L'Encyclopédie sur la mort


La mort du Père Goriot (1835)

Honoré Balzac

Balzac entend peindre dans ce personnage la passion paternelle. Cette vertu poussée à l’extrême devient un martyre. Comme toute passion, elle est aveuglement et côtoie la folie. [...]Pour lui, l’idéal du père est de satisfaire les moindres caprices de ses enfants. Son éducation est non seulement laxiste, mais de plus elle se trompe sur les moyens de parvenir au bonheur familial. Il donne sans cesse l’impression de vouloir acheter l’affection de ses filles. [...] Goriot est un père qui a su séduire Eugène. Il est évident que le jeune homme a fait capituler sa conscience en acceptant les cadeaux empoisonnés de ce père fou de la vie de ses filles. [...] Le jeune homme admire cette folle générosité au point que Goriot est devenu pour lui « l’être qui, […], représentait la Paternité ».

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Ci-dessous deux extraits : l'agonie du père Goriot et l'inhumation du père Goriot. Les deux événements en l'absence de ses filles et en présence d'Eugène de Rastignac, le complice fidèle, ambitieux mais sincère qui, après les funérailles de ce père «adoptif » renonce à cette paternité pathétique et à ses illusions (romantisme) pour entrer dans le monde de la vraie existence (réalisme).
Balzac : Extrait du Père Goriot, « L'agonie du Père Goriot »

Si elles ne viennent pas? répéta le vieillard en sanglotant. Mais je serai mort, mort dans un accès de rage, de rage! La rage me gagne! En ce moment, je vois ma vie entière. Je suis dupe! Elles ne m’aiment pas, elles ne m’ont jamais aimé! Cela est clair.

Si elles ne sont pas venues, elles ne viendront pas. Plus elles auront tardé, moins elles se décideront à me faire cette joie. Je les connais.

Elles n’ont jamais su rien deviner de mes chagrins, de mes douleurs, de mes besoins, elles ne devineront pas plus ma mort; elles ne sont seulement pas dans le secret de ma tendresse. Oui, je le vois, pour elles, l’habitude de m’ouvrir les entrailles a ôté du prix à tout ce que je faisais.

Elles auraient demandé à me crever les yeux, je leur aurais dit : « Crevez- les! » Je suis trop bête. Elles croient que tous les pères sont comme le leur.

Il faut toujours se faire valoir. Leurs enfants me vengeront. Mais c’est dans leur intérêt de venir ici. Prévenez- les donc qu’elles compromettent leur agonie.

Elles commettent tous les crimes en un seul. Mais allez donc, dites- leur donc que, ne pas venir, c’est un parricide! Elles en ont assez commis sans ajouter celui - là. Criez donc comme moi : « Hé, Nasie! Hé, Delphine! Venez à votre père qui a été si bon pour vous et qui souffre! » Rien, personne.

Mourrai- je donc comme un chien? Voilà ma récompense, l’abandon. Ce sont des infâmes, des scélérates; je les abomine, je les maudis; je me relèverai, la nuit, de mon cercueil pour les remaudire, car, enfin, mes amis, ai - je tort? Elles se conduisent bien mal! Hein? Qu’est- ce que je dis? Ne m’avez- vous pas averti que Delphine est là? C’est la meilleure des deux.

Vous êtes mon fils, Eugène, vous! Aimez- la, soyez un père pour elle.

L’autre est bien malheureuse. Et leurs fortunes! Ah, mon Dieu! J’expire, je souffre un peu trop! Coupez- moi la tête, laissez- moi seulement le coeur.

Balzac : Extrait du Père Goriot, « A nous deux maintenant ! »

Les deux prêtres, l'enfant de choeur et le bedeau vinrent et donnèrent tout ce qu'on peut avoir pour soixante-dix francs dans une époque où la religion n'est pas assez riche pour prier gratis. Les gens du clergé chantèrent un psaume, le Libera, le De profundis. Le service dura vingt minutes. Il n'y avait qu'une seule voiture de deuil pour un prêtre et un enfant de choeur, qui consentirent à recevoir avec eux Eugène et Christophe.

- Il n'y a point de suite, dit le prêtre, nous pourrons aller vite, afin de ne pas nous attarder, il est cinq heures et demie.

Cependant, au moment où le corps fut placé dans le corbillard, deux voitures armoriées, mais vides, celle du comte de Restaud et celle du baron de Nucingen, se présentèrent et suivirent le convoi jusqu'au Père-Lachaise. A six heures, le corps du père Goriot fut descendu dans sa fosse, autour de laquelle étaient les gens de ses filles, qui disparurent avec le clergé aussitôt que fut dite la courte prière due au bonhomme pour l'argent de l'étudiant. Quand les deux fossoyeurs eurent jeté quelques pelletées de terre sur la bière pour la cacher, ils se relevèrent, et l'un d'eux, s'adressant à Rastignac, lui demanda leur pourboire. Eugène fouilla dans sa poche et n'y trouva rien, il fut forcé d'emprunter vingt sous à Christophe. Ce fait, si léger en lui-même, détermina chez Rastignac un accès d'horrible tristesse. Le jour tombait, un humide crépuscule agaçait les nerfs, il regarda la tombe et y ensevelit sa dernière larme de jeune homme, cette larme arrachée par les saintes émotions d'un coeur pur, une de ces larmes qui, de la terre où elles tombent, rejaillissent jusque dans les cieux. Il se croisa les bras, contempla les nuages, et, le voyant ainsi, Christophe le quitta.

Rastignac, resté seul, fit quelques pas vers le haut du cimetière et vit Paris tortueusement couché le long des deux rives de la Seine où commençaient à briller les lumières. Ses yeux s'attachèrent presque avidement entre la colonne de la place Vendôme et le dôme des Invalides, là où vivait ce beau monde dans lequel il avait voulu pénétrer. Il lança sur cette ruche bourdonnante un regard qui semblait par avance en pomper le miel, et dit ces mots grandioses : « A nous deux maintenant! »

Et pour premier acte du défi qu'il portait à la Société,

Rastignac alla dîner chez madame de Nucingen.

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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