L'Encyclopédie sur la mort


Le Taurobole et le culte de Bellone

Franz Cumont, Le Taurobole et le culte de Bellone, in Revue d’Histoire et de Littérature religieuses, année et tome VI, 1901. Wikisource

Tous les écrivains qui se sont occupés des derniers siècles du paganisme, ont décrit la cérémonie du taurobole et insisté sur l’analogie des idées mystiques qu’on y attachait, avec certaines doctrines du christianisme [1]. Tous ont rappelé ce passage saisissant, où Prudence [2] nous dépeint le prêtre couché dans une fosse et recevant à travers un plancher à claire-voie le sang d’un taureau égorgé au-dessus de lui. « À travers les mille fentes du bois, la rosée sanglante coule dans la fosse. L’initié présente la tête à toutes les gouttes qui tombent, il y expose ses habits et tout son corps, qu’elles souillent. Il se renverse en arrière pour qu’elles arrosent ses joues, ses oreilles, ses lèvres, ses narines, il inonde ses yeux du liquide ; il n’épargne même pas son palais, mais humecte sa langue et boit avidement le sang noir [3]. » Après s’être soumis à cette répugnante aspersion, le célébrant ou plutôt le patient s’offrait à la vénération de la foule. On le croyait purifié de ses fautes par ce baptême, qui lui conférait pour vingt ans une vie nouvelle ou même le faisait « renaître pour l’éternité [4]. »

[...]

Nous sommes donc amenés à croire que le baptême de sang, dont l’origine nous échappait jusqu’ici, a primitivement appartenu au culte de la Bellone asiatique et qu’il est arrivé du fond de la Cappadoce chez les Romains. Des considérations d’un autre ordre, comme nous allons le voir, confirment cette conclusion.

[...]

Le terme de taurobolium, ταυροβόλιον, devenu usuel à la fin du paganisme, n’est ni du latin, ni du grec ; c’est un de ces composés approximatifs comme en forme — on dirait mieux : en déforme — l’étymologie populaire. L’idée qu’on a prétendu exprimer par ce vocable anormal est celle de « frapper un taureau », mais βάλλειν ne se dit que d’une arme de jet (cf. εκηβόλος, κεραυνοβόλος), et un dérivé de la même racine caractérise fort mal l’action d’égorger une victime à l’aide d’un couteau de sacrifice [27]. Nous n’en sommes pas réduits, comme dans la plupart des cas, à retrouver par conjecture le mot primitif sous l’altération vulgaire ; il nous est fourni par les textes eux-mêmes. Tauropolium est la forme qui apparaît dans la majorité des inscriptions les plus anciennes [28]. Qu’est-ce qu’un ταυροπόλιον ? C’est simplement un sacrifice offert à l’Artémis ταυροπόλος ou taurique [29], qui avait de nombreux adorateurs dans le monde hellénique et qu’on appelait par abréviation ή Ταυροπόλος, « le Tauropole [30]. »

Notes

PRUDENCE. Περὶ στεφ, X, 1011 s.
   1.    ↑ Je pense qu’il faut distinguer de ce rite un autre moins solennel, où le sang du taureau immolé était recueilli dans un crible et versé sur le fidèle. C’est ainsi que je comprends le taurobolium caerno perceptum, dont on donne d’ordinaire une autre explication. Cf. CAGNAT, Bull. arch. com. trac, hist., 1891, p. 529 et ZIPPEL, l. c, p. 508.
    2.    ↑ CIL VI, 510. In aeternum renatus. Des idées analogues avaient cours dans les mystères de Mithra (Myst. de Mithra, t. I, p. 188), cf. aussi APULÉE, Met., XI, 21.
    3.    ↑ Cf. Revue Archéologique, 1888, II, p. 132 ss. et mes Mystères de Mithra, t. I, p. 334 s.
    4.    ↑ J’ai déjà insisté sur ce fait dans la Revue de Philologie, t. XVII, 1893, p. 195.
    5.    ↑ Elle est constante dans la série des inscriptions de Lectoure, CIL, XIII, 505 s. Cf. aussi CIL XII, index p. 926. — Le criobolium, l’aemobolium sont des créations récentes imaginées à l’imitation du taurobolium. Le premier a pour but d’établir dans le rite le dualisme qui existait dans le mythe de Cybèle et d’Attis.
    6.    ↑ HESYCHIUS s. v. ταυροπόλια ἃ εἰς ἑορτὴν ἄγουσιν Ἀρτέµιδι. Cf. LEBAS-WADDINGTON, n" 741. — Son temple est aussi un ταυροπόλιον. Cf. STRABON, 639, C, cf. 766, C.
    7.    ↑ CIG, 3137 = MICHEL, Recueil, 19, 1. 62 et 71 ; CIG, 2699 ; Inschr. von Pergamon, 13 = MICHEL, 13, 1. 25 et 53.

Date de création:2013-04-10 | Date de modification:2013-04-10

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