L'Encyclopédie sur la mort


Prison (suicide)

 

Le taux de suicide est sept fois plus élevé en prison qu’en milieu libre. On se suicide davantage en prison que l’on y meurt de mort naturelle. En France*, au cours de 2001, on dénombre 104 morts par suicide sur 203 décès en prison. Le nombre de tentatives de suicide* en prison fut de 1 006 en 1998, tandis qu’on y compte 2 000 actes de mutilation par an et 953 grèves de la faim* en 1998. Seules la Slovénie* et l’Écosse* auraient un taux de suicide plus élevé en milieu carcéral que la France. Les prisons en Allemagne* compteraient deux fois moins de suicides qu’en France. Aux États-Unis*, le taux de suicide dans les prisons fédérales n’excèderait pas le taux de la population générale, soit 11 sur 100 000 habitants en 1998. Le Québec* présente le taux moyen de suicide le plus élevé du Canada*. En effet, plus de 60% de l’ensemble des suicides, survenus dans les établissements de détention provinciaux du pays, ont eu lieu au Québec. Ainsi, de 1970 à 1979, le taux en milieu carcéral est de 165 (J. C. Bernheim, Les suicides en prison, Montréal, Méridien, 1987, p. 73) et depuis, il ne cesse d’augmenter. En comparaison avec le milieu libre, le taux de suicide des hommes âgés entre 20 et 34 ans était 6,3 fois plus élevé pendant les années 1970, même si l’écart a diminué au début des années 1980. Depuis 1985, il est de 6,5, alors qu’entre 1992 et 1996, il atteignait le sommet de 8,2 (Canada, Le suicide au Canada, rapport du groupe d’étude national sur le suicide au Canada, Ottawa, ministère de la Santé nationale et du Bien-être social, 1989).

Détenus à risque. Les facteurs de risque sont souvent des troubles de la personnalité, accompagnés ou non d’états dépressifs, la toxicomanie*, des difficultés relationnelles avec les codétenus et l’arrivée récente dans l’établissement. Parmi les femmes incarcérées, 55% auraient déjà fait une tentative de suicide tandis que 28% des hommes auraient attenté à leur vie en moyenne plus de trois fois (M. Daigle et G. Côté, rapport pour le ministère de la santé du Québec sur «le dépistage systématique et la prise en charge des hommes incarcérés suicidaires», avril 2002). Presque 50% des hommes incarcérés auraient déjà pensé sérieusement au suicide, avant d’être écroués, en prévoyant le moyen qu’ils utiliseraient, contre 10% dans la population générale. Les détenus en urgence suicidaire élevée représentent 8% de la population carcérale et 14% d’eux ont un trouble mental sévère. Malgré toutes les réserves inhérentes à cet exercice, il est possible de dresser un profil type du candidat au suicide en prison. On constate une plus grande vulnérabilité des jeunes prévenus, des condamnés pour crimes de sang ou pour délits sexuels, des prisonniers condamnés à une longue peine. On sait que deux tiers des suicides interviennent dans les six premiers mois d’enfermement et que les détenus se suicident vingt fois plus au quartier disciplinaire qu’en cellule. Enfin, on sait aussi que 90% avaient déjà vu un médecin, 77% un psychiatre, 30% ne recevaient pas ou plus de visites. Les prévenus se suicident 2,3 fois plus que les condamnés, les jeunes prévenus plus que les prévenus adultes. Le portrait type du détenu qui passe à l’acte serait un prévenu de niveau social élevé, soumis à une procédure criminelle, père de famille avec emploi. Plusieurs ne répondent pourtant pas aux critères construits par les experts d’un détenu suicidaire, mais le sont quand même.

