Le titre complet de cet article de Blanche M. G. Linden, professeure associée à la recherche, Center for the Humanities, University of New Hampshire, USA, est le suivant : « Tel l'Éden avant la chute. Les cimetières de Montréal dans le contexte du mouvement des cimetières "ruraux" de l'Amérique du Nord ». Cet article a paru dans la Revue Frontières, volume 7, n: 3, hiver 1995, p. 5-12. Nous en reproduisons un extrait avec l'autorisation de la direction de la revue.
Pour retracer l'origine des théories culturelles et de l'aménagement esthétique du paysage qui s'applique aux deux cimetières historiques de Montréal, le cimetière protestant du Mont-Royal (1852) et le cimetière catholique Notre-Dame-des-Neiges (1855), il faut d'abord se référer au mouvement des cimetières ruraux, mouvement qui commença aux États-Unis en 1831, et remonter jusque dans les années 1790 en France, et même plus avant, jusqu'aux pittoresques jardins anglais du XVIIIe siècle, conçus par les Whigs contestataires et les adeptes de la philosophie des Lumières. Le récit des origines des grands cimetières romantiques du XIXe siècle constitue une véritable généalogie du mouvement qui traversa alors une bonne partie de la civilisation occidentale, manifestant un attrait nouveau pour les paysages naturalistes, qui incarnaient une vision inédite de la mort, de la nature et de la commémoration séculière. Ainsi se faisait jour un ordre nouveau destiné à remplacer les formes et les usages de l'ordre ancien.
Cet esprit de rétrospection séculier se manifesta principalement en Angleterre, mais aussi dans les nouveaux États-Unis. Les opinions traditionnelles sur la vie et la mort, l'individu et la société, furent remises en question. Les philosophes se mirent à évaluer de façon différente les relations entre le passé, le présent et l'avenir, à définir le temps comme un continuum et un processus menant au progrès, contrôlé désormais par de nouvelles élites, les aristocrates naturels, selon l'expression de Thomas Jefferson. L'individu, quelle que soit sa classe sociale, n'étant plus considéré simplement comme une âme, sauvée ou damnée selon les jugements des autorités religieuses de l'époque, jouait désormais un rôle actif dans sa vie. Ce sont les intellectuels libéraux qui donnèrent forme et structure à une conscience historique qui conférait aux individus et aux événements une importance sans précédent. Les racines profondes de ces transformations doivent être cherchées au niveau des mentalités de cette époque, marquées par une perception tout à fait nouvelle du rôle de l'individu dans la société, perception qui défiait et remettait en question les formes anciennes d'autorité. Désormais, c'étaient le citoyen, l'association volontaire et la corporation, plutôt que l'Église et son pouvoir sanctionné, qui assumaient le contrôle de la politique et de la culture.
Cette évolution philosophique profonde, qui dépassait largement les frontières nationales, imprégnant les goûts et les mentalités en mutation, donna bientôt naissance à des institutions nouvelles qui se substituèrent aux anciennes pour exprimer concrètement les nouvelles idéologies. Enfin, une métamorphose au niveau des sensibilités, même si elle était moins spectaculaire que les bouleversements sociaux, apporta des modifications dramatiques dans les idées courantes sur la nature, la mort et l'individu. Comme l'observait Daniel Webster en 1825, « Ce qui caractérise notre époque, c'est une certaine communauté d'opinions et de connaissances partagées par les hommes des diverses nations ... Une grande unanimité de sentiments et d'opinions traverse et fait vibrer les deux continents... un vaste échange d'idées ». Webster ne faisait non seulement allusion aux connaissances, mais aussi aux valeurs, aux goûts et aux nouveaux modes de comportement.
[...]
