«Le langage intervient comme une puissance destinée à nous exproprier de nous-même, pour nous aligner sur l'entourage, pour nous modeler selon la commune mesure de tous: il nous définit et nous achève, nous termine et nous détermine. [...] Dans la mesure même où nous sommes forcés de recourir au langage, nous renonçons à notre vie intérieure car le langage impose la discipline de l'extériorité.» La perversion du langage peut mener au refus de prendre la parole, au mutisme, attitude asociale considérée comme indice possible d'idéations ou de tendances suicidaires.
L'usage de la parole est donc une des causes essentielles du malheur de la conscience, et d'autant plus essentielle que nous ne pouvons nous en passer. C'est ce qu'a fortement souligné Brice Parain:« À chaque instant, chaque conscience détruit un peu du vocabulaire qu'elle a reçu et contre lequel elle ne peut pas ne pas se révolter, parce qu'il n'est pas le sien; mais aussitôt elle en recrée un autre, dans lequel elle disparaît à nouveau.» C'est pourquoi la condition humaine apparaît à l'écrivain une «condition de révolte et de suicide généralisés» («Le langage et l'existence» dans le recueil: L'existence, N.R.F., 1945, p. 165)
[...]
Accuser le langage, c'est d'ordinaire protester contre autrui; accuser les autres considérés comme responsables de cette perversion établie. Or, la faute est toujours partagée: l'homme qui récrimine n'est pas pur pour autant. Ce ne sont pas les autres seulement qui manquent de parole, mais celui d'abord qui est entré avec les autres dans une communauté fondée sur un malentendu, oeuvre collective de tous ceux qui y participent. Plutôt donc que de faire le procès des autres et des mots, il convient de passer de la révolte à la conversion, c'est-à-dire à l'affirmation positive de soi-même.
[...]
Pour un peuple entier comme pour un écrivain, une langue fixée est signe de dépérissement. Pareillement, il n'existe pas de dernier mot dans l'affirmation personnelle avant le dernier moment de l'existence elle-même. Dans cette poursuite de l'être se manifeste l'essence du langage, ainsi étroitement liée à l'essence même de l'homme, qu'elle a pour tâche de manifester au monde - tâche irréalisable en rigueur, et pourtant nécessaire.
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Accuser le langage, c'est d'ordinaire protester contre autrui; accuser les autres considérés comme responsables de cette perversion établie. Or, la faute est toujours partagée: l'homme qui récrimine n'est pas pur pour autant. Ce ne sont pas les autres seulement qui manquent de parole, mais celui d'abord qui est entré avec les autres dans une communauté fondée sur un malentendu, oeuvre collective de tous ceux qui y participent. Plutôt donc que de faire le procès des autres et des mots, il convient de passer de la révolte à la conversion, c'est-à-dire à l'affirmation positive de soi-même.
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Pour un peuple entier comme pour un écrivain, une langue fixée est signe de dépérissement. Pareillement, il n'existe pas de dernier mot dans l'affirmation personnelle avant le dernier moment de l'existence elle-même. Dans cette poursuite de l'être se manifeste l'essence du langage, ainsi étroitement liée à l'essence même de l'homme, qu'elle a pour tâche de manifester au monde - tâche irréalisable en rigueur, et pourtant nécessaire.