Les arguments selon lesquels le suicide est conforme ou non à la nature humaine sont très difficiles à manipuler, car ce qui pour les uns appartient à la nature est pour les autres une construction de la culture. La définition de la nature humaine varie selon les cultures, les modèles de comportement et les modes de vie de chaque nation, communauté ou époque. Pour nombre d’auteurs, le suicide est considéré comme un geste contre nature. Ainsi, Pythagore* estime que la mort ne peut être naturelle si l’âme est expulsée de force de son domicile corporel. Thomas d’Aquin* soutient que le suicide est contraire à l’inclination naturelle de l’homme et contraire à la loi naturelle. Selon Pétrarque*, se tuer c’est oublier sa propre nature.
Un des arguments en faveur du suicide est celui du droit à la mort, à l’autodétermination ou à la libre disposition de soi. Halbwachs* pousse à l’extrême l’individualisme qui sous-tend ce droit et parvient à une conclusion diamétralement opposée: «On dit quelquefois que les sociétés modernes se distinguent de toutes celles qui les ont précédées parce qu’elles sont plus individualistes. Il en devrait résulter que l’on respecte davantage toutes les libertés, et qu’on reconnaisse à l’homme, en particulier, le droit de disposer de lui-même. Mais d’autre part, si l’individu est considéré comme ce qui a le plus de valeur, il est tout naturel, au contraire qu’on blâme tout acte qui a pour effet non seulement de le détruire, mais surtout d’amoindrir le culte qu’on lui rend» (Les causes du suicide, p. 462). À première vue, il n’y a rien d’alarmant «dans le fait qu’un nombre restreint des membres d’une société, en particulier ceux dont l’existence est pour elle une charge, une gêne, une cause de tristesse et d’affaiblissement de sa vitalité, se retranchent plus ou moins volontairement» (p. 487). Cependant, le sociologue français, mort dans un camp de concentration, reprend finalement la pensée de Kant*, qui considère le suicide par amour pour soi (ce que Durkheim* appellera le suicide «égoïste» par opposition au suicide «altruiste») comme première illustration négative de son impératif catégorique: «Agis uniquement d’après la maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne loi universelle.» Pour le philosophe de Königsberg, la conservation de la vie est un devoir parfait qui ne tolère pas d’exception. Il prend l’exemple d’un homme qui, à la suite d’une série de maux, est réduit au désespoir et est encore assez maître de sa raison pour pouvoir se demander si ce ne serait pas une violation du devoir envers soi que d’attenter à ses jours. La question est finalement de «savoir si ce principe d’amour de soi peut devenir une loi universelle de la nature. Mais alors on voit bientôt qu’une nature dont ce serait la loi de détruire la vie même […] serait en contradiction avec elle-même, et ainsi ne subsisterait pas comme nature» (Fondements de la métaphysique des mœurs, p. 138-139). Pour Kant, se suicider, c’est précisément se mettre en état d’exception.
Selon le stoïcisme*, par contre, la mort volontaire est un acte selon la nature. Elle peut être une «sortie raisonnable» ou une issue convenable tout à fait conforme à la nature rationnelle de l’être humain, en cas de maladie, de souffrance, de misère et de déshonneur. Ce peut être même une expression éminente de la liberté* humaine que de partir en pleine gloire à l’heure de son choix. La raison, dit Marc Aurèle*, n’exige pas que l’on prolonge sa vie si l’on ne peut plus mener à bien ses projets. Pline l’Ancien* prétend que la mort volontaire est un pouvoir que la nature a donné aux humains. Selon Malraux, l’homme est né pour la mort et né pour se la donner en certaines circonstances. Landsberg* se demande comment pourrait être contre la loi naturelle un acte qui est pratiqué, accepté et souvent glorifié à travers l’histoire. Améry*, pour sa part, juge qu’une vie dominée par l’échec* est une vie contre nature et, dans ce cas, la mort peut devenir un acte naturel.