Tels sont le contexte historique et la perspective nécessaires pour comprendre le mouvement américain des cimetières «ruraux » qui s'étendit des années 1830 aux années 1870. Cela nous permet de voir dans ces cimetières bien plus que des instituions à fonctions diverses et des paysages agréables. Ce sont en réalité des textes remplis d'intérêt, car ils parlent de notre culture commune et de nos mentalités, du passé et du présent, et la vision qu'ils proposent dépasse largement les frontières nationales, tout en exprimant certaines nuances locales tout à fait distinctes et différentes. À partir de 1804, on trouve des expressions culturelles analogues en France, aux États-Unis, en Angleterre et au Canada. Bien qu'ils aient jailli d'une impulsion commune, ces paysages ne présentent pas tous le même aspect; cela s'explique par l'usure du temps, l'addition d'artéfacts provenant d'époques précédentes, les transformations sociales, les disparités culturelles, les circonstances locales et enfin, par l'impact multiple de la modernité sous toutes ses formes.
Suites de l'article
Les précédents anglais et français dans l'aménagement paysager pittoresque.
Le mouvement des cimetières « ruraux » d'Amérique du Nord.
Les cimetières « ruraux » de Montréal en tant qu'institutions urbaines.
Cet esprit de rétrospection séculier se manifesta principalement en Angleterre, mais aussi dans les nouveaux États-Unis. Les opinions traditionnelles sur la vie et la mort, l'individu et la société, furent remises en question. Les philosophes se mirent à évaluer de façon différente les relations entre le passé, le présent et l'avenir, à définir le temps comme un continuum et un processus menant au progrès, contrôlé désormais par de nouvelles élites, les aristocrates naturels, selon l'expression de Thomas Jefferson. L'individu, quelle que soit sa classe sociale, n'étant plus considéré simplement comme une âme, sauvée ou damnée selon les jugements des autorités religieuses de l'époque, jouait désormais un rôle actif dans sa vie. Ce sont les intellectuels libéraux qui donnèrent forme et structure à une conscience historique qui conférait aux individus et aux événements une importance sans précédent. Les racines profondes de ces transformations doivent être cherchées au niveau des mentalités de cette époque, marquées par une perception tout à fait nouvelle du rôle de l'individu dans la société, perception qui défiait et remettait en question les formes anciennes d'autorité. Désormais, c'étaient le citoyen, l'association volontaire et la corporation, plutôt que l'Église et son pouvoir sanctionné, qui assumaient le contrôle de la politique et de la culture.
Cette évolution philosophique profonde, qui dépassait largement les frontières nationales, imprégnant les goûts et les mentalités en mutation, donna bientôt naissance à des institutions nouvelles qui se substituèrent aux anciennes pour exprimer concrètement les nouvelles idéologies. Enfin, une métamorphose au niveau des sensibilités, même si elle était moins spectaculaire que les bouleversements sociaux, apporta des modifications dramatiques dans les idées courantes sur la nature, la mort et l'individu. Comme l'observait Daniel Webster en 1825, « Ce qui caractérise notre époque, c'est une certaine communauté d'opinions et de connaissances partagées par les hommes des diverses nations ... Une grande unanimité de sentiments et d'opinions traverse et fait vibrer les deux continents... un vaste échange d'idées ». Webster ne faisait non seulement allusion aux connaissances, mais aussi aux valeurs, aux goûts et aux nouveaux modes de comportement.
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Tels sont le contexte historique et la perspective nécessaires pour comprendre le mouvement américain des cimetières «ruraux » qui s'étendit des années 1830 aux années 1870. Cela nous permet de voir dans ces cimetières bien plus que des instituions à fonctions diverses et des paysages agréables. Ce sont en réalité des textes remplis d'intérêt, car ils parlent de notre culture commune et de nos mentalités, du passé et du présent, et la vision qu'ils proposent dépasse largement les frontières nationales, tout en exprimant certaines nuances locales tout à fait distinctes et différentes. À partir de 1804, on trouve des expressions culturelles analogues en France, aux États-Unis, en Angleterre et au Canada. Bien qu'ils aient jailli d'une impulsion commune, ces paysages ne présentent pas tous le même aspect; cela s'explique par l'usure du temps, l'addition d'artéfacts provenant d'époques précédentes, les transformations sociales, les disparités culturelles, les circonstances locales et enfin, par l'impact multiple de la modernité sous toutes ses formes.
Suites de l'article
Les précédents anglais et français dans l'aménagement paysager pittoresque.
Le mouvement des cimetières « ruraux » d'Amérique du Nord.
Les cimetières « ruraux » de Montréal en tant qu'institutions urbaines.