Philippe Roizès et Anne-Claire Préfol (2010). Mesrine / Fragments d'un mythe. Paris: Flammarion, 368 pages.
Jacques Mesrine, le «criminel», le «grand bandit français» des années 70, fait partie effectivement d'un mythe. Braquages savamment médiatisés, évasions célèbres, multiples visages et déguisements, cavales qui n'en finissent pas, menaces, enlèvements: la carrière de Jacques Mesrine est un véritable mythe dans l'univers du grand banditisme français ... et québécois. Pour la France, l'on sait. Pour le Québec, beaucoup moins. C'est que Mesrine a été aussi un «grand bandit québécois» puisqu'il a mené une «carrière criminelle»au Québec et au Canada pendant 5 ans, de 1967 à 1972. J'ai connu personnellement «ce» Mesrine au début de ma carrière de criminologue et de professeur à l'Université de Montréal. En effet, non seulement Mesrine était-il «mon» sosie physique ou plutôt «moi» le sosie de Mesrine, puisque je lui ressemblais à 90 %, selon les témoignages des policiers et des surveillants de prison qui l'ont connu et m'ont connu, à l'époque ... Mais, jeune criminologue-chercheur, j'avais alors obtenu une première subvention de recherche-action de la part des ministères de la Justice et du Solliciteur général du Canada pour évaluer un nouveau modèle de réinsertion sociale des détenus. Or, la recherche-action se tenait dans le pénitencier "à sécurité super-maximum" de Montréal, «résidence» des détenus les plus dangereux du pays, où Jacques Mesrine venait d`être emprisonné pour vols de banques et meurtres. La recherche-action venait à peine de commencer et j'avais eu l'occasion d'interviewer Mesrine à trois reprises, lorsque celui-ci, fidèle à son image de grand criminel, réussit à s'évader de façon spectaculaire. Les ministères de la Justice et du Solliciteur général du Canada, le syndicat des surveillants de prison et le grand public cherchèrent évidemment le «coupable» et le responsable de cette évasion célèbre dans les annales judiciaires du Québec et du Canada. Hormis le premier intéressé , évidemment, soit Mesrine lui-même, un bouc émissaire fut désigné. C'était, disait-on, la présence de ces criminologues-chercheurs qui, selon la rumeur, auraient été trop préoccupés et trop orientés vers la réinsertion sociale des détenus, plutôt que vers le contrôle des détenus et la sécurité du public. Les ministères décidèrent alors, malheureusement pour nous, de mettre fin à cette recherche-action. Quelques semaines plus tard, soit en décembre 1972, l'on retrouva Mesrine en France où il continua sa carrière criminelle, de Paris à Nice, pendant sept (7) autres années, à titre du «criminel numéro 1» le plus recherché par la Police nationale et la Gendarmerie nationale. Finalement, la Police nationale «l'exécuta» en plein Paris, le 2 novembre 1979, une sorte de «peine de mort déguisée», cachée, non officielle. Le mythe était ainsi parachevé et il continue encore de vivre aujourd'hui dans la mémoire collective des Français et des Québécois. Dans cette perspective, deux films sur la carrière de Mesrine et deux longs métrages documentaires «étoffés» ont été présentés au grand public au cours des deux dernières années. Ainsi, à partir des deux autobiographies de Mesrine, L'instinct de mort (1977) et Coupable d'être innocent (1979), le réalisateur français Jean-François Richet a produit en 2008 deux longs films de plus de deux heures chacun sur la vie de Mesrine, deux films qui portent les titres de L'instinct de mort et L'ennemi public numéro 1. Ces films ont reçu en 2009, aux Oscars français, le «Prix du meilleur film de l'année». L'acteur français bien connu, Vincent Cassel, qui y joue le rôle-titre de Mesrine, a pour sa part reçu le «Prix du meilleur acteur de l'année». La popularité de ces films, nul n'en doute, ajoute ainsi au mythe.
Moins spectaculaire évidement que ces deux films, les deux documentaires de plus de 90 minutes chacun de Philippe Roizès, l'un en 2008 et l'autre en 2010, présentent de façon plus systématique cette carrière criminelle hors-normes. Le livre Mesrine / Fragments d'un mythe (2010) reprend d'ailleurs le titre des documentaires de Roizès. Le livre a été écrit en collaboration avec Anne-Claire Préfol, journaliste indépendante pour la presse, le web et la télévision. Philippe Roizès se décrit pour sa part comme journaliste et documentariste depuis le début des années 90. Il a collaboré avec Arte, Canal Plus, Planète Justice et MCM. Le livre est une «adaptation enrichie» de ses deux documentaires. À partir de l'autobiographie de Mesrine, L'instinct de mort et des versions désormais officielles de ses faits et gestes, cette enquête menée de front par Roizès, fondée sur près de 150 témoignages - amis de jeunesse, femmes, compagnons du service militaire, codétenus, complices, gardiens de prisons*, policiers*, avocats, victimes* ... - reconstitue les épisodes de la vie de l'ennemi public numéro 1. Plus de 200 photos, lettres ou documents - rares ou inédits - complètent cette investigation de deux ans et demi, la plus complète jamais réalisée, re-visitant l'histoire d'un homme qui prit soin de faire de sa carrière de gangster une légende. Pour la première fois, lumière est faite sur l'enfance et l'adolescence de Mesrine, ses rapports avec son père, la vérité sur la guerre d'Algérie, son implication avec le «milieu criminel» des années 60 et 70, les raisons de son départ pour le Québec et le Canada, son rapport aux médias*, ses multiples détentions et évasions, ses projets ou sa mort ... Des recherches minutieuses qui renforcent ou tordent le cou à de nombreuses rumeurs ou idées reçues, clarifiant les méfaits d'un personnage complexe. En fait, le «très grand mérite» de ce livre est la description vraiment rigoureuse des faits et gestes de Mesrine, au delà précisément des rumeurs et des fantasmes. Tout cela débarrassé de toute tentation romanesque, même si ce livre se lit comme un véritable roman. Ironie du sort ! Le livre ne contribue aucunement à glorifier la carrière criminelle de Mesrine. Il est le plus objectif possible, le plus précis possible. En fait, selon nous, ce travail de Roizès (et Préfol) relève d'un «excellent travail d'un criminologue qui s'ignore», selon l'expression consacrée, autant que d'un «magistral travail de journaliste». À tout seigneur, tout honneur !
© André Normandeau, Ph.D.
Criminologue et professeur,
Université de Montréal
Voir les commentaires télévisuels du criminologue André Normandeau au canal de télévision V à l'occasion de la sortie du film: Jacques Mesrine / L'Instinct de mort (août 2010)
http://vtele.ca/webtele/culturev/2010/07/16432.php
Consulter aussi l'entretien d'André Normandeau à l'émission «Bons baisers de France» du 9 août 2010
«C'est un carrière criminelle vraiment intéressante pour un criminologue. De plus, j'ai visionné le film trois fois. Pour ceux qui aiment le genre «film policier et gangster», c'est vraiment l'un des meilleurs films dans le domaine, même par rapport aux meilleur films américains en la matière.» À la fin de l'entrevue, André Normandeau établit pour le grand public, qui écoute cette émission, l'équilibre délicat entre Mesrine-Héros et Mesrine -Antihéros.
http://www.radio-canada.ca/emissions/bons_baisers_de_france/2010/chronique.asp?idChronique=116676
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Mesrine
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