Cependant, c’est le milieu carcéral lui-même qui constitue le plus grand risque de suicide pour les détenus. En effet, par sa nature répressive et par sa structure interne de pouvoirs antagonistes et inégaux, la prison est suicidogène. La prison, une machine à tuer, titre d’un livre de François Sammut, Pierre Lumbroso, Christian Séranot (Paris, du Rocher, 2002), est une image tout appropriée pour décrire la culture carcérale. Dans son avant-projet de loi de la réforme pénitentiaire (2000), le gouvernement de la Belgique* reconnaît officiellement que la prison est une institution «totalitaire» et que l’emprisonnement a des effets préjudiciables sur la personne qui le subit. Puis, les conditions de vie dans les prisons laissent à désirer. En effet, dans L’exposé des motifs de l’avant-projet de loi, il est souligné que les effets préjudiciables de la détention sont principalement imputables au fait que la peine privative de liberté est exécutée dans une prison, prototype de ce que E. Goffman a décrit comme une institution «totale», c’est-à-dire une institution qui gère l’intégralité des aspects de la vie des gens, même si les fonctionnaires y contribuent de façon inconsciente, et qui revêt un aspect «totalitaire» tendant à ramener l’individu à l’état d’un objet ou d’un numéro (Belgique 2000, Avant-projet de loi de principes concernant l’Administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus. Exposé des motifs-partie générale. Bruxelles, Commission «Loi de principes concernant l’Administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus», le 15 mai 2000, p. 38-39) Cité par Jean Claude Bernheim, M.A., criminologue, «Le suicide en milieu carcéral : toujours une responsabilité collective», Le Vis-à-vie, vol. 11 nº 1, 2001.http://www.aqps.info/docs/vav/v11/v11n1-10.shtml

Nicolas Bourgoin se sert des concepts et des formes du raisonnement de l’économie* pour rendre compte du suicide en prison. Une analyse thématique des lettres d’adieu* de suicidés donne accès au point de vue du détenu et au sens de ses motivations. Les situations d’enfermement sont si mauvaises que le suicide peut paraître un choix avantageux aux yeux du détenu, car il lui permet de réaffirmer sa liberté face à la société qui l’en prive. C’est, pour lui, un bien pour un mal (Le suicide en prison, L’Harmattan, «Logiques sociales», 1998). Ceux qui présentent des pathologies mentales, comme les pédophiles*, sont souvent déclarés aptes à la prison au lieu d’être pris en charge en hôpital psychiatrique où ils pourraient bénéficier de traitements appropriés. Une fois en prison, il leur faut souvent plus d’un mois pour obtenir un premier rendez-vous avec un psychiatre. Leur accès à un traitement médical doit être amélioré d’autant plus qu’il n’est pas rare qu’ils soient victimes de maltraitance de la part des autres détenus (Observatoire international des prisons, Guide du prisonnier, Paris, éditions de l’Atelier, 2000).

Prévention. Le suicide en milieu carcéral est une responsabilité collective qui relève en premier lieu de l’État. «En effet, lorsque l’État au moyen de ses lois détient des personnes contre leur volonté, il a l’obligation de leur assurer la sécurité et de veiller à ce que leur droit à la vie soit non seulement reconnu, mais également assuré par des mesures inhérentes au milieu dans lequel est soumis l’individu sous sa juridiction» (J.- C. Bernheim, op. cit.). La prévention du suicide ne se limitera pas à l’état clinique des individus incarcérés, elle devra se soucier des conditions de vie en détention et de l’impact de l’environnement carcéral sur les détenus: un lieu de sanction de caractère punitif, un système d’isolement physique et de séparation avec le monde extérieur, des murs et des barreaux comme autant de barrières qui enferment et provoquent la frustration propice à la violence verbale et physique des codétenus. Toutefois, on portera une attention prioritaire à la période d’accueil du détenu arrivant, une phase particulière de risque suicidaire. Le détenu bénéficiera rapidement des vêtements apportés par sa famille, même lorsque le permis de visite n’a pas encore pu être obtenu, ainsi que du nécessaire pour correspondre avec ses proches. Le personnel pénitentiaire sera plus attentif pendant la nuit et le week-end. On établira immédiatement un dialogue avec les auteurs d’actes d’automutilation, de tentative de suicide et d’autres comportements d’autodestruction*. Ces personnes rencontreront, le plus rapidement possible, le directeur ou son représentant ainsi que des membres des services médical et socio-éducatif. On prendra en charge un détenu dont le codétenu s’est suicidé en le signalant systématiquement au responsable de l’équipe médicale et aux travailleurs sociaux afin d’assurer un suivi. À l’intention des employés qui le souhaitent, le directeur régional des services pénitentiaires organisera, dans chaque prison où une tentative de suicide ou un suicide a eu lieu, des séances de discussion sous la direction d’un psychologue. La première séance aura lieu dans les jours qui suivent l’événement. Tout membre du personnel pénitentiaire ou médical pourra y participer. Les jeunes prévenus, placés en détention provisoire, sont entourés de condamnés. L’incertitude face à la complexité des procédures, les retards dans l’instruction de leur dossier, un éventuel refus de liberté provisoire créent des conditions propices à une urgence suicidaire. On leur accordera un suivi psychologique systématique et on leur expliquera clairement la procédure judiciaire. On réfléchira sur l’utilité et les conditions de ce type d’enfermement en regard des droits de la personne. On favorisera dans la mesure du possible le maintien du lien familial. Une aide financière sera accordée aux familles qui, pour des raisons économiques, ne peuvent pas rendre visite à la prison où leur proche est détenu. On évitera le transfert d’un détenu vers une prison qui l’éloigne de sa famille. Pour les familles indigentes, l’emprisonnement d’un proche peut signifier la perte d’un revenu et même devenir une charge financière supplémentaire. Une conjointe, un père, une mère, des enfants ou un ami peuvent apporter, dans certains cas où le lien familial n’est pas rompu, un appui affectif de première importance. En Espagne*, un suicide survenu dans une prison entraîne une indemnisation de la famille en guise de réparation du fonctionnement anormal de l’institution pénitentiaire.

