D'origine juive né à Vienne le 18 janvier 1880, Paul Ehrenfest suit les cours des Ludwig Boltzmann* sur la théorie mécanique de la chaleur à l'université de Vienne en 1899. Entre 1901 et 1903, il poursuit ses études à l'université Georges-August de Göttingen où il soutient sa thèse sur la mécanique de H. Hertz en 1904, sous la direction de Félix Klein, et où il se lie d'amitié avec Tatyana Alexeyevna, qui deviendra son épouse. Tous deux découvrent une erreur fondamentale dans la mécanique statistique de J. Willard Gibbs et, sont invités par Klein à la place de Boltzmann, qui vient de se suicider, à rédiger un article sur les fondements de la mécanique statistique dans l'Encyclopædie der mathematischen Wissenschaften. En 1907, les Ehrenfest quittent Göttingen pour Saint-Peterbourg. N'ayant pas de position stable, Paul publie plusieurs articles dont une étude du principe Le Chatelier-Braun, et deux sur le principe de relativité. En 1912, Ehrenfest succède à H. A, Lorentz dans la chaire de physique théorique à l'université de Leyde, où il enseignera jusqu'à sa mort tragique en 1933 à Amsterdam le 25 septembre.
Très apprécié par plusieurs scientifiques, Paul souffrait beaucoup de son manque d'estime de soi. En plus, il était très désolé des problèmes physiques et mentaux de Wassik, son fils trisomique. Il laisse une lettre d'adieu* qui n'a jamais été expédiée:
«Mes chers Amis: Bohr, Einstein, Franck, Herglotz, Joffé, Kohnstamm, et Tolman!
Je ne sais absolument plus comment je pourrai porter encore plus longtemps le fardeau de ma vie qui m'est devenue insoutenable. Je ne puis plus supporter que ma tâche professorale à Leyde va à la dérive. Je dois abandonner mon poste ici. Peut-être pourrai-je user de mes dernières forces de vie en Russie. Cependant, il n'est pas évident que je serai capable de faire cela, parce qu'il est aussi bien que certain que je vais me tuer. Et si cela devait arriver un jour, j'aimerais savoir que j'aurais écrit, calmement et sans hâte, une lettre à vous dont l'amitié a joué un si grand rôle dans ma vie...
Depuis quelques années, il me devient de plus en plus difficile de suivre avec assez de compréhension les développements en science de la physique. Plus j'essaie, plus je deviens nerveux et plus je me fâche. Finalement, je me laisse aller au désespoir. Cet abandon me fait inquiéter pour ma vie. Je me sens condamné à vivre uniquement à cause de ma responsabilité à l'égard du bien-être de mes enfants. J'ai essayé d'autres choses, mais celles-ci ne m'ont aidé que très temporairement. C'est pourquoi je me concentre de plus en plus sur la préparation de mon suicide. Je ne vois pas d'autre solution que le suicide, et cela après avoir tué Wassik. Pardonnez-moi...
Que vous-mêmes et ceux qui vous sont chers se portent bien.» (traduction libre de la lettre de Paul parue en anglais dans l'article biographique de J. O'Connor and E. F. Robertson. (http://www-history.mcs.st-andrews.ac.uk/history/Biographies/Ehrenfest.html)
Une lettre similaire, destinée aux étudiants, ne fut jamais envoyée non plus. Ehrenfest tua Wassik par balle dans la salle d'attente de l'Institut Professeur Watering à Amsterdam où ce fils handicappé était sous traitement. Puis, le savant troublé retourna son arme contre lui.
«Dans la physique bouillonnante des années 20, Paul Ehrenfest figure au premier plan. Auteur de contributions majeures, il cultive l'art des rencontres et de l'enseignement. Pour son malheur, il ne cesse d'exercer à son égard un sens critique d'une rare acuité et, en la matière, n'est guère aidé par celui qu'il s'était choisi comme plus proche ami : Albert Einstein...» (Etienne Klein, «Paul Ehrenfest, le Socrate des quanta: Je me promène parmi les monstres comme une grenouille sans défense» http://www.chapitre.com/CHAPITRE/fr/REVIEW/etienne-klein).
En effet, Einstein donnera de la personnalité d'Ehrenfest une description ambigue. Il loue sa bonté humaine, mais sous-estime la qualité de son oeuvre scientifique : «Il n'était pas seulement le meilleur enseignant que je n'ai jamais connu, mais il était aussi passionnément soucieux du développement et de la destinée des humains, plus particulièrement de ses étudiants. Sa capacité de comprendre autrui et de gagner leur amitié en confiance, d'aider chaque personne tourmentée par des luttes extérieures ou intérieures, d'encourager des jeunes talents - tout cela était vraiment sa grande force, plus encore que son rayonnement scientifique » (traduction libre de l'anglais: article de O'Connor et Robertson op. cit.).