Jacques Ferron (1921-1985), médecin et écrivain québécois, né à Louiseville, fils du notaire Joseph Alphonse Ferron, suicidé, et d’Adrienne Caron, qui mourra de tuberculose lorsqu’il avait dix ans. Il fit la majeure partie de son cours classique au collège Brébeuf à Montréal et, après son exclusion, il reçut son baccalauréat au collège de l’Assomption. Il étudia la médecine à l’université Laval. Il exerça d’abord sa profession dans l’armée de 1944 à 1945 en traversant le Canada d’un océan à l’autre. Puis pendant deux ans, il pratiqua la médecine à Rivière-la-Madeleine en Gaspésie avant d’ouvrir en 1948 un cabinet de consultation à Montréal dans le quartier de Rosemont. En 1949, après sa rupture avec son épouse Magdeleine Thérien, il s’établit à Jacques-Cartier, aujourd’hui Longueuil, où il acquit la renommée de soigner les gens avec une bonté généreuse et souvent gratuitement. En 1952, il épouse Madeleine Lavallée. En 1954, il devient membre de la direction du Congrès canadien pour la paix. En 1958, il se présente pour le Parti social-démocrate (PSD). En 1960, il fonde avec Raoul Roy l’Action socialiste pour l’indépendance du Québec. Avec des membres de sa famille, il fonde le Parti rhinocéros dont il sera à plusieurs reprises candidat défait. Grâce à sa sœur Madeleine, il côtoie les grandes figures du mouvement des automatistes, dont Paul-Émile Borduas, peintre, et surtout Claude Gauvreau*, poète et dramaturge. En 1966, il est omnipraticien à l’hôpital psychiatrique du Mont-Providence, aujourd’hui Rivière-des-Prairies, et, en 1970-1972 à l’hôpital psychiatrique de Saint-Jean-de-Dieu, aujourd’hui centre hospitalier Louis-H-Lafontaine. Durant la crise d’octobre 1970, lors de l’arrestation des membres du Front de libération du Québec (FLQ) Paul Rose, Jacques Rose et Francis Simard, il agit comme leur médiateur. En 1973, il assiste à un congrès de l’Union mondiale des écrivains médecins en Pologne. Il mourra à sa résidence à Saint-Lambert. Ses dernières années de vie marquées par la dépression* et sa mort, qui serait un suicide, demeurent entourées de mystère (Le cabinet du docteur Ferron, réalisation et scénario de J. D. Laffond, 2003; O. Tremblay, «Portrait d’un homme complexe», Le Devoir, les 8 et 9 novembre 2003).
Médecin de campagne et des quartiers pauvres, médecin des gens simples et des fous, Ferron s’est voué, de toute son âme, à la littérature et à l’écriture. Sa personnalité a été exceptionnellement bien décrite par Pierre Vadeboncœur dans sa «préface» à La conférence inachevée (Montréal, VLB, 1987): «Esprit aristocratique, médecin populaire, ces deux aspects se répondent l’un l’autre avec une belle justesse.» Dans ses récits, «on sent bien la discrétion» de «sa commisération, sa réelle commisération» pour les patients, les pauvres, les exclus. Son détachement «n’est pas chez lui un réel détachement, il s’en faut, mais bien plutôt le ton d’une pensée grave et stoïque sur la mort, sur la condition humaine déterminée par elle et par tout ce qui lui ressemble dans la démence». Sous son masque, il y avait «la tristesse d’en savoir trop sur le malheur humain, sans véritable espérance, ni pour lui-même, ni pour les autres».
Ferron se reconnaît aisément dans un des personnages, appelé Maski, qu’il a créé comme son double. «Maski commença à prétendre qu’il avait reçu plus que sa part de vie et qu’il en était repu, écœuré, mais cela n’arrêtait rien; la vie, comme une machine grinçante, continua de tourner, rajoutant des jours aux jours, et chaque soir, Maski ne se mettait plus au lit pour dormir, mais dans l’espoir de mourir. Le lendemain, il se relevait déçu, déjà fatigué par cette journée qui l’attendait. Il en était ainsi de tous les matins et cette fatigue renouvelée lui avait fait prendre l’éternité en aversion» (Rosaire précédé de L’exécution de Maski, Montréal, Lanctôt, «Petite collection», 2003, p. 33). Dans le même roman, Ferron procède par allusions: «Après tout, quoi de plus facile que de disposer de soi quand on est médecin.» «On ne pouvait pas se prouver sa liberté* autrement que par le suicide» (p. 33). Le «Notaire» dit à Maski à son retour de Varsovie où Ferron avait été effectivement: «Elle [Hermine] te trouvait alerte comme un vieux loup. Je lui ai dit qu’elle se trompait, que tu étais revenu épuisé par ton voyage, poursuivi par l’orfraie, l’oiseau de la mort» (p. 45). Et à la même page, il écrit: «La morphine […] fait taire le chant de l’orfraie.» Dans sa préface à Rosaire suivi de L’exécution de Maski, le psychiatre Pierre Mignault est d’avis que «Ferron comme ses amis, les fous, les folles, sont des témoins privilégiés des trébuchements de la condition humaine» (p. 17).
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