Melanchthon Philipp

16 / 02 / 1497-19 / 04 / 1560

Philipp Melanchthon, qui fut à partir de 1518 le plus proche collaborateur de Luther à Wittenberg, est généralement considéré, et à juste titre, comme le réformateur allemand qui a joué le rôle principal en matière d'éducation au XVIe siècle. Il y a tout lieu de penser que les idées de Luther dans ce domaine lui venaient en grande partie de Melanchthon, dont l'importance dans le mouvement de la Réforme allemande, en qualité de pédagogue et d'enseignant, est attestée par le titre honorifique de Praeceptor Germaniae [Précepteur de la Germanie] qui lui fut donné peu après le début de sa carrière.

Les premières années

Philipp Melanchthon naquit le 16 février 1497 à Bretten, l'un des centres administratifs du Palatinat; ses parents étaient Georg Schwarzerdt, armurier du prince électeur, et Barbara Reuter, fille d'un notable de Bretten, Hans Reuter, et d'Elisabeth Reuchlin, de Pforzheim, sœur de Johannes Reuchlin (1455-1522), qui fut probablement avec Erasme (2) l'humaniste le plus connu au nord des Alpes et dont la contribution à l'étude de l'hébreu biblique et à la liberté de la recherche scientifique furent particulièrement remarquables. Philipp grandit au milieu de ses cadets, un frère et trois soeurs, dans la vaste maison de ses grands-parents maternels, proche de la place du marché de Bretten. Un précepteur fut chargé de lui enseigner le latin, ainsi qu'à son frère et à l'un des frères cadets de sa mère.

Après la mort de son père et de son grand-père, en 1508, Philipp suivit sa grand-mère à Pforzheim, dont elle était originaire, et fréquenta le prestigieux collège de cette ville. Il fit de rapides progrès en latin et en grec, vivement encouragé dans ses études par son grand-oncle Reuchlin, qui résidait alors à Stuttgart où il était membre du Collège des juges de la Ligue souabe. C'est aussi Reuchlin qui, en 1509, comme c'était la coutume à cette époque dans les cercles humanistes, hellénisa son nom de famille en Melanchthon.

En 1509, à l'âge de douze ans, après un an seulement d'étude des langues anciennes au collège de Pforzheim, Melanchthon fut prêt à entrer à l'Université de Heidelberg, où il logea chez le théologien Pallas Spangel. Le jeune Melanchthon acheva là aussi sans difficulté le cycle des études prescrites et obtint en 1511 le Baccalaureus artium in via antiqua [baccalauréat ès lettres classiques]. La même année, sa quinzième, vit paraître ses premières oeuvres, des poèmes réunis en un volume par l'éditeur humaniste Jakob Wimpfeling (1450-1528). Tout en poursuivant ses études, il remplit les fonctions de précepteur auprès des deux fils d'un comte de Löwenstein. Enfin, à l'automne de 1512, il passa à Tübingen où, bien que partisan déclaré du «nominalisme», il continua les études prescrites dans les deux systèmes de philosophie scolastique. En 1514, il fut reçu maître ès arts de l'Université de Tübingen. Mais ce sont les relations et les amitiés nouées à Tübingen avec d'autres étudiants, tous passionnés par les humanités et les autres sciences nouvelles qui prenaient alors leur essor, qui exercèrent la plus grande influence sur son développement. Il convient de mentionner ici ses amis Johannes Oecolampadius (Oecolampade), qui deviendra l'un des animateurs de la Réforme en Suisse, et Ambrosius Blarer, qui devait rendre de signalés services à la Réforme dans le Wurtemberg.

Ensemble, ils lisaient les auteurs grecs, étudiaient les dernières découvertes de l'astronomie et de l'astrologie, ou discutaient de la Dialectique de Rudolf Agricola, parue en 1515, qui marqua une étape majeure dans le triomphe de la logique scolastique. Dans un climat intellectuel aussi stimulant, Melanchthon ne tarda pas à donner de nouvelles publications: Reuchlin le chargea de rédiger avec l'un de ses condisciples la préface des Clarorum virorum epistolae [Lettres des hommes illustres] (1514) où l'humaniste se défend contre les attaques des «obscurantistes»; Melanchthon fit paraître ensuite le premier de ses grands ouvrages philologiques, une édition des oeuvres de Térence (1516) avec une introduction où il retrace l'histoire de la comédie. Vers la fin de 1517, à l'occasion d'une cérémonie universitaire à Tübingen, il prononça un discours sur les disciplines enseignées à l'université, dans lequel il proposait d'ajouter l'histoire et la poésie aux sept arts libéraux du trivium (grammaire, rhétorique, dialectique) et du quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie), dont l'étude à la faculté des arts était censée préparer les élèves aux trois facultés supérieures, qui étaient celles de médecine, de droit et de théologie.


