L'Encyclopédie sur la mort


Koestler Arthur

 

Arthur Koestler

Né le 5 septembre 1905 à Budapest dans une famille hongroise juive ashkénaze de langue allemande, Arthur Koestler devient sujet britannique en 1948. Journaliste, romancier et essayiste, il mène une existence tantôt tumultueuse, riche d'événements et d'expériences comme ouvrier agricole en Palestine, comme membre du parti communiste en Allemagne, comme chroniqueur, espion et condamné à mort durant la guerre civile en Espagne, comme prisonnier en France au début de la seconde guerre mondiale. De ses fidélités et luttes politiques successives, il nous livre des récits, à la fois tragiques, lucides et ironiques, dans ses ouvrages à caractère autobiographique: Un Testament espagnol (Spanish testament/Dialogue with death), 1937, La Lie de la terre (Scum of the earth), 1941, La Corde raide (Arrow in the blue),1952 et Hiéroglyphes (The invisible writing), 1954. Pour une biographie condensée: «Le destin d'un intellectuel engagé» dans Roland Quilliot, Arthur Koestler. De la désillusion tragique au rêve d'une synthèse, Paris, Vrin et Lyon, Institut Interdisciplinaire d'Études Épistémologiques, 1990, p. 20-42. Pour un portrait de la personnalité de Koestler: «Contradictions et exigences: la sensibilité koestlérienne», op. cit., p. 43-56 dont voici un extrait:

«En fait, Koestler reconnaît et assume ses déchirements: "les contradictions entre sensibilité et crudité, sincérité et roublardise, égoïsme et abnégation, qui apparaissent à tous les chapitres (de l'autobiographie) ne composeraient jamais un personnage de roman vraisemblable", remarque-t-il. Mais il ajoute que de toute façon la "personnalité totalement intégrée" dont rêvent les psychiatres, serait, si elle pouvait exister, "parfaitement inintéressante" : les contrastes et les tensions sont l'essence de la vie. Peut-être celle de ces contradictions qu'il considère en lui comme la plus fondamentale est-elle au total celle de la rationalité et de l'émotivité. Spontanément, il est en effet un rationaliste, convaincu que tout peut et doit être compris, détestant l'obscurantisme, cultivant la maîtrise de soi. Mais en fait, dans les actions des hommes, et particulièrement dans les siennes, la rationalité n'est souvent, il le sait bien, qu'un masque: l'élément moteur, ce sont les besoins affectifs, qui dépendent de la sensibilité. Quand il se regarde, Koestler est bien forcé de reconnaître qu'il est avant tout un émotif, que mènent des anxiétés, des obsessions, des indignations, des enthousiasmes, qui n'ont rien de rationnel, et qu'il ne peut pourtant contrôler. Il est en particulier dominé par l'angoisse, fruit d'une enfance qu'il a vécue comme traumatisante, Cette angoisse prend de nombreuses formes. Il y a l'horreur archaïque qui l'étreint devant la violence physique, qu'il a baptisée dans son code personnel "hora" ; la peur de n'être pas à la hauteur, qui laisse parfois cet audacieux paralysé de timidité; le sentiment de son indignité qui lui fait ruminer ses erreurs, ses fautes, ses défaillances; la certitude qui le submerge de temps à autre, qu'une catastrophe est inévitable. Ou tout simplement encore la conscience amère de la fuite du temps et du caractère fugitif de toute expérience: Koestler dit ainsi avoir acquis très tôt "l'art d'empoisonner ses plaisirs en se rappelant qu'ils sont éphémères", rongés par le sablier du temps. Cela dit, il a appris aussi très tôt à se défendre contre ses obsessions par des trucs psychologiques: de l'histoire du baron de Munchausen se tirant par les cheveux de la boue où il est en train de s'enfoncer ("Baboue"), il a tiré la conclusion qu'il est possible de transformer le sens d'une situation imposée, et de se donner l'impression qu'on la domine. Et avec le temps, il affirme être devenu capable de "déjouer ", au moins partiellement "ses émotions et ses anxiétés", à condition de commencer par les reconnaître au lieu de les nier.» (p. 45)

On découvrit son corps le 3 mars 1983, dans le salon de sa maison de Montpellier Square à Londres. Il était assis dans un fauteuil, un verre de cognac encore à la main. Son épouse Cynthia Jeffries*, qui a vraisemblablement décidé assez tardivement de l’accompagner dans la mort, était allongée sur le divan, un verre de whisky sur la table à côté d’elle. Chacun avait absorbé une dose massive de barbituriques. Depuis sept ans, Koestler était atteint de la maladie de Parkinson. Il souffrait également d’une leucémie qui, lors de sa mort, avait atteint la phase terminale. Dans une lettre écrite en juin 1982 et adressée «à qui de droit», l’écrivain avoue qu’il avait dissimulé sa leucémie à ses amis afin de leur éviter de souffrir. Il y annonce également sa décision de se suicider par une overdose de médicaments obtenus légalement et sans l’aide de personne. «Si cette tentative échoue, écrit-il, ou si j’y survis diminué physiquement ou moralement dans un état tel que je ne puisse plus longtemps contrôler ce qui m’est fait ou communiquer mes souhaits, je demande à être autorisé à mourir dans ma propre maison et à ne pas être ressuscité ou gardé vivant par des moyens artificiels. Je demande en outre que ma femme, mon médecin, ou tout autre ami présent invoque l’“habeas corpus” contre toute tentative de m’emmener de force de ma maison à l’hôpital.» L’écrivain évoque aussi dans ce dernier message la souffrance qu’il causera «aux quelques amis et par-dessus tout à [sa] femme Cynthia». «Je lui dois la paix relative et le bonheur que j’ai connus dans la dernière partie de ma vie et jamais auparavant.» Il souhaite «que [ses] amis sachent [qu’il] quitte leur compagnie en paix, avec l’espoir timide d’une après-vie dépersonnalisée au-delà des limites de l’espace, du temps et de la matière et au-delà des limites de notre compréhension». Ce testament de fin de vie se termine donc avec la confession d’une foi dans une vie posthume transcendante. Depuis 1981, Koestler était l’un des vice-présidents de la Société pour l’euthanasie volontaire, créée en 1953 sous le nom d’exit. Il avait contribué à la rédaction de l’ouvrage intitulé Le guide de l’auto-délivrance, ou cinq façons de mettre fin à ses jours dignement et sans douleur. À lire: L’étranger du square. Arthur et Cynthia Koestler (Paris, Calmann-Lévy, 1984), notes autobiographiques rédigées par les époux Koestler et réunies par H. Harris; Michel Laval, L'homme sans concessions. Arthur Koestler et son siècle, Paris, Calmann-Levy, 2005.

La dédicace du livre d'Arthur Koestler, la Lie de la terre se passe sans commentaire:

À la mémoire de mes

Confrères les écrivains

Exilés d'Allemagne qui

Se suicidèrent lorsque

La France capitula :

Walter Benjamin

Karl Einstein

Walter Hasenclever

Irmgard Keun

Otto Pohl

Ernst Weiss.

cité par Jean Baechler, Les Suicides, 1975, p. 465

 

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-12

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