Beccaria, né à Milan en 1738, est nommé chef du département politique du conseil du gouvernement de la même ville en 1789. Décédé en 1794. Auteur du traité Des délits et des peines, publié en 1764, dans lequel il fait une synthèse des critiques dirigées contre un système pénal périmé, il propose un nouvel ordre juridique en rupture avec la tradition médiévale. Ce traité a eu un grand succès auprès des encyclopédistes et de Voltaire*. Plusieurs de ses principes ont été repris dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en août 1789. Au sujet du suicide, le traité stipule dans son article 32: «Celui qui se tue fait moins de tort à sa patrie que l’émigrant. Le premier laisse tout à son pays, tandis que l’autre lui enlève sa personne et une partie de ses biens. Je dirai plus. Comme la force d’une nation consiste dans le nombre des citoyens, celui qui abandonne son pays pour se donner à un autre cause à la société un dommage double de celui que peut faire le suicide.» Beccaria construit toute la réforme du droit sur le principe de l’utilité sociale et sur les bénéfices qu’une collectivité peut tirer de l’action du citoyen. Ce principe de l’utilité sociale paraît clairement dans la comparaison que l’auteur établit entre la personne qui émigre et la personne qui se suicide. On se rend compte que Beccaria considère le suicide comme un geste individuel qui se répercute dans la société en bénéfices ou en dommages, sans que l’on puisse en déduire que ce geste lui-même est une répercussion du malaise social subi par l’individu au sens dont Durkheim* le traitera dans son concept d’anomie.
Pour Beccaria, la peine est un moyen au service d'une fin: la protection de la société. Elle n'est donc légitime que si elle est dissuasive. De ce point de vue, l'esclavage à vie serait même plus efficace que la peine de mort. « Le spectacle affreux, mais momentané, de la mort d'un scélérat est pour le crime un frein moins puissant que le long et continuel exemple d'un homme privé de sa liberté*, devenu en quelque sorte une bête de somme » (Des délits et des peines, 1764). Emmanuel Kant s'opposera à ces idées révolutionnaires et se prononcera en faveur de la peine de mort. Voir dans la présente encyclopédie le document associé au dossier de la peine de mort et intitulé «L'expérience américaine de la peine de mort».
Au sujet de la réforme du système judiciaire, notamment en regard de la peine de mort*, «Voltaire saisit l'occasion fournie par la traduction par l'abbé Morellet, en 1766, des Délits et des peines, l'ouvrage majeur que le jurisconsulte italien Beccaria a fait paraître en 1764, à vingt-six ans, pour exposer dans un Commentaire sa conception de la justice. Dès le 15 octobre 1765, Voltaire qui a lu l'ouvrage en italien confie à Damilaville combien les idées de Beccaria lui paraissent philosophiques avant de conclure: "L'auteur est un frère." Et rarement sans doute Voltaire s'est autant senti en communion avec l'oeuvre d'un autre. Il retrouve là, par un étonnant jeu de miroir, les idées diffusées par l'Encyclopédie et par la philosophie des Lumières. Beccaria dénonce la sévérité et les abus de la justice de son temps; il attaque en particulier la peine de mort et la torture; il recommande de proportionner la peine au délit et non au rang social des coupables, de supprimer les supplices barbares qui agressent le corps en lui infligeant des sensations insupportables et de se préoccuper de prévenir le crime plutôt que de recourir à la simple répression.» (J. Cubero, Une victoire sur l'intolérance, L'affaire Calas*, Pau, Cairn, 2006, p. 264)
Bibliographie
C. Beccaria, Traité des délits et des peines. Traduit de l’italien, d’après la troisieme edition revue, corrigée & augmentée par l’auteur. Avec des additions de l’auteur qui n’ont pas encore paru en italien. Nouvelle édition plus correcte que les précédentes, Source: Bibliothèque nationale de France.
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I. Primorac, «Kant und Beccaria», Kant-Studien, Bonn, 1978, vol. 69, n°4, p. 403-421.
Résumé: Beccaria pense que la société n'est rien d'autre qu'un contrat entre des hommes libres et indépendants de sorte que la peine de mort ne s'appuie aucunement sur le droit. Dans sa polémique contre Beccaria Kant met d'abord en question un principe de justice, celui de l'impartialité, puis le deuxième argument qui aboutit à l'implication absurde que seule est légitime la peine qui procède de la volonté du criminel, enfin pour le troisième argument Kant plus proche de Rousseau que ne l'était Beccaria parle de la volonté générale.
Robert Theis, Lucas K. Sosoe, (dir.), «Kant et la théorie des peines» dans Les sources de la philosophie kantienne au XVII° et XVIII° siècles, Paris, J. Vrin, 2005.
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