Dans son «Introduction» à son oeuvre, publiée sous sa direction et celle de G. Gnoli et intitulée La mort, les morts dans le sociétés anciennes (Paris, Cambridge University Press et Éditions de la Maison des Sciences de l'Homme, 1982, p. 7), Jean-Pierre Vernant définit «l'idéologie funéraire» à l'intérieur de la culture, comme l'effort d'un groupe humain de se penser et de s'affirmer, de se vouloir un tout organisé et de se situer par rapport à ce qui est autre que lui, y compris la mort:
«(C)haque société doit affronter cette altérité radicale, cette extrême absence de forme, ce non-être par excellence que constitue le phénomène de la mort. Il lui faut, d'une façon ou d'une autre, l'intégrer à son univers mental et à ses pratiques institutionnelles. Pour un groupes d'hommes, se constituer un passé commun, élaborer une mémoire collective, enraciner le présent de tous dans un «autrefois» évanoui, mais dont la remembrance s'impose, unanimement partagée, c'est aussi, c'est d'abord conférer à certains personnages défunts ou à certains aspects de ces personnages, grâce à un rituel funéraire approprié, un statut social tel qu'ils demeurent, dans leur condition de morts, inscrits au coeur de la vie présente, qu'ils y interviennent en tant que morts, qu'ils jouent leur partie dans la maîtrise des forces sociales dont dépendent l'équilibre de la communauté et la permanence de son ordre.
L'idéologie funéraire n'apparaît plus comme cet écho où se redoublerait la société des vivants. Elle définit tout le travail que met en oeuvre l'imaginaire social pour élaborer une acculturation de la mort, pour l'assimiler en la civilisant, pour assurer, sur le plan institutionnel, sa «gestion», suivant une stratégie adaptée aux exigences de la vie collective. On pourrait presque parler d'une «politique» de la mort, que tout groupe social, pour s'affirmer dans ses traits spécifiques, pour perdurer dans ses structures et ses orientations, doit instaurer et conduire continûment selon des règles qui lui sont propres.
Quand on compare de ce point de vue, les grandes civilisations du passé, on est frappé par la variété des réponses qu'elles ont apportées à ces problèmes d'intégration sociale de la mort. Chacune s'est en quelque sorte fabriqué une mort - parfois plusieurs - à sa mesure et convenance.»
(Les caractères gras sont de nous)