Les programmes de prévention varient d’un État à l’autre. Ainsi, en Italie*, le traitement médical est obligatoire. En Espagne*, on accepte les visites journalières au détenu suicidaire. En Autriche*, les détenus ont recours à des services psychosociaux. Aux États-Unis, le détenu suicidaire est placé sous surveillance spéciale dans un local destiné à la prévention du suicide et situé dans le secteur médical de la prison. L’entretien quotidien avec le responsable du programme de prévention du suicide permet d’interrompre cette surveillance. Malgré le caractère répressif et d’atteinte directe à l’intimité, au Québec, la surveillance vidéo est permanente. En Belgique, une surveillance est exercée de quatre à huit fois par heure. Des mesures matérielles sont prévues afin de limiter l’accès à des moyens* pour s’enlever la vie: le port de vêtements et l’utilisation de draps jetables en Italie, l’adaptation de la cellule et du mobilier afin d’éviter le risque de pendaison aux Pays-Bas*, l’élimination de tout objet dangereux en Autriche. Parmi les mesures pour éviter l’isolement du détenu suicidaire, il est proposé en Belgique, au Canada et en Espagne, la formation d’un codétenu pour jouer le rôle d’aidant, en Italie et aux Pays-Bas, le maintien des liens familiaux par des contacts réguliers, en Autriche, Belgique, Espagne, Italie, Finlande* et Roumanie, des contacts avec des membres d’associations d’écoute et de réconfort. Il est important de disposer d’un personnel pénitentiaire dont la formation adéquate sur les risques suicidaires est reçue annuellement et dont le nombre est suffisant pour assurer la fréquence des rondes de surveillance. Toutes ces mesures de surveillance et de prévention qui visent l’efficacité et la rapidité des interventions tiendront compte de la confiance due à la personne en crise, en sachant que cette confiance, elle-même, est un facteur de risque (J.-L. Terra, «Prévention du suicide des personnes détenues. Évaluation des actions mises en place et propositions pour développer un programme complet de prévention*», rapport de mission à la demande du garde des Sceaux, ministre de la Justice et du ministre de la Santé, de la Famille et des Personnes handicapées, décembre 2003).

Consulter: «Le suicide en milieu carcéral: une responsabilité collective». Texte de l'Office des droits des détenu(e)s déposé auprès de la coroner Anne-Marie David dans le cadre d'une enquête sur les suicides dans les prisons provinciales au Québec. Juin 1997.

Le site web de l'Office des droits des détenu(e)s:http://www.odd.ca/

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-19

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