L'Encyclopédie sur la mort


Immortalité (Prolongement de la vie)

«La déconstruction biomédicale, l'allongement de l'espérance de vie et les recherches qui tentent de combattre le vieillissement ont contribué à dissiper l'horizon inéluctable de la mort en donnant l'impression d'acquérir un pouvoir d'action sur elle. [...] Parallèlement aux revendications pour le droit à mourir dans la dignité, d'autres mouvements plus marginaux, mais très bien organisés, telle la World Transhumanist Association, militent ouvertement pour le droit de vivre le plus longtemps possible grâce à l'utilisation sans limites des technologies médicales. Les promesses technoscientifiques portées par la médecine anti-âge, la médecine régénératrice, les biotechnologies et les nanotechnologies procurent en effet l'illusion qu'il est possible d'agir contre la mort jusqu'à la faire disparaître complètement. Cela paraît d'autant plus plausible que toute une série de recherches et d'organismes fortement financés s'activent dans ce sens, et que, à l'instar des plus sérieuses institutions scientigiques, des prix, tel le Methuselah Mouse Prize, viennent récompenser les avancées dans ce domaine (1). Dans cette logique, la mort devient une option parmi d'autres dont celle notamment de recourir à la cryonie dans l'espoir d'être un jour ramené à la vie. C'est d'ailleurs pour faire reconnaître le caractère désormais optionnel de la mort que les transhumanistes rejettent l'idée même de son inéluctabilité.

[...]

Étrangement, l'éloignement culturel, scientifique et démographique de la mort, l'idée qu'on peut la combattre activement n'ont pas atténué l'effroi qu'elle suscite, bien au contraire. Pour le bioéthicien John K. Davis, l'une des principales conséquences éthiques du mouvement prolongéviste est justement d'avoir rendu la mort d'un vieillard de quatre-vingt-dix-sept ans plus tragique encore dans la mesure où son décès correspond à un constat d'échec face à la promesse d'amortalité (2). N'ayant d'autre sens que la fin sordide d'un individu tout-puissant, la mort est encore plus terrifiante que jamais.»

Notes
(1) Créé est géré par Aubré de Grey et David Gobel, The Methusela Mouse Prize est destiné à récompenser et à accélérer la recherche sur le prolongement de la durée de la vie à partir d'expériences menées sur des souris. En 2006. ce prix était de 3,6 millions de dollars, selon les données recueillies par M. Maestrutti, Les imaginaires des nanotechnologies, thèse en philosophie, Université Paris-X-Nanterre, 2007, p. 185.

(2) J.K. Davis, «The Prolongevist Speak Up: The Life-Extension Ethics Session at the Annual Congress of the International Association of Biomedical Gerontology», The American Journal of Bioethics, 4, n° 4, 2004, p. W 7.

(Céline Lafontaine, La société postmortelle, Seuil, 2008, p. 182-185 [extraits]).

Discussion
Observons et analysons le phénomène de l'allongement constant de la durée de la vie. Alain Brossat attire notre attention au supplément magazine du journal Le Monde (2, 14 octobre, 2006) publié sous le titre «La société en quête d'immortalité - Vieux, moi? Jamais!». La parole y est donnée à un «chercheur en bio-informatique à Cambridge», Aubrey de Grey: «On a le droit de vivre aussi longtemps qu'on peut. On a le devoir de donner aux autres, la possibilité de vivre aussi longtemps qu'ils le désirent.» Alain Brossat nous fait remarquer la facilité avec laquelle on saute de «l'on peut» au «l'on doit». Un saut épistémologique! Du fait de pouvoir faire vivre le plus longtemps possible, on passe au droit de le faire; du droit de faire vivre le plus longtemps possible, on passe au devoir de le faire. Le droit à la vie se transforme subtilement en norme sociale, en impératif catégorique et en valeur absolue.

Si l'on pousse la réflexion plus loin, on observe que dan le monde contemporain, on réduit la vie bonne à la vie biologique: la durabilité de la vie organique de l'individu. La vie bonne se réduit à la bonne santé . Les critères de la vie bonne se résument à la sécurité et à la diététique, à l'hygiène et à l'immunité, à la sécurité et à la stabilité. Le souci de soi se limite au bien-être de soi en termes de santé, de sécurité et de longévité. La vie bonne n'a plus rien à voir avec la vie droite en termes de d'ordre spirituel, esthétique, éthique en un mot sagesse: élévation de l'âme et de l'esprit selon les critères de risque, de liberté, d'autonomie et d'authenticité.

Se pose alors la question de l'art du bien vivre et du bien mourir dans le contexte de la gestion de la vie par le déploiement de dispositifs biopolitiques ou dans celui des relations entre gouvernants et gouvernés:

«On touche du doigt la façon dont les dynamiques biopolitiques produisent leurs effets bien au-delà de la prise en charge du vivant dans sa dimension purement et simplement matérielle. Ce qui se met en place en l'occurrence, est une sorte de liquidation générale de tout un programme immémorial de questions métaphysiques et morales: qu'est-ce que bien vivre, selon quels principes, sous quelles conditions? Quel rapport s'établit entre la part individuelle et la part collective de l'existence, entre le bien individuel et le bien commun? Qu'est-ce qu'une vie droite et, inversement, une vie mal orientée, et mal agencées?»

Alain Brossat, «Vivre centenaire» dans Droits à la vie?, Paris, Seuil, «Non conforme», 2010, , p.215-216)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-18

Notes

Sources: Céline Lafontaine, La société postmortelle, Seuil, 2008, p. 182-185.

Alain Brossat, «Vivre centenaire» dans Droits à la vie?, Paris, Seuil, «Non conforme», 2010, , p. 213-240.

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