Le long métrage documentaire Vous n’aimez pas la vérité de Patricio Henriquez et Luc Côté a été présenté en première mondiale le 14 octobre 2010 à Montréal au cinéma Impérial lors de la 39e édition du Festival. Suite à sa première mondiale, le film a pris l’affiche le 29 octobre de la même année.. Alors que le procès d’Omar Khadr s’est ouvert le lundi 25 octobre 2010 devant une commission militaire américaine, la présentation publique de Vous n’aimez pas la vérité a revêtu une importance et une pertinence incontestables.
Vous n’aimez pas la vérité est un documentaire percutant fondé sur la rencontre d’une équipe d’interrogateurs canadiens avec un enfant détenu dans la prison de Guantánamo pendant sept heures. Le film analyse les portées scientifiques, légales et politiques d’un dialogue forcé.
« Quel que soit le verdict de la commission militaire, affirme Béatrice Vaugrante, directrice générale d’Amnistie internationale Canada francophone, la réputation des États-Unis et du Canada est gravement entachée pour avoir traité ainsi un enfant-soldat de 15 ans. Le travail de dénonciation et de mémoire de Patricio Henriquez et Luc Côté est essentiel ».
« Moi, je ne dors plus très bien» écrit Anne-Matilde Rousseau dans "Khadr, abandonné par le Canada", journal Le Devoir du 25 octobre 2010 Canada. Et elle poursuit sa lettre: « Et je commence à comprendre que nous sommes quelques-uns à faire de l'insomnie. Avec le cas d'Omar Khadr, les gouvernements américain et canadien se sont engagés sur une pente dangereuse; la pente du cas par cas, la pente du peut-être et de l'exception. Ce ne sont pas seulement les droits d'Omar Khadr qui ont été ignorés au cours des huit dernières années, mais les droits fondamentaux de tous les citoyens canadiens qui sont menacés. Et personne n'a rien dit, ou presque ».
Le journaliste Yves Boisvert dans son article «Omar Khadr, l'aveu du désespoir» La Presse, Montréal le 26 octobre 2010 cite le procureur en chef des commissions militaires américaines, le capitaine John Murphy:
« Omar Khadr n'est pas un innocent, ni un enfant-soldat, ni même un soldat, dit le capitaine : c'est un meurtrier et un terroriste d'Al-Qaïda. La preuve : il l'a reconnu lui-même en s'avouant coupable! Aucun de ses quatre avocats n'a soulevé d'objection. Cela met fin à un mensonge qui durait depuis très longtemps. En droit, l'aveu est la preuve la plus forte », a dit le militaire.
Mais, voici ce que le journaliste en pense: « quand l'aveu est extorqué après des années de détention en contravention avec les normes internationales, que les accusations contreviennent aux conventions internationales, que l'accusé n'a pas de chance raisonnable de faire valoir ses droits, que vaut cet aveu? Autant qu'une confession obtenue sous la torture ».
« Rien », répond le journaliste.
Selon l'argumentation américaine, « n'étant pas un soldat à proprement parler, le combattant d'Al-Qaïda qui lance une grenade et tue un militaire américain (ce dont était accusé Khadr) viole le droit de la guerre et commet tout bonnement un meurtre ».
« Admettons cette théorie un instant », dit Yves Boisvert. « Quel que soit son statut aux yeux du nouveau droit militaire américain, Khadr avait 15 ans en 2002, quand il a été capturé, à moitié mort. Il avait été embrigadé par un père fanatique, membre en bonne et due forme du réseau terroriste. Il répond à toutes les conditions de l'enfant-soldat. Il est lui-même victime des crimes de son père fondamentaliste.
Et s'il n'est pas un enfant-soldat, il est un délinquant juvénile! Dans tous les pays démocratiques, un régime de droit particulier s'applique aux mineurs. Le traiter comme un adulte, en soi, est un déni de justice. Faire peser sur sa tête la menace d'une peine d'emprisonnement à vie n'est rien d'autre qu'une extorsion d'aveux.
