Dans «Recherches canadiennes sur le Jésus de l'histoire» (Chrystian Boyer et Gérard Rochais, Le Jésus de l'histoire à travers le monde, Montréal, Fides, 2009, p. 13-46), Jean-Paul Michaud consacre une page entière à une des figures contemporaines de Jésus qui a retenu particulièrement l'attention des historiens. William Klassen, qui a enseigné aux universités de Toronto et Waterloo, Canada, a tenté dans Judas; Betrayer or Friend of Jesus?, de retrouver le «Judas historique» et d'éclairer son mystère, ce qui n'est pas sans répercussion sur l'image de Jésus historique. Michaud présente, de façon claire et critique, la position de Klassen.
Comment cet homme «établi» (le verbe potein évoque même un geste créateur!) par Jésus lui-même parmi les Douze «pour être avec lui » et pour prêcher «avec pouvoir de chasser les démons» (Mc 3, 14) aurait pu trahir Jésus? Le titre de l'ouvrage porte un point d'interrogation, mais l'auteur cherche par tous les moyens à réhabiliter l'image de Judas. Selon Klassen le rôle de Judas est exigé par le récit même des évangiles. Jésus «doit» mourir (le dei théologique) et c'est pour accomplir cette volonté divine que Jésus demande à Judas, son ami (Mt 26, 49), de le «livrer» au grand prêtre. Judas ne fait qu'obéir. Il ne trahit pas Jésus. Il le livre selon le plan de Dieu. Quand Jésus lui dit: «Ce que tu as à faire, fais-le vite» (jn 13, 27), il l'envoie en mission (p. 203). Judas remplit une tâche théologique (p. 203). C'est sa vocation! Jésus et Judas sont donc parfaitement d'accord, et le baiser que Jésus donne à Judas (on notera que c'est plutôt Judas qui a l'initiative et embrasse Jésus en Mc 14, 45 et Mt 26, 49!) scelle cet accord (p. 111). Dans cette étreinte, les deux hommes se confortent l'un l'autre dans le rôle que Dieu leur demande de jouer (p. 112). L'image est séduisante (elle a séduit, de fait, romanciers et cinéastes) et ingénieuse l'hypothèse «théologique» qui la fonde, mais ce n'est pas ainsi que les textes du Nouveau Testament comprennent et présentent les choses. Il est vrai - et c'est peut-être l'apport principal du livre de Klassen - que paradidômi signifie livrer et non trahir. Mais [...] l'acte du disciple livrant son maître aux ennemis déclarés [...] ne peut être qu'une trahison. Sans hésiter, Luc qualifie Judas de traître (prodotès: 6, 16). Et le portrait qu'en tracent les évangiles et les Actes (indépendamment même de l'évangile de Jean qui caricature le personnage et en fait un symbole du mal, habité par Satan: Jn 6, 70; 13, 2, 27) est tout à fait négatif. Malgré les tentatives de Klassen, on ne peut écarter ou diluer l'insistance des textes sur l'argent accepté, qualifié de «salaire de l'iniquité» (Ac 1, 18), sur les remords et la confession de Judas: «j'ai péché» (Mt 27, 4: hêmarton), et cela «en livrant» (paradous) et, finalement, sur sa mort tragique (Mt 26,3-10 et Ac 1, 16-20). [....] D'ailleurs, ce Jésus théâtral arrangeant lui-même sa propre arrestation n'est pas celui des évangiles et rien ne permet de dire, non plus, qu'il soit celui de l'histoire.