Viktor Tausk, né en 1879 à Zsulina en Slovaquie est un des nombreux pionniers de la psychanalyse dont le destin fut tragique. Sa vie fut marquée par la pauvreté et la maladie, les disputes et les ruptures, la mélancolie* et la dépression*. Elle se termina par un suicide violent en 1919.
Aîné d'une famille de neuf enfants, il fit des études en langue allemande à Sarajevo. Juif athée, il se fit baptiser pour épouser en 1900 Martha Frisch, une parente éloignée de Martin Buber, non croyante, marxiste engagée et très autonome. Le couple eut deux enfants et se sépare dès 1905 suite à de nombreuses disputes. Après une formation en droit, il tente une expérience en arts et passe à travers une longue convalescence dus à des troubles pulmonaires. À Vienne, il découvre la psychanalyse et, grâce à l'aide financière de Freud * et de son groupe, il suit des études de médecine et de psychiatrie. Durant la première guerre mondiale, il pratiquera la médecine au front. Au retour de la guerre, Tausk demanda à Freud de le prendre en analyse mais ce dernier l'oriente plutôt vers Helen Deutsch. L'analyse est interrompue trois mois plus tard par l'analyste.
Le jour de son suicide, il laisse deux lettres: une à sa sœur Nada, l’autre à S. Freud : «Mon suicide est l’acte le plus sain et le plus décent de ma vie ratée»; ainsi que son testament: «avoir reconnu que je ne peux contracter un mariage dans la joie, que je ne peux que vivre et faire vivre ma fiancée bien aimée parmi les conflits et les tourments, voilà le véritable motif conscient de mon suicide». C’est à S. Freud qu’incombe d’écrire sa notice nécrologique: «Parmi les victimes, par bonheur peu nombreuses, exigées par la guerre dans les rangs des psychanalystes, il faut aussi compter ce neurologue viennois exceptionnellement doué qui – avant même que la paix n’ait eût été conclue – a quitté volontairement la vie». S. Freud, tout au long de ce texte, fait les éloges de son ami. Mais, en réalité, cette mort le touche peu , comme il appert dans la lettre à Lou Salomé: «j’avoue qu’il ne me manque pas vraiment, il y a longtemps que je le considère comme inutile et même menaçant pour l’avenir.» (Marion Tremel, Tentatives de suicide et suicides, en ligne, voir indications ci-dessous)
Selon Paul Roazen, Sigmund Freud, jaloux de l'intelligence de ce jeune psychanalyste, l'aurait écarté de lui le rendant ainsi encore plus angoissé et plus colérique. Tausk fut l'ami intime (1912-1913) de Lou Andreas Salomé qui fut aussi l'ami de Freud. Tausk accusa Freud de plagiat notamment à propos de ses hypothèses sur les auto-reproches dans la mélancolie.
Michèle Fabien (pseudonyme de Michèle Gérard), traductrice et dramaturge belge née à Genk en 1945 et décédée à Saint-Pierre-la-Vieille (Normandie) en 1999, écrit une pièce de théâtre ayant pour intrigue la relation complexe de Tausk avec Lou Salomé, Helen Deutsch et Freud. K. R. Eissler essaie de blanchir Freud et la psychanalyse de tout blâme dans le suicide de Tausk.
Les facteurs déterminants du suicide de Tausk
Dans son article «Le suicide maniaque de Victor Tausk», Cliniques méditerranéennes, 2002/2 (n° 66, p. 155-174, German Arce Ross étudie les circonstances entourant le suicide violent de Tausk et tente d'interpréter son geste comme émanant d'un être aux tendances maniaco-dépressives et habité d'«un amour maniaque à caractère altruiste»:
«[...] après avoir rencontré pendant trois mois Helen Deutsch dans le cadre d’un début d’analyse, qu’il utilisait néanmoins pour passer des messages de mécontentement et de rancœur à Freud, faisant ainsi inévitablement irruption dans l’analyse de H. Deutsch avec ce dernier, Tausk rencontra dans un cadre professionnel Hilde Loewi, de 24 ans, pianiste au talent prometteur, encore vierge, très séduisante et d’une extrême beauté. Dès le premier entretien, alors qu’il était en train de se constituer une clientèle plus ou moins péniblement en ces temps d’après-guerre, Tausk se lança, sous peine de risquer sa carrière professionnelle, dans un acting out amoureux qui le conduisit à une relation intime avec cette jeune femme. Quelques semaines plus tard, apprenant le début d’une grossesse, Tausk essaya de régler le problème en tentant un avortement qui pourtant échoua. Après cet échec, il annonce à quelques proches sa décision de mariage prévu dans quelques jours. Mais à l’aube du jour prévu, après avoir dîné avec son fils Marius et avoir passé la soirée avec sa fiancée lors d’un concert, Tausk laissa une lettre à Freud, une autre à Hilde avec son testament, se noua un cordon de rideau autour du cou et se tira un coup de pistolet sur la tempe.
Les caractères principaux de l’amour maniaque chez Tausk seraient les suivants. Premièrement, un altruisme fébrile, cruel, impulsif et violent où la jouissance de l’Autre se retourne contre le sujet lui-même. Deuxièmement, une incapacité à se faire aimer. Il resterait cependant à savoir pourquoi il ne pouvait pas aimer Hilde. À ce propos, une question s’impose à nous. S’y est-elle opposée à la dernière minute et lors du dernier soir passé ensemble ? Ou, au contraire, a-t-elle innocemment déclenché une angoisse indicible chez Tausk en ayant confirmé son acceptation à la demande de mariage ? Troisièmement, une incapacité à maintenir et à développer une véritable relation d’amour, tout en produisant sans cesse des ruptures pathogènes, c’est-à-dire des ruptures qui provoquent paradoxalement un attachement passionnel sadomasochiste.» (German Arce Ross, «Le suicide maniaque de Victor Tausk»)
Texte intégral: en ligne ( voir indications ci-dessous)
Bibliographie
V. Tausk, De la genèse de l'appareil à influencer au cours de la schizophrénie (1919), Paris, Payot, «Petite Bibliothèque Payot», 2010.
V. Tausk, « Contributions à une exposition psychanalytique de la mélancolie », séance du 30 décembre 1914, suivie d’une intervention de Freud dans la discussion, Les premiers psychanalystes. Minutes de la Société psychanalytique de Vienne, vol. IV, 1912-1918, Paris, Gallimard, 1983, p. 308-312.
Paul Roazen, Animal, mon frère, toi. L’histoire de Freud et Tausk (1969), Paris, Payot, 2006 (1971)
K. R. Eissler, Le Suicide de Victor Tausk. Avec les commentaires du professeur Marius Tausk (1983), PUF, Paris, 1988.
Michèle Fabien, Tausk, Actes Sud-Papiers, 1987.
Liens
Eric Bizot, «Les pionniers de la psychanalyse»
http://eric.bizot.pagesperso-orange.fr/desgros/auteurs/pionnier.html
German Arce Ross, «Le suicide maniaque de Victor Tausk», Cliniques méditerranéennes, 2002/2 (n° 66, p. 155-174.
http://www.cairn.info/article.php?ID_ARTICLE=CM_066_0155#retournoteno5
Marion Tremel, Tentatives de suicide et suicides, Mémoire pour le Diplôme Inter Universitaire : Etude et prise en charge des conduites suicidaires, 2008.
http://www.med.univ-angers.fr/discipline/psychiatrie_adulte/memoires/Freud-suicide-Tremel-2008.pdf