Khadr a contesté la légalité des accusations et la recevabilité de ses aveux, obtenus sous la torture. Un premier juge militaire lui a donné raison, mais, en appel, il a échoué. Tout était maintenant programmé pour une probable condamnation.
Entre deux injustices, Omar Khadr a donc choisi la moindre. Cette reconnaissance de culpabilité, loin de prouver le bon droit américain, en est la condamnation par l'absurde.
Il n'y a dans son aveu de culpabilité aucune autre admission que celle de son désespoir.»
http://sergeadam.blogspot.com/2010/10/omar-khadr-laveu-du-desespoir.html
Derniers développements
« À mon avis professionnel, Omar Khadr représente un haut risque de dangerosité à titre de djihadiste extrémiste. Il fait partie de la royauté d’Al-Qaïda », a prétendu le psychiatre Michael Welner.
« Il est profondément religieux [...], ce qui est un facteur de risque particulièrement important chez les djihadistes radicaux, a ajouté le docteur Welner. Il est en colère [...], il est plein de ressentiment. Il blâme tout le monde pour ses difficultés ».
Même s’il a facturé entre 500 et 700 heures de travail pour étudier le cas d’Omar Khadr, le docteur Welner admet qu’il n’a interrogé le prévenu que pendant environ sept heures réparties sur deux jours, un été.
En contre-interrogatoire, le docteur Welner a admis que son évaluation de Khadr n'a pas été revue par d'autres psychiatres et que c’était la première fois que lui ou quelqu'un d'autre évaluait les risques à libérer un détenu terroriste.
Les avocats de la défense ont attaqué le témoignage du docteur Welner en disant qu'il s’était fortement appuyé sur les travaux du «douteux et controversé» psychologue danois de droite Nicolai Sennels, qui a déjà soutenu que le patrimoine génétique des musulmans avait été «endommagé de manière catastrophique» par la consanguinité, affectant ainsi leur intelligence et le bon sens.» («Guantanamo. Procès Khadr: la défense attaque la crédibilité d'un témoin»,
Agence QMI
Bryn Weese, 27/10/2010)
http://fr.canoe.ca/infos/international/archives/2010/10/20101027-142352.html
La représentante spéciale de l'ONU pour les enfants et conflits armés, Radhika Coomaraswamy, a écrit au tribunal militaire américain chargé du procès d'Omar Khadr pour l'enjoindre de ne pas condamner le jeune Canadien à une peine de prison.
Mme Coomaraswamy plaide que les États-Unis devraient faire respecter le droit international qui régit le sort des enfants-soldats et ne pas condamner à la prison Omar Khadr, qui n'avait que 15 ans au moment des faits qui lui sont reprochés. Omar Khadr, qui est détenu à la prison militaire de Guantanamo depuis 2002, s'est reconnu coupable lundi des cinq accusations de crime de guerre portées contre lui par la justice militaire américaine, dont celles de meurtre, de complot et de soutien au terrorisme. Il a accepté de plaider coupable en échange d'une peine réduite, qu'il pourrait purger en partie au Canada. À tous égards, Omar est l'exemple type d'un enfant-soldat, recruté par des groupes sans scrupule pour combattre, à la demande d'adultes, dans des conflits qu'ils comprennent à peine. (Radhika Coomaraswamy)
http://www.radio-canada.ca/nouvelles/International/2010/10/28/001-onu_khadr.shtml
Omar Khadr, le seul canadien (et même occidental) encore détenu à Guantanamo, a été condamné à 40 ans de prison. Le juge l'a immédiatement réduit à 8 ans, puisque ce dernier a accepté de plaidé coupable. Rappelons qu'Omar Khadr avait 15 ans au moment des faits et qu'il correspond à la définition d'un enfant-soldat.
Plusieurs médias européens en parlent et souligne qu'Omar Khadr pourrait purger sa peine au Canada dans 1 an. La décision revient au Canada.
