L'Encyclopédie sur la mort


Rosenthal Tatiana

Première femme à s'engager à la fois dans le freudisme, le marxisme et le féminisme, Tatiana Rosenthal, psychanalyste, médecin et spécialiste en neurologie, eut un destin tragique. Née en 1885 à Saint-Pétersbourg dans une famille juive, elle participa, durant la révolution russe de 1905, au combat en faveur du mouvement ouvrier. En 1906, elle s'établit à Zurich pour ses études en médecine et, à la clinique du Burghölzli, elle découvrit l'Interprétation des rêves (Freud, 1900). Après l'obtention de son doctorat en psychiatrie, elle se rendit à Vienne où elle devint membre de la WPV (Wiener Psychoanalytische Vereinigung, Association viennoise de psychanalyse) en 1911 et participa aux célèbres réunions du mercredi de cette même association.

En 1914, lorsque la première guerre mondiale éclata, elle retourna Saint-Pétersbourg consacra toute son énergie à convaincre le célèbre chef de l'Institut de psychoneurologie, Vladimir Bechterev, d'implanter la psychanalyse en Russie. C'est surtout dans le domaine de l'éducation et de la psychanalyse des enfants qu'elle se fit remarquer, d'abord en 1919 à l'Institut de recherches sur la pathologie cérébrale, puis dans une clinique pour enfants handicapés. En 1920, elle eut l'idée d'expérimenter un Home pour enfants et deviendra ainsi le précurseur de Vera Schmidt, autre pionnière de la psychanalyse en Russie, qui a fondé un Home pour enfants dans le dom de Detsky à Moscou. Mère d'un enfant, elle se suicida à l'âge de trente-six ans.

Il demeure difficile de trouver une clé d'interprétation au suicide de cette jeune femme et mère, très engagée au plan social et scientifique. Il n'en demeure pas moins troublant que les premiers analystes se soient donné la mort ou aient subi une mort violente (Paul Roazen, «Freud and his followers», version française, 1974, New York, Knopf).

Tatiana Rosenthal fut aussi la première, sept ans avant Freud*, qui ne citera pas son travail, à étudier l'oeuvre de Fedor Dostoievski* d'un point de vue psychanalytique. Elle publiera un essai sur la création et la souffrance chez l'écrivain Dostoievski.

Déjà en 1910, Taniana Rosenthal fit une relecture en termes psychanalytiques d'une oeuvre narrative à succès de l'écrivaine danoise Karin Michaelis (1872-1950). Écrit sous la forme d'un journal épistolaire, l'ouvrage raconte comment Elsie Lindtner, en pleine crise de ses 40 ans, quitte soudainement son mari pour s'exiler dans une île quasi inhabitée. Lorsque sa solitude devient trop lourde à porter, elle suscite une rencontre avec un ancien ami qu'elle a déjà courtisé, l'architecte Jorgen Malthe, mais ce rendez-vous sera pour elle une déception amère. L'éloignement avait fini par éteindre leur désir réciproque. Elsie invite alors son ex-mari qui, aux prises avec son nouveau mariage, décline l'invitation. Dorénavant elle reste seule dans l'île, accompagnée de la femme de chambre et de la cuisinière sur qui elle projette ses sombres regrets.

Voici un extrait d'un essai de l'analyse que Tatiana Rosenthal a publié sur cette oeuvre littéraire de Karin Michaelis:

La matériel que je présente, à savoir: le journal de Madame Elsie, est une forme d''auto-analyse que j'ai suivie du début jusqu'à la fin. J'ai voulu suivre fidèlement la procédure de Freud en étudiant l'enfance et la jeunesse de Madame Elsie. Or, j'ai trouvé dans le journal des allusions fort importantes , bien que pas tout à fait suffisantes par rapport à ce sujet. Je me suis tournée vers les autres livres de Karin Michaelis et c'est ainsi que j'y ai découvert, avec une diversité de variantes et et de stades de développement, une même typologie. Les divers personnages de l'oeuvre littéraire de Michaelis sont des femmes qui montrent de surprenants stéréotypes dont les traits caractéristiques peuvent être attribués à certaines impulsions inconscientes de la vie mentale de l'écrivaine elle-même. L'analyse d'une oeuvre littéraire est étroitement liée à l'analyse de l'écrivain. Certes, on ne pourra pas déduire le destin d'un personnage d'une oeuvre littéraire de celui de l'écrivain. Cependant, l'oeuvre littéraire peut révéler certains conflits psychologiques inconscients de l'écrivain. L'oeuvre de Karin Michaelis est un tout, et je me sens autorisée, sur la base de l'anamnèse, à chercher des déterminants pyschologiques personnels de Karin dans la crise de Madame Elsie. (d'après la traduction en français par Giuseppe Leo, op. cit., p. 110)

Références

Rosenthal, Tatiana (1920), «Stradanie i tvortchestvo v Dostoïevskoni. Voprosy psychologiu litschnosti.

Rosenthal, Tatina (1911), «Karin Michaelis, L'âge dangereux à la lumière de la psychanalyse», Zentralblatt für Psychoanalyse. Medizinische Monatsschrift für Seelenkunde,

Giuseppe Leo, «La honte et l'âge dangereux» dans Cosimo Trono et Eric Ridaud, dir., Il n'y a plus de honte dans la culture, Paris, Penta, 2010, p. p. 103-118.

Élisabeth Roudinesco, «Les premières femmes psychanalystes», Mil neuf cent ,1998, volume 16, n° 16, p. 27-41
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1182

«Psychoanalysis:Tatiana Rosenthal»
http://www.answers.com/topic/rosenthal-tatiana

Accerboni-Pavanello, Anna Maria (1992), «Tatiana Rosenthal: Une brève saison analytique». Revue internationale d'histoire de la psychanalyse, 5, p. 95-109.

Neidisch, S. (1921),« Dr Tatiana Rosenthal, Petersburg», Internationale Zeitschrift für Psychoanalyse, 7, p. 384-385.

Élisabeth Roudinesco, «Les premières femmes psychanalystes», Mil neuf cent ,1998, volume 16, n° 16, p. 27-41
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mcm_1146-1225_1998_num_16_1_1182

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10