Jean-Jacques Rousseau et Bernardin de Saint-Pierre s'étaient donnés parole pour aller à Sèvres. Bernardin de Saint-Pierre n'y voit point Rousseau. Il lui écrit et lui donne rendez-vous dans la belle allée solitaire de Breteuil. Il y va, mais il ne le voit pas là non plus. Il le crut occupé ou fâché. Enfin, une rumeur lui apprend qu'il s'est retiré à la campagne, on ne sait pas trop où. Son ami se demande: «Que faisait-il? Préparait-il une apologie? Le persécutait-on? [...] J'aurais veillé sur ses jours. Avait-il fait une faute? J'aurais pleuré avec lui.» Jacques-Henri Bernardin de Saint-Pierre est un écrivain français, né le 19 janvier 1737 au Havre et mort le 21 janvier 1814 à Éragny-sur Oise.
«Ma lettre venait de partir: au milieu des rumeurs de la capitale, et des anxiétés de mon âme, ne sachant si je devais l'aimer, l'oublier, le regretter, ou le plaindre, j'ouvre le Journal de Paris, et j'apprends sa mort.
Les amis ordinaires ne sentent rien; un intime, si on l'avait sentirait trop. Il n'y a que la solitude, à la campagne, qui puisse calmer les peines profondes. Mais, ce que je n'avais jamais éprouvé, ce qu'il n'a pas éprouvé lui-même en mourant, c'est que la nature, qui nous conduit si rapidement de la vue de ses ouvrages au sentiment de la divinité, était insuffisante pour bannir de mon coeur le souvenir de sa perte. Les environs de Paris me représentaient les lieux où tant de fois nous nous étions promenés, ceux où il aimait à s'asseoir, ceux qui lui rappelaient les jours de son innocence. J'aurais été plus loin, les plantes dont la terre est couverte, qu'il m'apprenait à connaître, qu'il connaissait toutes, celles dont je me souvenais, et celles que j'avais oubliées, me disaient à chaque pas: - Vous ne le reverrez plus.
C'était pis dans la société: les calomnies passaient de la bouche du peuple dans celle des honnêtes gens, des honnêtes gens du monde qui, en les répétant, leur donnent du crédit, et qui, en assurant qu'ils ne les croient pas , les font toujours rouler.
Ne sachant où aller, fuyant les hommes qui me disaient du mal de mon ami, et la nature qui m'en disait trop de bien...
J'apprends par le Journal de Paris sa mort...
Quel chagrin donc a pu vous enlever à moi, fuyant toute consolation, tout consolateur...?
Cruel ami, quand vous... proposiez à ma plume faible de continuer votre Émile, un mois avant; que, par un de vos pressentiments, vous me dites: «Je mourrais content», je ne me croyais pas destiné à recueillir les restes de votre vie. Ah! loin de toucher à vos tableaux, souffrez que je jette quelques fleurs sur votre cercueil, que le temps couvrira de sa mousse vénérable; vous vivez dans vos écrits.
Les amis ordinaires ne sentent rien; un intime, si on l'avait sentirait trop. Il n'y a que la solitude, à la campagne, qui puisse calmer les peines profondes. Mais, ce que je n'avais jamais éprouvé, ce qu'il n'a pas éprouvé lui-même en mourant, c'est que la nature, qui nous conduit si rapidement de la vue de ses ouvrages au sentiment de la divinité, était insuffisante pour bannir de mon coeur le souvenir de sa perte. Les environs de Paris me représentaient les lieux où tant de fois nous nous étions promenés, ceux où il aimait à s'asseoir, ceux qui lui rappelaient les jours de son innocence. J'aurais été plus loin, les plantes dont la terre est couverte, qu'il m'apprenait à connaître, qu'il connaissait toutes, celles dont je me souvenais, et celles que j'avais oubliées, me disaient à chaque pas: - Vous ne le reverrez plus.
C'était pis dans la société: les calomnies passaient de la bouche du peuple dans celle des honnêtes gens, des honnêtes gens du monde qui, en les répétant, leur donnent du crédit, et qui, en assurant qu'ils ne les croient pas , les font toujours rouler.
Ne sachant où aller, fuyant les hommes qui me disaient du mal de mon ami, et la nature qui m'en disait trop de bien...
J'apprends par le Journal de Paris sa mort...
Quel chagrin donc a pu vous enlever à moi, fuyant toute consolation, tout consolateur...?
Cruel ami, quand vous... proposiez à ma plume faible de continuer votre Émile, un mois avant; que, par un de vos pressentiments, vous me dites: «Je mourrais content», je ne me croyais pas destiné à recueillir les restes de votre vie. Ah! loin de toucher à vos tableaux, souffrez que je jette quelques fleurs sur votre cercueil, que le temps couvrira de sa mousse vénérable; vous vivez dans vos écrits.