Patrick Alvin, L'envie de mourir, l'envie de vivre, Un regard sur les adolescents suicidants, Doin, Éditions Lamarre, 2009, 216 pages
Préface
« [...] Il existe aujourd'hui un véritable surinvestissement de la jeunesse qui consiste à la transformer en un idéal de vie indispensable, la condition de la réussite et du bonheur qu'il ne faut jamais quitter. Le vrai scandale, c'est qu'un jeune prenne des risques avec sa santé ou sa vie au moment même où l'avenir s'offre à lui. Il y a dans cette atteinte provoquée quelque chose qui relève de la trahison de l'odre établi et des convenances sociales.
L'adolescent juge indispensable la reconaissance de son individualité par le monde adulte, ce qu'il veut exprimer de manière inapporpriée et excessive à travers tentative de suicide, violence, consommations de produits, abandon du cursus scolaire, fugues. De tels signes d'alarme appellent donc une prise de conscience des difficultés propres à cet âge.
Pourquoi ce jeune a-t-il voulu quitter la vie au moment où elle devrait être, d'évidence, la plus belle à vivre? Son histoire, ses pensées, son geste ont forcément quelque chose de singulier qui interroge et fascine. Parce qu'il n'est pas dans la norme, l'adolescent suicidé se transforme, est transformé, en une sorte de héros moderne, qui par son passage à l'acte a voulu témoigner, protester, dénoncer. La presse finit par parler plus des adolescents en détresse, suicidaires, voire suicidés, que de ceux qui vont bien et représentent plus de 80 % de la jeunesse.
Ainsi s'établit une surmédiatisation du mal-être des jeunes qui vient en contre-point du discours permament sur le bonheur de la jeunesse. Cela traduit aussi la culpabilité collective et individuelle que les adultes ressentent vis-à-vis des jeunes. Quelle place leur prépare-t-on? Dans quel monde vont-ils vivre? Ces interrogations se posent à chaque génération, mais elle s'imposent aujourd'hui avec une acuité nouvelle, parce que le monde est devenu plus brutal, violent, parce que les jeunes ont du mal à trouver leur place, ils sont promis au chômage, aux petits boulots.
La crise de l'adolescence, dans son interprétation contemporaine, qu'elle s'exprime sous la forme de l'agressivité, de conduites à risque (l'usage de produits psychoactifs est en forte progression) ou de la tentation suicidaire, devient le symptôme des dérèglements de notre monde.
[...]
Patrick Alvin nous rappelle que le suicidant a toujours quelque chose à nous dire, qui n'est pas une chose folle (qu'il faudrait alors confier au psychiatre), mais quelque chose de lui, de son existence d'adolescent, de sa capacité à prendre sa place dans le monde qui l'entoure.
C'est pourquoi, il revient à tous les soignants - pédiatres d'adolescents comme médecins généralistes référents et autres intervenants, infirmières -, de prendre le risque de la relation avec l'adolescent suicidant comme lui-même a pris un risque avec sa santé ou sa vie. Car il existe un risque plus grand encore, celui de refuser la relation, au prétexte qu'elle serait trop risquée en termes de répétition, de refus de suivi, voire de mort par suicide, et de se contenter de «passer la main» aux psychiatres. [...]
Professeur Michel Debout
Président UNPS