Le samedi 24 avril 1915, à Istamboul, capitale de l'empire ottoman, 600 notables arméniens sont assassinés sur ordre du gouvernement. C'est le début d'un génocide, le premier du XXe siècle.
Déjà dans les années qui précèdent la Grande Guerre, Abdul-Hamid II, sultan de l'Empire ottoman et Calife des Musulmans, fils d'une Arménienne du Harem nommée Verjine (1876-1909), fait massacrer avec le concours des montagnards kurdes, 200 000 à 250 000 Arméniens qui réclamaient la réforme des institutions. Un million d'Arméniens sont dépouillés de leurs biens et quelques milliers convertis de force. Des centaines d'églises sont brûlées ou transformées en mosquées et des centaines de villages sont rayés de la carte. L'Américain George Hepworth enquêtant sur les lieux deux ans après les faits, écrit : «Pendant mes déplacements en Arménie, j'ai été de jour en jour plus profondément convaincu que l'avenir des Arméniens est excessivement sombre. Il se peut que la main des Turcs soit retenue dans la crainte de l'Europe mais je suis sûr que leur objectif est l'extermination et qu'ils poursuivront cet objectif jusqu'au bout si l'occasion s'en présente. Ils sont déjà tout près de l'avoir atteint».
Sous l'égide du sultan Mohamed V, les «Jeunes-Turcs» veulent se démarquer des «Vieux-Turcs» qui, au début du XIXe siècle, s'opposèrent à la modernisation de l'empire. Ils laissent espérer un sort meilleur aux minorités de l'empire, sur des bases laïques. Mais dès 1909, soucieux de créer une nation turque homogène, ils multiplient les exactions contre les Arméniens d'Asie mineure. On compte ainsi 20 000 à 30 000 morts à Adana le 1er avril 1909.
Durant la Grande Guerre les Jeunes-Turcs profitent de l'occasion pour accomplir leur dessein d'éliminer la totalité des Arméniens de l'Asie mineure, qu'ils considèrent comme le foyer national exclusif du peuple turc. Ils procèdent avec méthode et brutalité. L'un de leurs chefs, le ministre de l'Intérieur, Talaat Pacha transmet un télégramme à la direction des Jeunes-Turcs de la préfecture d'Alep : «Le gouvernement a décidé de détruire tous les Arméniens résidant en Turquie. Il faut mettre fin à leur existence, aussi criminelles que soient les mesures à prendre. Il ne faut tenir compte ni de l'âge, ni du sexe. Les scrupules de conscience n'ont pas leur place ici».
Dans un premier temps, les agents du gouvernement rassemblent les hommes de moins de 20 ans et de plus de 45 ans et les éloignent de leur région natale pour leur faire accomplir des travaux épuisants. Beaucoup d'hommes sont aussi tués sur place. Dans les villages qui ont été quelques semaines plus tôt privés de leurs notables et de leurs jeunes gens, militaires et gendarmes ont toute facilité à réunir les femmes et les enfants. Ces malheureux sont réunis en longs convois et déportés vers le sud, vers Alep, une ville de la Syrie ottomane. Les marches se déroulent sous le soleil de l'été, dans des conditions épouvantables, sans vivres et sans eau, sous la menace constante des montagnards kurdes, trop heureux de pouvoir librement exterminer leurs voisins et rivaux. Elles débouchent en général sur une mort rapide.
Survivent toutefois beaucoup de jeunes femmes ou d'adolescentes. Celles-là sont enlevées par les Turcs ou les Kurdes pour être vendues comme esclaves ou converties de force à l'Islam et mariées à des familiers. Ainsi, en ce début du XXIe siècle, beaucoup de Turcs sont ainsi troublés de découvrir qu'ils descendent ainsi d'une jeune chrétienne d'Arménie arrachée à sa famille et à sa culture.
En septembre, après les habitants des provinces orientales, vient le tour d'autres Arméniens de l'empire. Ceux-là sont convoyés vers Alep dans des wagons à bestiaux puis transférés dans des camps de concentration en zone désertique où ils ne tardent pas à succomber à leur tour. Au total disparaissent pendant l'été 1915 les deux tiers de la population arménienne sous souveraineté ottomane.
Le traité de Sèvres signé le 10 août 1920 entre les Alliés et l'empire ottoman prévoit la mise en jugement des responsables du génocide. Mais le sursaut nationaliste de Moustafa Kémal bouscule ces bonnes résolutions et entraîne une amnistie générale, le 31 mars 1923.
C'est seulement dans les années 1980 que l'opinion publique occidentale a retrouvé le souvenir de ce génocide, à l'investigation de l'Église arménienne et des jeunes militants de la troisième génération, dont certains n'ont pas hésité à recourir à des attentats contre les intérêts turcs. Les historiens multiplient depuis lors les enquêtes et les témoignages sur ce génocide, le premier du siècle. Le cinéaste français d'origine arménienne Henri Verneuil a évoqué dans un film émouvant, Mayrig, en 1991, l'histoire de sa famille qui a vécu ce drame dans sa chair.
Les Turcs les plus accommodants attribuent la responsabilité des massacres à un régime disparu, le sultanat, ou aux aléas de la guerre. Ils font aussi valoir que ces massacres ne visaient pas à l'extermination du peuple arménien et en donnent pour preuve que les Arméniens de Jérusalem et du Liban n'ont pas été affectés. Ils relativisent le drame et le comparent par exemple aux méfaits de la guerre d'Algérie. Enfin, la plupart des Turcs considèrent -sans doute à tort- que leur nation s'affaiblirait en reconnaissant la réalité du génocide.
Source: le texte ci-dessus est le résumé de l'article d'André Larané «Le génocide des Arméniens en Turquie». Pour lire le texte intégral: http://www.herodote.net/histoire/evenement.php?jour=19150424