Roi de Salamine, fils de Télamon et de Périboea. Son nom évoque l’aigle (aietos). En effet, lorsque Héraclès prie Zeus de donner un fils courageux à son ami, le futur père voit en rêve un aigle, signe d’assentiment du maître des dieux. Ajax était considéré comme un des plus forts et des plus vaillants guerriers grecs. Une dispute éclata entre Ulysse et Ajax pour l’obtention de l’armure d’Achille, blessé mortellement par une flèche décochée par Pâris. Ce fut à Ulysse que cet objet sans prix fut remis. Pour se venger, Ajax voulut attaquer ses alliés durant la nuit, mais la haine d’Athéna le jeta dans la folie et il tua un troupeau de moutons. Quand il retrouva la raison, il fut accablé de honte* et se jeta sur l'épée qu'Hector lui avait offerte. (Sophocle, Ajax). Agamemnon et Ménélas, qui refusent de lui donner une sépulture en raison des fautes commises pendant sa folie, reviendront sur leur décision, après l''intervention d'Ulysse. Ajax laissera un fils, Eurysacès (bouclier large), né de sa concubine Tecmessa, prise lors d'une bataille contre les Phrygiens. Ce fils succédera à Télamon sur le trône de Salamine. La mort d'Achille et le suicide d'Ajax sont des épisodes de la guerre de Troie non rapportés dans l'Iliade d'Homère.
Hybris
R. Bultmann (1884-1976), théologien luthérien, met en évidence l'hybris* ou la démesure qui caractérise Ajax selon Sophocle: «L'homme, périssable, doit voiler un bonheur par trop grand, se garder des paroles arrogantes. Quand la fortune lui sourit, il ne pense jamais qu'un jour la plénitude de la richesse disparaîtra pour lui.»
Le père avait exhorté son fils partant à la guerre*, en disant : «Mon fils, aspire comme moi, à vaincre toujours avec les dieux.» Mais Ajax réplique, «présomptueux et insensé»: «Mon père, avec l'aide des dieux le lâche même peut l'emporter; mais moi, j'ai confiance: même sans eux je m'attirerai cette gloire.»
(Fragment de «Niobe» traduit par Reinhardt, cité par R. Bultmann, Le christianisme primitif dans le cadre des religions antiques, Paris, Petite bibliothèque Payot, 1969, p. 126)
Honte
Au sujet de la honte, Bernard Williams (1929-2003), philosophe britannique, a le don de nous faire repenser en profondeur en tant que souffrance éthique, fort légitime:
«L'image de soi qui a conduit Ajax à conclure qu'il ne peut continuer à être l'homme qui a commis ces actes repose évidemment sur des valeurs qui accordent beaucoup d'importance à la façon dont on est perçu par les autres. [...] Mais ce qui est d'ores et déjà clair, je l'espère, c'est qu'il n'est pas nécessaire d'avoir un sens exagéré du ridicule, ou une autre valeur quelconque reposant sur l'image qu'on offre, pour qu'un individu, homme ou femme, ne puisse continuer à être celui ou celle qui a commis tel ou tel acte, quand bien même cela aurait été fait de manière non intentionnelle ou fait dans une intention qui n'aurait rien à voir avec le moi ordinaire de la personne. Ce n'est pas qu'on ait le devoir de penser qu'on ne saurait vivre dans une telle situation; ce n'est pas qu'on ait le devoir de penser de cette façon, et c'est un type de pensée morale aussi éloigné que possible de ce qui est matière à obligation. Mais on peut penser ainsi, non sans raison, si sa façon de concevoir sa vie, et le sens que cette vie possède pour les autres sont tels que ce qu'on a fait a détruit la seule raison qu'on avait de continuer. Qui plus est, on peut reconnaître que ce qu'on a accompli sans le vouloir, si cela n'a pas détruit la vie, l'a au moins transformée radicalement, et l'a transformée parce qu'on a accompli cela et non pas simplement parce que telle ou telle chose est arrivée.» (B. Williams, La honte et la nécessité, Paris, PUF, 1997, p. 102)
«Dans le cas d'Ajax, on nous montre qui est l'autre, ou du moins à quoi il ressemble. Ajax se demande quoi faire :
"Quel spectacle offrirai-je ainsi à mon père Telamon? Supportera-t-il ma vue, si je me montre à lui, sans que rien me distingue, sans ce prix de vaillance dont il eut, lui, jadis, la noble et glorieuse couronne? Non, l'idée est intolérable" (Sophocle, Ajax, v. 462 et suivantes).
Non seulement le discours d'Ajax est émaillé des notions fondamentales de honte, de vision et de nudité, mais il exprime sans détour une relation de réciprocité entre ce que lui et ce que son père ne sauraient supporter. Mais, une fois de plus, ce n'est pas seulement la pensée que son père souffrira qui entraîne la décision d'Ajax, ni le fait que ce soit tout particulièrement son père. Ajax se réfère plutôt aux critères d'excellence représentés par l'honneur paternel. Et de conclure ainsi :
"Ou vivre noblement, ou noblement périr
Voilà la règle pour qui est d'un bon sang" (Ajax,v. 479-480).
Il n'a plus de vie possible que puisse respecter quiconque de ceux qu'Ajax respecte - ce qui veut dire qu'il ne peut plus vivre dans l'estime de soi. C'est ce qu'il voulait dire en disant, poreuteon, qu'il devait partir.» (B. Williams, op. cit., p. 119)
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Le suicide d'Ajax fut immortalisé par Giovanni Battista Foggini (Florence, 1652-1725) vers 1690 dans une sculpture en bronze (Metropolitan Museum of Art), reproduit ci-dessus http://www.worldvisitguide.com/oeuvre/O0007347.html