L'Encyclopédie sur la mort


Nuits

Edward Young

Les complaintes de Young qui, inspirées du romantisme anglais de son époque, répandent le goût de la mélancolie*, sont aussi des satyres mordantes du carriérisme et de la volupté des courtisans, assoiffés d'or et de pouvoir, milieu qu'il connaît fort bien parce qu'il l'avait fréquenté. Le paradoxe du choix des mots et des images se fait sur fond nocturne d'une imagination évoquant la fragilité des vivants mortels.
Tome II

Quinzième Nuit

Le monde

Edward Young
Quel est donc le prix qui nous fait courir dans la carrière du monde, étourdis du bruit, suffoqués de poussière, excédés de fatigue, sans songer à la frêle épaisseur qui sépare du tombeau le théâtre de la vie? Je vois l'orgueil errer, çà et là, et mendier des regards, le voluptueux s'épuiser à la poursuite du plaisir, d'autres fous plus tristes affamés d'or ou de pouvoir, tous épris de bagatelles diverses, mais également vaines; tous entraînés dans le tourbillon de la frivolité, comme des atomes légers qu'un courant d'air agite au milieu de nos plaines. Bientôt la brillante illusion s'évanouira, la sombre nuit du désespoir succédera et l'homme s'abîmera. Que les mortels et les objets de leurs désirs sont fragiles et passagers! Ce monde n'est qu'un pays d'apparitions, les hommes que de vains fantômes qui courent après des ombres plus vaines encore. L'homme gaiement frivole et l'homme furieusement occupé de pénibles chimères, sont également fous, Ils vont tous deux, l'un au travers de tristes déserts, l'autre par un sentier de fleurs, l'un d'un pas grave et superbe, l'autre en dansant, tomber dans l'abîme.

Lorenzo, puisque l'Éternel s'approche et que les vanités du monde vont disparaître, comme les bulles d'air errantes sur l'écume des flots; que servent les hauts titres, l'éclat de la naissance et toutes ces grandeurs qui nous laissent dans la bassesse? C'est sur des épines que tu cherches le repos. Ton âme, enivrée de chimères, fatiguée des peines réelles dont elle s'est tourmentée, s'assoupit et rêve le bonheur.

Je veux rompre le charme qui t'attache au monde. Mon sujet est commun: mes chants ne le feront point, si la céleste Uranie que j'évoque daigne répondre à mes voeux. Dans quel trouble tu t'éveilleras de ta léthargie pour soupirer après des biens plus réels! Je te forcerai à mépriser l'objet de tes désirs. Mes vers austères ne seront pas goûtés des hommes corrompus. Mais la vérité doit-elle se taire, parce que la folie fronce le sourcil?
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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