que certains patients en dépression se suicident alors que d’autres, souffrant de la même maladie, ne le font pas? ». À l’échelon biologique, Gustavo Turecki enquête sur la neurobiologie du suicide, et tente d’identifier les changements moléculaires qui se produisent dans le cerveau des personnes qui sont désespérées et tristes au point de se suicider.
Les enfants maltraités courent beaucoup plus de risque de mettre fin à leurs jours à l’âge adulte. Et pour cause, les traumatismes dont ils ont été victimes sont inscrits dans leur cerveau. Des chercheurs montréalais (psychiatrie - Université McGill) ont découvert que le suicide était écrit dans le cerveau de ces hommes dont l’enfance avait été ponctuée de sévères épisodes de maltraitance. «Nous avons observé dans le cerveau d’hommes maltraités durant leur enfance, des marques qui n’apparaissent pas chez les hommes qui n’ont pas été victimes de violence en bas âge», relate Gustavo Turecki, psychiatre à l’Institut en santé mentale Douglas, à Montréal, et directeur du groupe McGill d’études sur le suicide. Des marques épigénétiques.
L'’épigénétique est l’étude de ce qui peut modifier, non pas nos gènes eux-mêmes, mais leur expression (voir l’encadré à la page 48). Ainsi, les mauvais traitements atténueraient l’expression de certains gènes jouant un rôle fondamental dans notre résistance au stress. Publiés dans Nature Neuroscience, en mars 2009, les résultats de l’étude, à laquelle participaient aussi les chercheurs Michael Meaney, Moshe Szyf et Patrick McGowan, éclairent d’une manière inattendue ce que psychiatres et psychologues observent depuis longtemps dans le secret de leur cabinet. «Les traumatismes précoces ont un impact important sur les relations interpersonnelles à l’âge adulte et sur la capacité à surmonter les difficultés. On sait notamment qu’un environnement nocif au début de la vie augmente le risque suicidaire», rappelle le docteur Turecki.
Dans un autre laboratoire du Douglas, Michael Meaney, directeur du Programme de recherche sur le comportement, les gènes et l’environnement à l’Université McGill, s’intéresse à l’impact des soins maternels sur le développement des bébés rats. En 2001, il a démontré, dans Annual Review of Neuroscience, l’importance du léchage et des câlins pour ces rongeurs. Les rats aiment se faire cajoler. Ces contacts physiques répétés les équipent pour affronter la vie. Michael Meaney a ainsi découvert que les ratons abondamment léchés par leur maman réagissent beaucoup mieux au stress.
Mais qu’en est-il des humains? Pour reproduire l’expérience de son collègue, Gustavo Turecki disposait d’un matériel de choix. Dans les sous-sols labyrinthiques de l’hôpital Douglas on «garde dans des congélateurs à -80 °C près de 1 000 cerveaux que des hommes et des femmes ont légués à la science», précise Ruth Sawicki. Près de 200 spécimens ont été prélevés sur des gens qui ont mis fin à leurs jours et constituent la banque des suicides du Québec. «Nous avons étudié 36 cerveaux. Douze provenaient d’individus qui avaient été maltraités durant leur enfance et se sont suicidés à l’âge adulte; 12, d’hommes qui se sont suicidés, mais n’avaient pas été maltraités; et 12 d’individus sans histoire de maltraitance, morts à la suite d’une maladie ou d’un accident.»
L’étude réalisée à Montréal – sur un échantillon certes restreint – ouvre de vastes perspectives et promet de reléguer aux oubliettes le vieux débat entre le rôle du biologique et du social dans le développement des individus. «La psychiatrie est un domaine très divisé depuis les cinquante dernières années, explique Gustavo Turecki. Il y a ceux qui privilégient l’aspect biologique des troubles mentaux; c’est une façon très déterministe de voir les choses. Et il y a l’approche psychologique qui accorde davantage d’importance aux facteurs sociaux et aux événements de la vie. Nos travaux permettent d’établir un dialogue entre les deux.»
«Nos études nous indiquent que les modifications épigénétiques pourraient être réversibles», explique Michael Meaney, par des thérapies adéquates et, peut-être un jour, par des traitements pharmacologiques. «Dans le domaine du cancer, on travaille déjà sur des médicaments qui pourraient inverser les effets épigénétiques en activant ou en désactivant certains gènes», affirme le docteur Moshe Szyf, du département de pharmacologie de l’Université McGill, et cheercheur dans le domaine de l’épigénétique.
Notre ADN est immuable, mais il est soumis à des «influences» extérieures qui peuvent changer notre vie! Des traumatismes infantiles, mais aussi l’exposition prolongée à des radiations ou à des substances nocives, peuvent influencer l’expression de nos gènes. Ces influences se font sentir lors d’un processus appelé méthylation, au cours duquel le revêtement biochimique de nos gènes est modifié. Plus les expériences traumatiques ou l’exposition à des substances nocives sont précoces, plus la méthylation est importante. Et plus la méthylation d’un gène est importante, moins celui-ci s’exprime. On savait déjà que ce silence pouvait participer au déclenchement de certains cancers; on croit maintenant qu’il peut mener au suicide.
