Le rapport que les humains entretiennent avec la mort diffère d'une culture à une autre et il change, à l'intérieur d'une même culture ou d'une même nation, d'un groupe à un autre. On ne parle plus de la même mort, là où l'on ne parle plus la même langue. Jacques Derrida distingue entre le savoir anthropologique et historique sur les représentations de la mort et la question philosophique: si la mort est et que la mort est. La diversité culturelle des idéologies, des rites et des pratiques funéraires occupe un point de vue tout à fait différent de celui qui porte son regard sur l'expérience et le savoir de la mort proprement dite. Il est loin d'être assuré que tout le monde parle de la même chose quand on parle de la mort, que tout le monde pense ou comprend la même chose quand on nomme la mort dans un discours ou dans une célébration.
Partons du massif, bien connu et immensément archivé: il y a des cultures de la mort. En passant une frontière, on change la mort. On change de mort, on ne parle plus de la même mort là où on ne parle plus la même langue. Le rapport à la mort n'est pas le même en deçà et au-delà des Pyrénées; et souvent, de surcroît, à passer ainsi la frontière d'une culture, on passe d'une figure de la mort comme trépas - passage d'une ligne, transgression d'une frontière, pas au-delà de la vie - à une autre figure de la frontière entre la vie et la mort. Chaque culture se caractérise par sa manière d'appréhender, de traiter, on dirait de «vivre» le trépas. Chaque culture a ses propres rites funéraires*, ses représentations du mourant, ses pratiques du deuil* ou de la sépulture, sa propre évaluation du prix de l'existence, de la vie collective ou de la vie individuelle. Et à l'intérieur de ce qu'on croit pouvoir identifier comme une seule et même culture, parfois une seule nation, une seule langue, une seule religion [...]
On peut parler, et on l'a fait, comme vous les savez, pour l'Occident du moins, d'une histoire de la mort [...] ; l'historien sait, il croit savoir, il se donne le savoir inquestionné de ce qu'est la mort, de ce qui veut dire être-mort et par conséquent toute la critériologie qui permettra d'identifier, de reconnaître, de sélectionner ou de délimiter en quelque sorte les objets de mon enquête ou le champ thématique de son savoir anthropologico-historique. La question du sens de la mort et du mot «mort», la question «Qu'est ce que la mort en général?», «Qu'est ce que l'expérience de la mort?», la question si la mort «est» et ce que la mort «est» - restent radicalement absentes comme questions. D'avance elles sont supposées résolues par ce savoir anthropologico-historique comme tel, au moment où il s'institue et se donne ses limites. Cette présupposition prend la forme d'un «cela va de soi»: tout le monde sait bien de quoi l'on parle quand on nomme la mort.
(J. Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996, p. 51-55)
À partir de la distinction que Martin Heidegger fait entre les trois modes du finir: périr (s'en aller, disparaître, passer), décéder (quitter la vie, se séparer de la vie, passer le seuil de la mort) et mourir (proprement mourir, faire l'épreuve de la mort en tant que telle ou en tant que mort), Derrida revient sur ce qu'il a écrit ci-dessus sur la culture de la mort, avec la précision suivante:
Il peut y avoir une anthropologie ou une histoire* de la mort, des culturologies du décès, des ethnologies du rite* mortuaire, du sacrifice* rituel, du travail du deuil*, de la sépulture, de la préparation à la mort, de la toilette du mort, des langages de la mort en général, de la médecine, etc. Mais il n'y a pas de culture de la mort elle-même ou du proprement mourir. Le mourir n'est ni naturel (biologique) ni culturel de part en part. [...]
(op. cit., p. 79-80)
On peut parler, et on l'a fait, comme vous les savez, pour l'Occident du moins, d'une histoire de la mort [...] ; l'historien sait, il croit savoir, il se donne le savoir inquestionné de ce qu'est la mort, de ce qui veut dire être-mort et par conséquent toute la critériologie qui permettra d'identifier, de reconnaître, de sélectionner ou de délimiter en quelque sorte les objets de mon enquête ou le champ thématique de son savoir anthropologico-historique. La question du sens de la mort et du mot «mort», la question «Qu'est ce que la mort en général?», «Qu'est ce que l'expérience de la mort?», la question si la mort «est» et ce que la mort «est» - restent radicalement absentes comme questions. D'avance elles sont supposées résolues par ce savoir anthropologico-historique comme tel, au moment où il s'institue et se donne ses limites. Cette présupposition prend la forme d'un «cela va de soi»: tout le monde sait bien de quoi l'on parle quand on nomme la mort.
(J. Derrida, Apories, Paris, Galilée, 1996, p. 51-55)
À partir de la distinction que Martin Heidegger fait entre les trois modes du finir: périr (s'en aller, disparaître, passer), décéder (quitter la vie, se séparer de la vie, passer le seuil de la mort) et mourir (proprement mourir, faire l'épreuve de la mort en tant que telle ou en tant que mort), Derrida revient sur ce qu'il a écrit ci-dessus sur la culture de la mort, avec la précision suivante:
Il peut y avoir une anthropologie ou une histoire* de la mort, des culturologies du décès, des ethnologies du rite* mortuaire, du sacrifice* rituel, du travail du deuil*, de la sépulture, de la préparation à la mort, de la toilette du mort, des langages de la mort en général, de la médecine, etc. Mais il n'y a pas de culture de la mort elle-même ou du proprement mourir. Le mourir n'est ni naturel (biologique) ni culturel de part en part. [...]
(op. cit., p. 79-80)