Avec hilarité et émotion, Bessa Myftiu raconte sa vie durant l'avènement et la durée du communisme en Albanie. La maison de son enfance est un être vivant, muni d'un corps et d'une âme, un être qui rit et pleure, un être libre de choisir de mourir.
La Maison de Mon Enfance a opté pour le suicide. Épanouie au temps du roi Zog, tenace durant la guerre*, optimiste lors du règne communiste, elle s'est engouffrée dans la mélancolie* il y a bientôt dix ans. D'abord, on lui a pris un petit bout de jardin pour construire un atelier, [...]. À travers les fenêtres du premier étage, la Maison scrutait avec amertume cette prolongation hideuse d'elle-même, construite en béton de mauvaise qualité; les nuits de pluie, de grosses larmes ruisselaient le long de la façade.
Les larmes se sont muées en sanglots lors de la construction d'une deuxième pièce: mon frère avait acheté trois nouvelles machines et il a fallu décapiter le cerisier - la grâce du jardin, avec ses fleurs blanches, au printemps et ses fruits rouges en été. La Maison, à l'occasion de chaque orage, gémissait douloureusement de toute sa carcasse. [...]
Elle n'avait sûrement jamais imaginé l'attaque du dattier, fertile et fier. Et que ce soient mes parents eux-mêmes qui lui assénèrent les coups de hache, voilà ce qui a ébranlé définitivement l'équilibre psychique de la Maison. [...]
Mais ce voisinage morbide avec la vigne, autrefois gaie, vêtue de feuilles vertes et parée de grappes, a déprimé la Maison; elle avait supporté l'abattage du grand figuier, dont les branches lui faisaient de l'ombre durent les jours de canicule; l'exécution du roi cerisier, dont les fleurs lui inspiraient un sentiment d'immortalité; l'anéantissement du pêcher habillé en rose, symbole de rêve, ainsi que le massacre et l'inhumation du dattier dans le four de mes parents, en manque de bois durant l'hiver. Elle avait enduré sa propre mutilation, l'ajout de membres indignes à son corps léger fait de boue et de paille, et, héroïquement, avait même toléré la baraque au fond du jardin, sur la sépulture du pêcher, mais être embrassée de bras morts dépassait tout...
La Maison est devenue paranoïaque. [...]
La Maison a donc envisagé de s'écrouler en toute beauté, un dimanche, pendant que les occupants seraient partis en promenade. Elle ne voulaient tuer personne. Mais elle ignorait, la pauvre, que ses propres habitants préparaient un complot pour la supprimer. Dans son grand salon où tant de mariages avaient été célébrés et tant de morts pleurés, les géomètres sont venus boire un verre en l'honneur de son enterrement prochain. La fatalité frappait à la porte, et chez nous on n'échappe pas à son destin. Il avait ôté à la Maison sa dernière liberté* - le droit au suicide* - après lui avoir offert une existence hors du commun.
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http://www.tudeblogues.com/images/Albanie1.jpg
Les larmes se sont muées en sanglots lors de la construction d'une deuxième pièce: mon frère avait acheté trois nouvelles machines et il a fallu décapiter le cerisier - la grâce du jardin, avec ses fleurs blanches, au printemps et ses fruits rouges en été. La Maison, à l'occasion de chaque orage, gémissait douloureusement de toute sa carcasse. [...]
Elle n'avait sûrement jamais imaginé l'attaque du dattier, fertile et fier. Et que ce soient mes parents eux-mêmes qui lui assénèrent les coups de hache, voilà ce qui a ébranlé définitivement l'équilibre psychique de la Maison. [...]
Mais ce voisinage morbide avec la vigne, autrefois gaie, vêtue de feuilles vertes et parée de grappes, a déprimé la Maison; elle avait supporté l'abattage du grand figuier, dont les branches lui faisaient de l'ombre durent les jours de canicule; l'exécution du roi cerisier, dont les fleurs lui inspiraient un sentiment d'immortalité; l'anéantissement du pêcher habillé en rose, symbole de rêve, ainsi que le massacre et l'inhumation du dattier dans le four de mes parents, en manque de bois durant l'hiver. Elle avait enduré sa propre mutilation, l'ajout de membres indignes à son corps léger fait de boue et de paille, et, héroïquement, avait même toléré la baraque au fond du jardin, sur la sépulture du pêcher, mais être embrassée de bras morts dépassait tout...
La Maison est devenue paranoïaque. [...]
La Maison a donc envisagé de s'écrouler en toute beauté, un dimanche, pendant que les occupants seraient partis en promenade. Elle ne voulaient tuer personne. Mais elle ignorait, la pauvre, que ses propres habitants préparaient un complot pour la supprimer. Dans son grand salon où tant de mariages avaient été célébrés et tant de morts pleurés, les géomètres sont venus boire un verre en l'honneur de son enterrement prochain. La fatalité frappait à la porte, et chez nous on n'échappe pas à son destin. Il avait ôté à la Maison sa dernière liberté* - le droit au suicide* - après lui avoir offert une existence hors du commun.
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