L'Encyclopédie sur la mort


Voici. Je suis la vie.

Bernard Diu

Bernard Dieu recueille les «fragments des souvenirs perdus» de son passé où le nocturne semble l'emporter sur le diurne. Après une tentative de suicide, une chute volontaire dans le vide, l'auteur fait une mise en scène théâtrale et tragique. Une Dame, tout de blanc vêtue et personnifiant la Vie, s'avance seule parmi la troupe réunie. Dans un discours de teneur mythique, elle déclame la proximité de la vie et de la mort. D'une voix solennelle, elle avoue: «ce n'est pas la mort qui tue, c'est Elle, la Vie, qui exerce cette sombre besogne. Nous sommes dans un contexte quasi-religieux où l'auteur évoque l'apparition de Notre Dame de la Rosée (Nuestra Senora del Rocio) dont le lieu de pèlerinage se situe dans la commune castillane d'Almonte dans la province de Huelva. Le peuple donne à la Dame aussi les noms de Blanca Paloma (Blanche Colombe), la Pastora (Bergère) ou La Reina de las Marismas (Reine des marais). Le texte clôt par des vers , empruntés à Prométhée enchaîné d'Eschyle: un extrait du dialogue entre le Coryphée et Pométhée, déchiré entre son passé et son présent. Sur le héros, qui a osé voler du Ciel le feu créateur, pèse le châtiment d'une double faute: il a voulu protéger les hommes et s'est révolté contre Zeus, la divinité suprême.

Antonio de LuqueAprès quelques longues minutes à nouveau statiques et silencieuses, le personnage qui se situait à l'apex même de cette formation - visiblement privilégié dans son emploi comme dans sa disposition - s'avança, seul, de deux pas. Vêtu d'une toge blanche qui le couvrait jusqu'aux pieds, le visage dissimulé derrière un masque rigide, blanc lui aussi - dont la bouche grande ouverte semblait à tout moment prête à crier -, il ne se distinguait pas de ses voisins par son aspect, ni par son attitude immobile, fixe et rigide. Bientôt une voix humaine, sans conteste, une voix féminine grave, se fait entendre, forte et bien timbrée, parfaitement audible.





Voici.
Je suis la Vie.
Les humains m'invoquent à tout propos, en toute occasion, plus véhémentement encore s'il s'agit d'excuser l'inexcusable, de tolérer l'intolérable, de pardonner l'impardonnable. J'incarne l'argument suprême: les incantations que j'inspire, les assertions que l'on me fait endosser, ne sauraient souffrir aucun contredit, ni admettre la moindre analyse critique. J'affirme pourtant et revendique mon absolue indifférence, parfaitement lisse, sans faille aucune ni aucune exception, envers quoi qui puisse survenir dans l'univers, y inclus ce qui se commet en mon nom. Je suis la Vie, mais non point les vivants; je n'ai aucunement à me soucier d'eux, pas plus de l'homme que du loup ou du moucheron:
«Dites ces mots ma vie et retenez vos larmes».

Ma commère la Mort, complice inséparable, a dédaigné cette fois de m'accompagner. Elle connaît à satiété cette aversion panique qui saisit les humains sitôt qu'elle apparaît, elle sait à pleine conscience l'incompréhension obtuse dont on la persécute avec acharnement et fureur. Il étale pourtant au grand jour, sans tromperie ni artifice, le jeu simple et clair que nous menons de conserve, moi la Vie, elle la Mort, depuis le commencement immémorial des Temps. Pourquoi les humains se refusent-ils à le comprendre? L'agonie m'appartient qu'on reproche à la Mort; c'est moi qui blesse et tue, qui fouaille, qui tourmente, et mutile, c'est la Mort qu'on accuse et qu'on redoute; c'est moi qui crève les yeux d'Œdipe et prostitue l'enfant, sans qu'on cesse de m'exalter et de me louer.

Je me retire. Je rentre dans le rang et n'interviendrai plus.
Voici le coryphée, qui réglera désormais les cérémonies.

«Coryphée - Peut-être as-tu poussé le zèle plus loin encore?

Prométhée - Oui, j'ai mis fin aux terreurs que cause aux mortels la vue de la mort.
- Quel remède as-tu trouvé à ce mal?
- J'ai installé en eux d'aveugles espérances».

ESCHYLE

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Antonio de Luque


Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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