Hubert Larue (1833-1881), médecin qui soutient sa thèse à l’université Laval en 1859, après avoir effectué des stages au sein d’équipes médicales à Louvain et à Paris. Sa thèse sera publiée, la même année, à Québec sous le titre Du suicide par l’imprimerie de Saint-Michel et Darveau. Selon l’historien Serge Gagnon (Mourir. Hier et aujourd’hui, p. 133-138), la pensée du jeune docteur semble pleinement s’accorder avec le discours théologique de son temps et fait très dix-neuvième siècle. Elle devance, en quelque sorte, les thèses de Durkheim* sur le manque d’intégration sociale et sur l’anomie de la société pour expliquer le phénomène du suicide. Si «la misère, la pauvreté, le dégoût de la vie, l’influence des climats, des saisons, des phases de la lune» sont considérés comme des causes secondaires du suicide, la «grande et suprême cause» est «l’absence de principes», «l’indifférence en matière de religion» ou encore «le mépris des saines idées religieuses et philosophiques». Les causes ordinaires ou «occasionnelles» du suicide sont la débauche, les chagrins, la honte* et le remords, les souffrances physiques, la blessure de l’amour-propre, le revers de la fortune, la sénilité et la démence. Les villes sont des lieux plus favorables au suicide que la campagne, le froid est moins propice que la chaleur à la folie et au suicide qu’elle accompagne. Les adultes et les vieillards* sont plus vulnérables à la crise* suicidaire que les enfants et les jeunes*. Au Québec*, d’après les enquêtes des coroners, deux suicides sur trois sont mis au compte de l’aliénation mentale. Il appert donc que «le suicide volontaire, criminel, avec l’intégrité des facultés intellectuelles, est extrêmement rare».
Selon LaRue, la croissance du taux de suicide est le fruit de la modernité, de la révolution, des «idées philosophiques et anti-civilisatrices» (Du suicide, p. 45), des «élucubrations d’une littérature aussi pernicieuse que peu intelligente» (p. 47). «Il faut aller chercher la cause des progrès du mal dans cette instruction, qu’on cherche à répandre à droite et à gauche, au milieu des masses, et sans aucun discernement, sous prétexte de les civiliser, et sans s’occuper le moins du monde de leur éducation religieuse. C’est cette fausse civilisation qui est la cause souveraine, je dirais même unique, de cette multiplication effrayante des suicides chez tous les peuples civilisés, depuis bientôt un siècle» (p. 106). Par contre, «le sentiment religieux, en général, est le préservatif le plus efficace du suicide». Si les Canadiens français jouissent d’un taux de suicide extrêmement bas, ils le doivent à leur fidélité à la foi catholique qui leur a donné «toute la force nécessaire pour supporter patiemment les épreuves et les malheurs ordinaires de cette vie» (p. 99).
Dans la dernière partie de sa thèse, LaRue présente des tableaux qui le situent parmi les statisticiens moralistes. Comme eux, le médecin québécois met ses données quantitatives au service de la mentalité morale et religieuse dominante de son époque. Il y aurait au Québec un suicide sur 114 900 catholiques et un suicide sur 49 164 protestants. L’historien Serge Gagnon cite une étude récente qui résume l’esprit dans lequel le corps médical du dix-neuvième siècle aborde les règles morales et juridiques qui régissent l’évaluation de la mort volontaire: «La seule cause qui le dispute à la folie reste la désorganisation morale provoquée par la perte du sentiment religieux “qui enseigne la résignation”.» C’est là une dépravation unanimement déplorée, le retour aux croyances antérieures étant la seule solution qu’aperçoivent les observateurs du suicide, issus pour l’essentiel du corps médical, «peu suspect d’exagération dans ses croyances religieuses» (M. Joerger, «xixe siècle: Qui sont les suicidés?», L’histoire, no 27, octobre 1980, p. 55).