L'Encyclopédie sur la mort


Tasso et Antonio

Johann Wolfgang Goethe

«La dernière scène reprend et orchestre les thèmes de la pièce, Le Tasse et Antonio, seuls, restent face à face. Antonio parle peu, mais sa calme présence et sa solidité lui permettent de prendre, par ses rares interventions, suffisamment d'ascendant sur le Tasse, pour que celui-ci accomplisse insensiblement l'évolution intérieure qu'Antonio espère. Le Tasse sent enfin qu'il est lui-même responsable de sa perte, et ce premier instant de lucidité est un timide rayon d'espoir. Torquato Tasso est une pièce "ouverte", en ce sens que la tragédie ne s'achève pas par le seul fait irrémédiable, la mort. Goethe reste ainsi fidèle au sens de son drame, dans lequel le destin n'est pas une fatalité étrangère à l'homme, mais une force qu'il doit avoir le courage de dominer. (Éveline Henkel, «Notice» dans Goethe, Théâtre complet, p. 1656)
TASSO[
[...]
Suis-je rayé de l'existence?
Non, tout est demeuré présent, et cependant
je ne suis plus rien, je ne suis plus à moi
n'étant plus à elle.

ANTONIO
Et s'il te semble que plus rien ne t'est resté,
mesure-toi aux autres, connais ce que tu es.

TASSO
Oui, tu me le rappelles au bon moment!
N'est-il plus de sublime exemple dans l'Histoire?
Ne s'offre-t-il à mes regards aucun héros
dont l'épreuve ait de beaucoup passé la mienne
pour que, me comparant à lui, je me ressaisisse?
Non, tout est mort. Il ne me reste qu'une chose,
les larmes, ce présent que nous fait la Nature,
quand son mal le terrasse. Et moi j'ai conservé
le don suprême, j'ai gardé dans ma douleur
la mélodie et la parole harmonieuse
pour mettre ma détresse entière dans ma plainte.
Et si l'homme dans ses tourments reste muet,
moi, les dieux m'ont donné de dire ma souffrance.

Antonio va vers lui et lui prend la main.


Ô noble ami, tu demeures ferme et tranquille!
Et moi je suis le flot que chasse la tempête.
Mais ne t'éblouis point, ne sois point orgueilleux
de ta force. La Nature toute puissante
qui donne à ce rocher sa tranquille épaisseur
donne à la vague la mobile inquiétude.
Elle envoie sa tempête, et la vague en fuyant
roule, s'enfle et se cabre en son galop d'écume.
Flot qui naguère était si beau quand il mirait
un soleil dans son calme, ou qu'un souffle léger
y berçait tendrement les constellations!
Les rayons ne sont plus, le calme s'est enfui.
Au milieu des périls, je ne me reconnais plus
et n'ai plus honte de l'avouer.
Le gouvernail est en débris, et le navire
craque de toute part. Le sol s'entrouvre
sous mes pieds. Je te saisis, mes bras
t'étreignent, tel le marin dans son dernier instant
se cramponne à l'écueil où le guettait la mort.


Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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