Texte intégral: Pascale Milot, «Une épine dans la tête»
http://www.cybersciences.org/cyber/fr/magazine/
fevrier_2010/les_10_decouvertes_de_l_annee_2009/une_epine_dans_la_tete.html
L'’épigénétique est l’étude de ce qui peut modifier, non pas nos gènes eux-mêmes, mais leur expression (voir l’encadré à la page 48). Ainsi, les mauvais traitements atténueraient l’expression de certains gènes jouant un rôle fondamental dans notre résistance au stress. Publiés dans Nature Neuroscience, en mars 2009, les résultats de l’étude, à laquelle participaient aussi les chercheurs Michael Meaney, Moshe Szyf et Patrick McGowan, éclairent d’une manière inattendue ce que psychiatres et psychologues observent depuis longtemps dans le secret de leur cabinet. «Les traumatismes précoces ont un impact important sur les relations interpersonnelles à l’âge adulte et sur la capacité à surmonter les difficultés. On sait notamment qu’un environnement nocif au début de la vie augmente le risque suicidaire», rappelle le docteur Turecki.
Dans un autre laboratoire du Douglas, Michael Meaney, directeur du Programme de recherche sur le comportement, les gènes et l’environnement à l’Université McGill, s’intéresse à l’impact des soins maternels sur le développement des bébés rats. En 2001, il a démontré, dans Annual Review of Neuroscience, l’importance du léchage et des câlins pour ces rongeurs. Les rats aiment se faire cajoler. Ces contacts physiques répétés les équipent pour affronter la vie. Michael Meaney a ainsi découvert que les ratons abondamment léchés par leur maman réagissent beaucoup mieux au stress.
Mais qu’en est-il des humains? Pour reproduire l’expérience de son collègue, Gustavo Turecki disposait d’un matériel de choix. Dans les sous-sols labyrinthiques de l’hôpital Douglas on «garde dans des congélateurs à -80 °C près de 1 000 cerveaux que des hommes et des femmes ont légués à la science», précise Ruth Sawicki. Près de 200 spécimens ont été prélevés sur des gens qui ont mis fin à leurs jours et constituent la banque des suicides du Québec. «Nous avons étudié 36 cerveaux. Douze provenaient d’individus qui avaient été maltraités durant leur enfance et se sont suicidés à l’âge adulte; 12, d’hommes qui se sont suicidés, mais n’avaient pas été maltraités; et 12 d’individus sans histoire de maltraitance, morts à la suite d’une maladie ou d’un accident.»
L’étude réalisée à Montréal – sur un échantillon certes restreint – ouvre de vastes perspectives et promet de reléguer aux oubliettes le vieux débat entre le rôle du biologique et du social dans le développement des individus. «La psychiatrie est un domaine très divisé depuis les cinquante dernières années, explique Gustavo Turecki. Il y a ceux qui privilégient l’aspect biologique des troubles mentaux; c’est une façon très déterministe de voir les choses. Et il y a l’approche psychologique qui accorde davantage d’importance aux facteurs sociaux et aux événements de la vie. Nos travaux permettent d’établir un dialogue entre les deux.»
«Nos études nous indiquent que les modifications épigénétiques pourraient être réversibles», explique Michael Meaney, par des thérapies adéquates et, peut-être un jour, par des traitements pharmacologiques. «Dans le domaine du cancer, on travaille déjà sur des médicaments qui pourraient inverser les effets épigénétiques en activant ou en désactivant certains gènes», affirme le docteur Moshe Szyf, du département de pharmacologie de l’Université McGill, et cheercheur dans le domaine de l’épigénétique.
Notre ADN est immuable, mais il est soumis à des «influences» extérieures qui peuvent changer notre vie! Des traumatismes infantiles, mais aussi l’exposition prolongée à des radiations ou à des substances nocives, peuvent influencer l’expression de nos gènes. Ces influences se font sentir lors d’un processus appelé méthylation, au cours duquel le revêtement biochimique de nos gènes est modifié. Plus les expériences traumatiques ou l’exposition à des substances nocives sont précoces, plus la méthylation est importante. Et plus la méthylation d’un gène est importante, moins celui-ci s’exprime. On savait déjà que ce silence pouvait participer au déclenchement de certains cancers; on croit maintenant qu’il peut mener au suicide.
Texte intégral: Pascale Milot, «Une épine dans la tête»
http://www.cybersciences.org/cyber/fr/magazine/
fevrier_2010/les_10_decouvertes_de_l_annee_2009/une_epine_dans_la_tete.html