La vie et la mort (rite funéraire)
Dans les hautes terres de ce qui est aujourd'hui le Guatemala, un vieil homme allait mourir. A l'extérieur de la hutte, les femmes s'affairaient aussi mais pour une œuvre plus lugubre. Elles tissaient les riches manteaux pour les funérailles du vieil homme, pour la dernière fois, car elles aussi allaient mourir. A l'intérieur de la hutte, une femme d'âge moyen gardait son père, le chef, se demandant quand la mort viendrait. Le chef vécut en effet toute la nuit mais, quand l'aube pointa, il exhala son dernier soupir. Son fils plaça une perle de jade dans sa bouche, pour recevoir l'esprit qui s'envolait, puis la frotta doucement sur le visage de son père. On s'attendait à l'événement et tout avait été préparé: les manteaux rodés pour couvrir les épaules du mort, les messagers pour avertir les chefs des groupes voisins, les objets à déposer dans la tombe, la nourriture pour le voyage vers le monde souterrain, la tombe elle-même était creusée. On gardait un oeil vigilant sur les esclaves pour prévenir toute évasion.
Le lendemain, les chefs du voisinage arrivèrent tour à tour dans leur litière, avec leur suite.
Les funérailles eurent lieu le troisième jour. Un cortège formé par les principaux personnages du groupe local, les chefs voisins et une foule de serviteurs portant des offrandes et les biens du mort, gravit la hauteur pour gagner la tombe. Un petit groupe d'esclaves effrayés marchait aussi dans ses rangs, accomplissant leur dernier voyage, car ils allaient également mourir pour que leurs âmes pussent servir leur maître dans l'autre monde.
Celui-ci avait été couvert de bijoux : jades, colliers de coquillages, quelques ornements en or ou en alliage d'or (qui eussent été absents quatre ou cinq siècles plus tôt, car les Maya ne connurent pas les métaux avant la fin de la période classique). Sur la poitrine, il portait un grand miroir en sulfure de fer, dont les plaques polygonales étaient assemblées, comme une mosaïque, sur une plaque d'ardoise. Des boucles d'oreille, en jade vert-pomme, pendaient à ses lobes. Des molletières, avec des clochettes en cuivre qui avaient tinté à chacun de ses pas, quand il était vivant, entouraient les jambes au-dessous des genoux. Il était chaussé de sandales, avec de hauts protège-talon en cuir travaillé. Un pagne en coton, aux broderies compliquées, ceignait sa taille, et les bouts, ornés de plumes, pendaient devant et derrière. Sur les épaules il avait plusieurs manteaux en coton brodé ou en plumes, le « trousseau » que les femmes esclaves préparaient depuis plusieurs mois.
Ainsi paré, il avait été placé, dans la position accroupie, à l'intérieur d'une grande boîte en bois, qu'on ne pourrait appeler cercueil, car elle était à peu près cubique. Quatre esclaves portaient la litière où reposait cette boîte.
Le cortège s'arrêta au sommet de la hauteur et la boîte fut descendue dans le grand trou déjà préparé. Les serviteurs vinrent, tour à tour, y déposer les biens du défunt: d'autres jades, des miroirs, des poteries, de l'onyx mexicain, des gourdes, des plumes de quetzal, d'ara, de perroquet, de dindon, avec des yeux comme celles des paons, des couteaux et des pointes en obsidienne, des pointes de lance en silex, des boucliers, des plats de maïs, de viande, de haricots, de sauce au piment, des bols de posol et de cacao, des nattes et des tissus en coton, enfin les cadeaux apportés par les chefs voisins.
On tua d'abord le chien favori du défunt, pour que son ombre pût guider celle de son maître pendant le long voyage. Puis on tua les esclaves, ceux du mort et ceux qu'avaient amenés les autres chefs. Un par un on déposa leurs corps dans le trou avec leurs outils habituels: des pilons, des métiers, des fuseaux, des aiguilles, des balais .de l'argile pour poterie avec les femmes, des haches en pierre, des plantoirs, des sarbacanes, des lances, des couteaux et des pièges avec les hommes. Le trou se trouva alors presque rempli. On jeta de la terre pour combler les intervalles et on pila le tout. Bientôt, des maçons construiraient un autel, sur lequel on brûlerait de l'encens et on déposerait de la nourriture pour que les esprits des défunts pussent se nourrir de l'esprit de celle-ci.
Le soir, le nouveau chef offrit un banquet à ceux qui étaient venus pour accompagner son père à sa dernière demeure.
Après que des discours polis eussent exalté les vertus du défunt, la conversation prit une tournure plus générale bien que la mort et les funérailles y dominassent. Un homme âgé exposa la coutume particulière aux Cocom,, qui gouvernaient ù Mayapun, dans le lointain Yucatan.
« On coupe la tête du chef mort, dit-il. On la fait bouillir pour en enlever la chair, puis on découpe la partie postérieure. Sur l'avant de celle-ci on modèle les traits du défunt avec une espèce de bitume. Ces portraits d'ancêtres sont placés sur l'autel familial, et on leur fait des offrandes à chaque fête. En certaines parties du Yucatan règne une coutume encore plus étrange. Le fils commande une statue en bois de son père, avec un trou à la partie postérieure de la tête. Il brûle certaines parties du cadavre, remplit le trou avec les cendres, le recouvre avec la peau de la partie correspondante du corps, et enterre le reste. Les familles placent ces statues en bois à côté de leurs dieux et les vénèrent. C'est assurément bien étrange! »
Le lendemain, sous une averse tropicale, les visiteurs s'en allèrent. Le ciel s'était ouvert, la pluie, dispensatrice de vie, jade précieux, avait commencé, ranimant la Nature; la collectivité oubliait la mort.
