Philosophe grec qui n’a pas laissé d’écrits, mais dont la pensée nous est parvenue grâce à Aristophane, Xénophon et, plus particulièrement, dans les dialogues de Platon*. Dans ses interrogations empreintes d'ironie, il met son interlocuteur «en contradiction avec [lui-même] et, par une savante ascèse polémique, se propose de [le] mener [...] des illusions du sens commun à la rectitude du bon sens.» (G. Gusdorf, La parole, Quadrige-PUF, 1998, p. 43). Socrate «arrête les gens dans la rue et leur demande comment définir leur occupation, à quoi ils tendent, quel estle but de leur vie?» (J. de Romilly et M. Trédé, Petites leçons sur le grec ancien, Stock, 200, p. 47)
Les deux dernières pages de Phédon relatent la mort volontaire de Socrate, qui fut la mort d’un sage. Avec une sérénité parfaite, Socrate prit la coupe, que l’homme lui tendit. «— Que dirais-tu, demanda-t-il, si je versais un peu de ce breuvage en libation à quelque dieu? — Nous n’en broyons [du poison], Socrate, dit l’homme, que juste ce qu’il en faut boire. — J’entends, dit-il. Mais on peut du moins et l’on doit même prier les dieux pour qu’ils favorisent le passage de ce monde à l’autre; c’est ce que je leur demande moi-même et puissent-ils m’exaucer! Tout en disant cela, il portait la coupe à ses lèvres, et il la vida jusqu’à la dernière goutte avec une aisance et un calme parfait […]. [I]l dit que ses jambes s’alourdissaient et il se coucha sur le dos, comme l’homme le lui avait recommandé. Celui qui lui avait donné le poison, le tâtant de la main, examinait de temps à autre ses pieds et ses jambes; ensuite, lui ayant fortement pincé le pied, il lui demanda s’il sentait quelque chose. Socrate répondit que non. […] [L]evant son voile, car il s’était voilé la tête, Socrate dit, et ce fut sa dernière parole: “Criton, nous devons un coq à Asclèpios: payez-le, ne l’oubliez pas”. “Oui, ce sera fait, dit Criton, mais vois si tu as quelque autre chose à nous dire.” À cette question, il ne répondit plus; mais quelques instants après il eut un sursaut. L’homme le découvrit: il avait les yeux fixes. En voyant cela, Criton lui ferma la bouche et les yeux. Telle fut la fin de notre ami […], d’un homme qui, nous pouvons le dire, fut, parmi les hommes de ce temps que nous avons connus, le meilleur et aussi le plus sage et le plus juste» (Phédon, Paris, Garnier-Flammarion, 1965, p. 179-180).
Platon met dans la bouche de Socrate les paroles suivantes: «Si l’on se place à ce point de vue, peut-être n’est-il pas déraisonnable de dire qu’il ne faut pas se tuer avant que Dieu nous en impose la nécessité, comme il le fait aujourd’hui pour moi.» (Platon, Phédon, 62b-c) Le point de vue d’où il se place n’est pas proprement dit éthique, il est plutôt d’ordre religieux, car il vient de dire: «Nous autres, hommes, nous sommes un des biens qui appartiennent aux dieux». (op. cit., p. 110) Ces propos, qu’il tient dans la prison devant ses disciples, ne sont ni catégoriques ni affirmatifs («il n’est pas déraisonnable de dire»). Ils énoncent une simple possibilité et expriment un doute («peut-être»). Seul un arrêt immuable de Dieu peut commander la mort volontaire sous la forme d’une loi fatale (ananké). Cette nécessité* réside dans la condamnation par le tribunal des Héliastes à se donner la mort en buvant la ciguë. Cependant dans le même entretien, Socrate laisse entendre qu’il y a des gens pour qui, en certaines circonstances, la mort est préférable à la vie. Or, ils ne pourront «sans impiété se rendre à eux-mêmes ce bon office, [mais ils devront] attendre un bienfaiteur étranger» (p. 109). C’est aussi dans ce même contexte que Socrate présente la mort comme la recherche de la liberté*: «Mais délivrer l’âme, n’est-ce pas, selon nous, à ce but que les vrais philosophes, et eux seuls, aspirent ardemment et constamment, et n’est-ce pas justement à cet affranchissement et à cette séparation de l’âme et du corps que s’exercent les philosophes?» (p. 116). Montaigne* s’inspirera, par le biais de Cicéron*, de ce discours pour présenter la préparation à la mort comme but de la philosophie.
Lien
http://www.fondationhumanitas.ca/pages/activites/lectures-publiques/socrate-l-ultime-liberte.php
Socrate et ses idées sur le suicide tranquille (Gilles Maloney)
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Détail de La mort de Socrate, par Louis David, 1787
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