«Si en intensifiant la puissance de sa volonté au point de l'imposer à la mort, Aquin est en quelque sorte surhumanisé et approché de la figure nietzschéenne* du Surhomme, par l'intensification de sa puissance de compréhension jusqu'à son point extrême, il s'est aussi surhumanisé, mais en se rapprochant là de la figure teilhardienne de l'Ultra-humain.» (Beaudry, op. cit., p. 30)
La décélération de sa vie sous l'effet d'une extrême lassitude provoque chez Aquin une concentration en soi-même qui a quelque chose du recueillement. Schelling écrit dans la huitième lettre sur le dogmatisme et le criticisme: «L'intensité de notre conscience est en raison inverse de l'extension de notre être. Le moment le plus élevé de l'être est pour nous passage au non-être, le moment de l'anéantissement. C'est dans ce moment de l'être absolu que se trouvent réunies la plus grande passivité et l'activité la plus illimitée.» Même affligé d'une fatigue infinie, Hubert Aquin résiste à une mort qui le nie, pour affirmer sa plénitude d'être par une mort qui le magnifie. Il prend sur lui ce dont il n'est pas responsable - son suicide par la société - afin de ne pas périr d'impuissance. Il affronte ce contre quoi le commun des mortels ne peut rien: la toute-puissance des ordres établis. En bravant ainsi une toute-puissance, Aquin affirme la sienne propre et se révèle être comme Dieu est. Il quitte les ténèbres d'un monde qui le condamne à n'être que l'ombre de lui-même dans l'éclat d'une décharge où brille une souveraineté implacable. Il s'arrache à la mort par la mort, comme un Christ. Chez lui, la plus haute affirmation ne fait qu'un avec la plus haute négation. En surpassant ainsi le dilemme d'être ou ne pas être. Aquin assassine Hamlet. Les citations de Shakespeare* dans Neige noire contribuent à donner au récit une dimension cosmique que l'auteur du roman reconnaissait à sa vie et dont d'ailleurs sa fidélité à la pensée de Teilhard de Chardin est la première et la dernière preuve. Son analyse de la fatigue culturelle du Canada français en est déjà pénétrée: elle s'achève sur la vision teilhardienne d'une réconciliation finale de ce qui est «propre» et de ce qui est «universel». À la toute fin de son dernier roman, Neige noire, le point Oméga vers lequel tend la vie qui doit mourir pour renaître à l'échelle cosmique, est également teilhardien. Aquin voulait par la révolution étreindre l'Univers comme Éva dans sa passion embrasse le divin. (op. cit., p. 29-30)