Divinités du monde souterrain
Les Aztèques croyaient qu'il existait trois régions de la mort. Les guerriers tués au combat ou sur l'autel des sacrifices*, ainsi que les femmes décédées pendant l'accouchement, allaient dans un paradis céleste. Les premiers escortaient le soleil depuis l'horizon orientai jusqu'au zénith, les secondes du zénith à l'horizon occidental. Les personnes mortes de diverses maladies, telles que l'hydropisie et l'épilepsie, celles qui s'étaient noyées ou qui avaient été frappées par la foudre (les haches lancées par les dieux de la pluie), allaient à Tlalocan, domaine des Tlalocs, lieux mexicains de la pluie. C'était aussi un paradis où toutes les plantes comestibles poussaient à profusion et qui, d'après une de nos sources, constituait le compartiment inférieur du cieI. Le troisième domaine des morts était Mictlan, apparemment le compartiment inférieur du monde souterrain, où allaient ceux qui n'étaient pas qualifiés pour les deux autres. Le dieu et la déesse de la mort le gouvernaient.
On ne peut dire jusqu'à quel point ces concepts trouvaient les parallèles dans les croyances maya. On ne découvre dans elles-ci aucun indice du paradis céleste des guerriers, produit probable du culte militaire des Mexicains, mais un équivalent du Tlalocan et, tout au moins dans les derniers temps, d'un domaine souterrain, peut-être gouverné par Kisin, dont le nom implique la puanteur de la maison charnelle, et qui est probablement le dieu de la mort si fréquemment représenté dans les codex maya.
Les glyphes des neufs seigneurs des nuits et des mondes souterrains ont été identifiés, mais on ignore leur nom, quoique le premier de la série, le soleil nocturne c'est~à-dire pendant son passage de l'ouest à l'est, soit facilement reconnaissable.
Divinités des périodes de temps et des nombres
On considérait comme des dieux les vingt jours qui constituaient le mois maya et on leur adressait des prières. Ces jours étaient, d'une façon, l'incarnation des dieux tels que le soleil et la lune, la divinité du maïs, celle de la mort, et celle du jaguar, tirés de leurs diverses catégories pour s'incorporer à la série. Les nombres qui accompagnaient les jours étaient également des dieux, correspondant peut-être aux treize divinités célestes, quoiqu'ils se trouvent aussi dans la même série que treize des dieux des jours.
Divinités diverses
En plus des dieux affectés au ciel, à la terre et au monde souterrain, il en existait d'autres auxquels il n'est pas aisé d'assigner une place.
Voici, à mon avis, quels furent les caractères les plus marqués de la religion maya:
1) Origine reptilienne des divinités de la pluie et de la terre; les représentations de serpents et de crocodiles, fondus les uns aux autres et d'une conception fantastique, parfois mêlées à des traits humains, distinguaient ces dieux. Les divinités de forme purement humaine ne sont pas fréquentes dans l'art maya.
2) Quadruplicité des divers dieux, associés aux points cardinaux et à leur couleur, et pourtant, fusion mystique des quatre en un seul, comparable au mystère chrétien de la Trinité.
3) Dualité des aspects, car les divinités pouvaient être à la fois bénéfiques et maléfiques et, dans certains cas, semble-t-il, changer de sexe. Cette dualité s'étendait aussi à l'âge, car, pour plusieurs d'entre elles, les fonctions se partageaient entre un jeune dieu et un vieux dieu. Dans l'art, le caractère maléfique est exprimé par l'adjonction du symbole de la mort.
4) Enrégimentement, sans discrimination, en de vastes catégories, de sorte qu'un dieu pouvait appartenir à deux groupes diamétralement opposés, un membre du groupe céleste être enrôlé, aussi bien, dans le groupe du monde souterrain.
5) Grande importance des dieux associés aux périodes de temps.
6) Inconsistance et doublage des fonctions, à cause de l'apposition de concepts nés dans la classe dirigeante à des dieux de caractère plus simple, adorés par les générations précédentes.
Il est intéressant de noter que les Maya, qui avaient résisté à l'impact de cultes étrangers tels que celui de Kukulcan, acceptèrent le christianisme, mais pas pour le substituer à leurs anciens dieux. Bien au contraire, ils amalgamèrent les deux religions pour les adapter à leur goût. Les dieux maya et les saints chrétiens se fondirent dans un panthéon malléable, avec le Dieu chrétien à leur tête. Au Yucatan, les Chacs furent montés sur les chevaux des Espagnols et rebaptisés d'après les archanges, la déesse-lune se fondit avec la Vierge Marie.
En certaines régions, il existe une différence de fonction entre les saints et les divinités païennes. Les premiers gouvernent les villes et leurs activités, les secondes protègent les forêts, les milpas et ceux qui les habitent. Néanmoins, très peu de Maya seraient capables de faire le partage entre les éléments chrétiens et païens de leur religion. En fait, ils s'indigneraient si on les soupçonnait d'être partiellement des païens.
Source
J.E.S. Thompson,archéologue de l'Institut Carnégie de Washington (1898-1975), Grandeur et décadence de la civilisation maya, traduction de René Juan, Paris, Le Cercle Historia, 1964, p. 373-541, « la vie et la mort » et « Divinités », p. 512-523.
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