L'Encyclopédie sur la mort


Pline Le Jeune

Pline le jeuneAvocat et homme de lettres, chargé de hautes fonctions politiques par l’empereur Trajan. Il a laissé une correspondance qui reflète fidèlement la vie intellectuelle de son temps (Les lettres et le panégyrique de Trajan, Paris, Les Belles Lettres, 1927). Il était adolescent quand eut lieu la catastrophe du Vésuve le 24 août 79. Il en rapporte les événements dans deux lettres à Tacite: «Le neuvième jour avant les Calendes de septembre […] apparaît comme un nuage d’une grandeur et d’une apparence extraordinaires, […] une nuée qui par son aspect et sa forme évoque un arbre et plus précisément un pin. En effet, dressée tel un tronc svelte, elle semblait étendre ses rameaux…» («La mort de Pline l’Ancien», livre vi, lettres 16 et 20, dans Pompéi. Le rêve sous les ruines, Paris, Presses de la Cité, 1992, p. 9). Il fait aussi le récit de la mort de son oncle Pline l’Ancien*, tel qu’il fut relaté par des amis «alors que les souvenirs sont encore tout frais»: «On trouva son corps intact […]; il ressemblait plus qu’à un mort, à un homme endormi» (p. 11). C’est à sa plume que l’on doit le récit d’un suicide, étrange à la fois par le motif inusité invoqué et par le moyen spectaculaire utilisé. Le voici: «Le mari étant atteint d’un ulcère aux parties sexuelles, de sa propre autorité, son épouse le déclare incurable et le pousse à se donner la mort avec elle; ils s’attachent donc ensemble au moyen d’une corde et se précipitent d’une fenêtre de leur villa qui domine le lac de Côme» (récit rapporté par Y. Grisé, Le suicide dans la Rome antique, p. 55, note 29, à partir du livre vi, lettre 24 de la correspondance de Pline). La crainte d’une mort indigne ou douloureuse semble être, pour Pline, une raison suffisante et légitime de suicide. Ainsi, la mort volontaire par crainte d’une accusation qui aurait conduit à la peine capitale peut se justifier amplement. Dans le cas du suicide d’un esclave affranchi, les biens de celui-ci vont à l’ancien maître, devenu son patron (Les lettres, livre iii, lettre 9). Dans les prisons, l’angoisse de l’attente de la mort ou l’ignorance de la sentence est susceptible d’excéder les prévenus: «On s’afflige dans la proportion de ce qu’on sait survenu, mais on craint dans la proportion de ce qui peut survenir» (livre viii, lettre 17). L’incertitude de l’avenir est plus dure à supporter que le souvenir de la souffrance déjà subie ou la connaissance de la souffrance présente. Le désir de mettre fin aux souffrances, présentes et futures, associées à une maladie incurable, est pour Pline une raison suffisante de vouloir la mort. Et il donne en exemple «la fermeté inébranlable», avec laquelle le vieux poète Silius Italicus ne craignit point de mettre fin à une longue vie empreinte de modération, ou la mûre délibération de son vieil ami Titus Aristo (livre iii, lettre 7). Mais il admire surtout la sagesse de son maître Corellius Rufus, lequel, «poussé par un motif suprême qui, aux yeux des philosophes, tient lieu de nécessité», luttait «depuis si longtemps contre une si cruelle maladie que tous ces avantages offerts par la vie cédèrent devant les raisons de mourir». Sa ferme décision suscita dans le cœur de Pline «autant d’admiration que de regrets» (livre i, lettre 12). Cependant, il lui paraît irrationnel de mourir simplement par peur de la mort (livre vi, lettre 20). À l’instar de Cicéron*, Pline le Jeune fait l’éloge de l’institution du gladiateur à cause non seulement de la vaillance avec laquelle on subit le coup fatal sans faiblir, mais surtout à cause du mépris autant de la vie que de la mort manifesté par les antagonistes (Panégyrique de Trajan, 33, 1). Aux yeux de Pline, la mort volontaire légitime semble donc se situer entre le courage et la nécessité. Elle est une affaire non de passion mais de raison.

«C'est en des termes remplis d'admiration que cet auteur décrit la conduite de son ami Titius Aristo, prêt à quitter la vie, advenant l'incurabilité de sa maladie. Conforme à un stoïcisme modéré (54), l'opinion de Pline le Jeune distingue entre les suicides de raison, qu'il approuve, et ceux qui sont le fruit de la passion. Il n'admet, effectivement, le suicide que dans la mesure où celui-ci se présente comme le résultat d'une mûre délibération, comme ce fut le cas pour la décision de Titius:

Rien de plus difficile, à mon gré, rien de plus digne d'éloges. Car courir au-devant de la mort d'un mouvement irraisonné et instinctif est le fait de beaucoup de gens, mais examiner et peser les motifs de sa décision, et n'obéir qu'à la raison pour prendre ou pour quitter la résolution de vivre ou de mourir, n'est le partage que des grandes âmes (Ép. I, XXII).

Cette disposition d'un esprit attentif à ce qu'il y a de meilleur en l'homme, Pline la retrouve intacte chez un autre ami qui lui est cher, Corellius Rufus. Bien qu'il ne puisse s'empêcher d'éprouver un profond chagrin à la nouvelle du suicide de ce dernier, il s'incline devant la sagesse du geste et de son auteur. [...]

Pline estime à une haute valeur la force d'âme de Rufus et attribue à son courage extraordinaire le mérite de s'être délivré de la vie sans se laisser fléchir dans sa décision par aucune consolation, pas même par les vains efforts de son médecin qui s'obstinait à vouloir l'alimenter et à qui il opposa un ferme et lucide «j'ai décidé». [...] Mais l'homme ne s'apitoie jamais que sur lui-même: les regrets de Pline ne s'adressent pas tant au suicide qu'à son propre chagrin. [...] L'héroïsme d'Arria* l'Ancienne est loin de le laisser indifférent (Ép., III, XVI), et il ne dédaigne pas d'accorder par sa plume un souvenir célèbre et durable à des suicides moins renommés, mais tout aussi méritoires, comme celui de ces époux qui refusèrent à la maladie et à la mort le pouvoir de les séparer (Ép. VI, XXIV).» (Y. Grisé, op. cit,, p. 231-232)

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Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-16