Sur TF1, on dit que le gouvernement canadien « s'est dit "disposé" à considérer "de façon favorable" le transfert du jeune Canadien Omar Khadr dans son pays lorsque celui-ci aura purgé un an de peine à Guantanamo ».« Qui jugera à leur tour les soldats américains qui ont tué des afghans dans le cadre de la même guerre? » (Cécile Gladel, L'Événement SUR LE WEB, lundi 1 novembre 2010 à 6H48)
http://evenement.branchez-vous.com/2010/11/omar_khadr_la_condamnation_dun.html
Enjeux éthiques
L'accumulation de toutes les chroniques et de tous les commentaires consacrés à ce sujet dans les médias* habituels et dans les médias sociaux forme un récit imposant dont on aimerait bien découvrir le noeud de l'intrigue. Devant ce récit qui a suscité l'émotion, on ne peut pas rester neutre. Or, la recherche des enjeux éthiques de ce récit émouvant est une mise en question de l'intervention de tous les acteurs qui, par leur action ou par leur inaction, ont contribué aux aboutissements du procès en cours.
Parmi ces acteurs, visons les principaux: le père d'Omar et son héritage islamiste; la nébuleuse d'Al Qaïda et son terrorisme; le jeune homme au moment des faits qui lui sont reprochés; la prison américaine de Guantánamo et la torture; le gouvernement du Canada et son attitude; le procès en cours avec tous les juges, procureurs, avocats, témoins impliqués. Le point le plus intriguant et le plus inquiétant demeure la politique canadienne dans l'Affaire Khadr.
Du point de vue politique, on peut se demander quels intérêts le Canada sert-il ? Pour les connaître vraiment, on pourrait sans doute chercher une cohérence avec ses autres stratégies politiques au plan international: ses investissements massifs dans la Défense militaire, sa politique pro-Israël et le lobbying juif très puissant, sa politique pro-américaine inspirée par l'aile droite, le conservatisme du parti actuel au pouvoir, idéologie figée de droite de prépondérance fondée sur la sécurité nationale en vertu de laquelle un État peut imposer des mesures très prohibitives, voire même arbitraires. Le voile de la sécurité nationale occulte sans doute d'autres acteurs et d'autres intérêts plus cachés que l'on ne connaîtra que plusieurs années plus tard.
Cependant, même si ces acteurs et leurs intérêts sont une partie intégrante des enjeux éthiques, le noeud central de l'Affaire Khadr, du pont de vue éthique, demeure l'enfant Khadr et le non-respect du droit des mineurs. L'obligation morale du Canada fut (et l'est encore aujourd'hui) de mettre un citoyen mineur à l'abri de tout arbitraire et de se soucier de toute action qui pourrait être posée contre lui par une nation étrangère ou par une instance internationale. Omar Khadr, par la médiation de ses défenseurs, a le droit de demander au Canada : «Où es-tu?» et le Canada a l'obligation de répondre: «Me voici»!
Or, nous sommes en présence d'un cas d'une injustice flagrante, celle de l'incarcération d'un enfant, citoyen canadien, soumis à la torture et celle d'un tribunal militaire étranger durant laquelle on a pu extorquer de cet enfant devenu jeune homme des aveux, par des vagues promesses d'un transfert au Canada, d'un acte meurtrier qu'il avait toujours nié avoir perpétré. Et même s'il avait commis l'homicide d'un soldat américain, il aurait agi en état de légitime défense ou il aurait posé ce geste d'hostilité en temps de guerre contre l'ennemi envahisseur. Puis, ce qui plus est, au moment précis des événements il n'aurait pas eu ni l'âge ni la maturité requise pour estimer à sa juste valeur l'acte qu'il aurait pu poser.
Si l'aboutissement de l'Affaire Khadr était la condamnation d'un mineur, on assisterait à un échec de l'éthique qui ne nous donnera pas de repos aussi longtemps que l'on ne parviendra pas à l'accomplissement d'une justice appropriée aux personnes et aux événements, une justice basée sur une «raison sensible et une sensibilité raisonnable (Emmanuel Kant*) »..
© Éric Volant, 2010