L'Encyclopédie sur la mort


L'exclusion du « mourant » âgé

Hébert et al.

M. Hébert, K. Nour, P. Durivage, Z. Freitas et V. Bourgeois-Guérin, « Les aînés. Les grands oubliés des soins palliatifs » dans M. Carpentier et al. , dir., Vieillir au pluriel. Perspectives sociales, Québec, Presses de l'Université du Québec, 2010, p.223-244 (Extraits).
Même si les personnes âgées ont tendance à mieux accepter la mort, leurs derniers jours ne sont pas moins difficiles à vivre ou exempts de peurs et de souffrances. Ce serait une erreur de croire que le fait de vieillir nous prépare à mourir 1. Il s'agit là d'une fausse idée au sujet de la mort en âge avancé qui perpétue des habitudes âgistes qui risquent de minimiser, banaliser, voire de nier les souffrances et l'importance des émotions ressenties. Conséquemment, certaines personnes considéreront comme moins importants les pertes et les deuils vécus en âge avancé alors que ceux-ci restent aussi difficiles à vivre, quel que soit l'âge. Le fait de ne pas reconnaître cette réalité ne peut qu'amplifier la souffrance expérimentée par les personnes âgées 2. Or,, comme le rappelle Jankélévitch* 3, on meurt toujours pour la première fois 3.

Les tabous entourant la mort contribuent aussi à l'exclusion sociale de l'individu en fin de vie. La mort demeure souvent taboue (évitement et déni) tant chez le personnel soignant que chez les individus et leurs proches 4. Pour les médecins, elle est souvent synonyme d'échec médical 5. À la lumière de ce qui précède, le fait d'être malade, âgé et mourant plonge l'individu dans un néant social. Pour David Roy :

« On tient pour acquis que les soins palliatifs évoluent dans le cadre d'une éthique de l'humanité, c'est-à-dire d'éthique d'inclusion, de telle sorte qu'aucun de ceux aux prises avec les souffrances d'une mort prochaine ne nous soit étranger [...] Les soins palliatifs sont-ils un de ces domaines où la logique de l'exclusion l'emporte sur l'éthique de l'humanité? 6 ».

[...]

Les personnes âgées meurent davantage de maladies chroniques, autres que le cancer 7, pour lesquelles l'accès aux soins palliatifs est difficile, voire impossible 8. L'accès repose principalement sur le pronostic (prédiction de l'évolution de la maladie) et l'accompagnement est de courte durée. En effet, dans la plupart des programmes de soins palliatifs, la durée des soins se situe autour de 90 jours. Ainsi, ce sont les personnes plus jeunes atteintes de cancer et du sida qui en bénéficient le plus 9.

Au lieu de reposer sur le « paradigme du pronostic », l'accès aux soins palliatifs ne devrait-il pas davantage s'appuyer sur les besoins des individus et de leurs proches, sur leur droit fondamental de mourir dans la dignité? 10 ».

[...]

De plus, les personnes âgées de 85 ans et plus ne reçoivent pas toujours la médication nécessaire pour soulager la douleur 11. Les personnes âgées atteintes de démence sont particulièrement à risque d'échapper aux mesures de contrôle de la douleur principalement à cause de leur problème de communication.

L'iniquité d'accès aux soins palliatifs s'observe aussi par l'âge des personnes orientées vers ce type de soins. Dans le contexte des pays industrialisés, on constate que 73 % de la clientèle de 60 ans et moins atteinte de cancer est référée aux services de soins palliatifs alors que la proportion chute à 58% chez les 80 ans et plus 12. De plus, les personnes très âgées rencontrent d'importantes difficultés d'admission en unité de soins palliatifs 13. Tout porte à croire que la dévalorisation de la vieillesse par notre société semble se jouer de nouveau dans le domaine des soins palliatifs 14.

NOTES

1 Fisher, R. M. Margaret et M.J. MacLean, Un guide des soins en fin de vie aux aînés, Toronto, Université de Toronto et Université d'Ottawa,, 2000.
2. S. Thompson et N. Thompson, « Working with dying and bereaved older people » dans J. Berzoff et Or Sylverman, dir., Living with Dying, New York, Columbia University Press, 2004.
3 V. Jankélévitch, La mort, Paris, Flammarion, 1977.
4 C. Zimmerman, « Death Denial: Obstacle or Instrument for Palliative Care?.An Analysis of Clinical Literature », Sociology of Health & Ilness, 2007, vol. 29, n° 2, p, 297-314.
5 M. Castra, Bien mourir : sociologie des soins palliatifs, Paris, Presses universités de France, 2003.
6 D. Roy, « L'exclusion en soins palliatifs », Les cahiers de soins palliatifs, 2001, vol. 3, n° 1, p. 33-38.
7 C. Bédard, et.al., Soins palliatifs de fin de vie au Québec: définition et mesure d'indicateur, Partie I: population adulte (20 ans et plus), Québec, Institut national de santé publique du Québec.
8 D. Roy, o. c.
9 R. Fischer, et al., Un guide des soins en fin de vie aux aînés, Toronto, Université de Toronto et Université d'Ottawa, 2000.
10 OMS, Better Palliative Care for Older People, Genève, OMS, 2004.
11 ibid.
12 Hunt et al., 2002, cité dans OMS, 2004.
13 C. Bertheloot et E. Ravallec, « Patient jeune ou âgé: des palliatifs différents? », Gérontologie et Société, 1999, n° 90, p. 169-180.
14 M. Michel et O. Michel, « Existe-t-il une spécificité des soins palliatifs chez le sujet âgé? », INFOKara, 2002, vol.17, p.30-32.

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« Vieillard mourant »
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