La rencontre de Martin Luther

Toutes ces activités devaient nécessairement signaler le jeune Melanchthon à l'attention du monde intellectuel. Par une conséquence logique de cette notoriété, Melanchthon fut nommé à la chaire de grec créée à l'Université de Wittenberg par l'Electeur de Saxe, Frédéric le Sage, qui avait réformé cette université dans l'esprit de l'humanisme. Dans sa leçon inaugurale prononcée à Wittenberg le 28 août 1518, il traita à nouveau de «La réforme des études proposées à la jeunesse». Sa principale préoccupation dans ce domaine était de revenir ad fontes (aux sources) comme le préconisaient les humanistes; et il pensait que l'étude des langues anciennes était pour cela la meilleure méthode. En bon humaniste, il préconisait avec force l'étude des langues classiques sous leur forme ancienne afin de détrôner le latin médiéval corrompu en usage à son époque. Mais il soulignait en même temps l'importance de l'histoire, des sciences naturelles et des mathématiques.

L'offre d'une chaire à Wittenberg fut l'événement qui fixa définitivement le cours de la vie de Melanchthon. C'est là, dans le berceau du nouveau mouvement de réforme religieuse, qu'il entra en contact avec ce mouvement et avec sa figure de proue, Martin Luther, moine de l'ordre des Augustins et professeur de science biblique, que ses Thèses sur les indulgences publiées à la fin de 1517 avaient rendu célèbre dans toute l'Allemagne (et qui d'ailleurs n'était pas au nombre de ceux qui avaient soutenu la candidature de Melanchthon à la nouvelle chaire). Cependant, les deux hommes se trouvèrent bientôt unis par les liens d'une solide amitié et d'une étroite collaboration, quoiqu'il y eût entre eux d'autres différences que celle de l'âge: intransigeant, parfois grossier, toujours prêt à en découdre et tourmenté par des problèmes existentiels personnels, Luther contrastait nettement avec le très cérébral Melanchthon, universitaire dont toute la vie était vouée à l'étude et qui dans presque toutes les circonstances recherchait le compromis avec ses adversaires.

En plus de ses activités personnelles, Melanchthon suivait les conférences de Luther à la faculté de philosophie; il s'inscrivit au cours ordinaire de théologie et obtint un baccalauréat d'études bibliques l'habilitant à donner lui-même des conférences sur la Bible. Luther fut prompt lui aussi à reconnaître la compétence théologique de son nouvel ami. Cette étroite collaboration avec Luther obligea toutefois Melanchthon à des choix douloureux: son grand-oncle Reuchlin, qui n'aimait pas le voir au centre de la querelle avec Rome, essaya d'obtenir sa mutation à Ingolstadt, ce que Melanchthon ne pouvait accepter. Sa rupture avec son illustre parent fut ainsi consommée.

La symbiose qui, par les personnes de Luther et de Melanchthon, s'opéra entre le nouveau mouvement de réforme et l'humanisme devait avoir beaucoup d'importance pour les deux hommes. Melanchthon fut particulièrement utile à Luther par sa connaissance des langues anciennes, des langues de la Bible: sans son aide, les traductions par Luther du Nouveau, puis de l'Ancien Testament (1522 et 1534), ces monuments insignes de l'histoire de la langue allemande, n'auraient probablement pas vu le jour, du moins sous la forme que nous leur connaissons; inversement, avec l'aide de Luther, Melanchthon réussit à pénétrer les arcanes les plus profonds de la théologie et à mettre ses connaissances fraîchement acquises au service de la Réforme. Sans y prendre garde, il était donc devenu, malgré son jeune âge, l'une des figures les plus importantes du nouveau mouvement et le principal compagnon d'armes de Luther.

Il occupa cette place pendant près de trente ans, jusqu'à la mort de Luther en 1546, et il fut alors reconnu comme le successeur naturel du grand réformateur. Bien qu'il n'ait jamais égalé l'extraordinaire charisme de Luther comme chef du nouveau mouvement, il parvint à conduire la nouvelle Église - dont l'organisation et les institutions se développaient rapidement et qui se séparait progressivement de Rome - à travers les écueils d'une période de plus en plus difficile, contribuant ainsi à en assurer la permanence.

Mais, outre ses connaissances philosophiques et théologiques, Melanchthon possédait un autre genre de compétence, qui fut peut-être la raison la plus importante du rôle considérable qu'il joua dans le nouveau mouvement, à savoir un talent pédagogique, au sens le plus large, dont nous nous proposons d'examiner ici trois aspects particuliers (voir aussi Hofmann, 1963).

Le premier point est que toute entreprise pédagogique doit se fonder sur une conception anthropologique sous-jacente, qui donne son sens véritable au travail de l'éducateur. Melanchthon était tout à fait conscient de cette nécessité essentielle d'une base anthropologique pour la pédagogie; il pensait qu'aucune éducation n'était possible si l'on ne se représentait pas clairement d'où vient l'homme, pourquoi il existe et où il va.

En second lieu, nous voyons en Melanchtlon le fondateur du système d'enseignement protestant. Ce savant marqué du sceau de l'humanisme croyait à l'idéal d'un homme bénéficiaire d'une éducation universelle et encyclopédique aspirant à acquérir dans la mesure du possible la totalité du savoir disponible à son époque. Pour rendre cet idéal accessible à la génération montante, il conçut un grand nombre de cours préparatoires dans des disciplines extrêmement diverses et s'efforça d'édifier le système scientifique de son temps sur une base philosophique et théologique nouvelle.

En troisième et dernier lieu, nous ferons état des idées et des propositions que Melanchthon avait avancées pour la réorganisation des écoles et de tout le système d'enseignement de son temps, et en particulier celle de l'enseignement supérieur.


Melanchthon, humaniste et éducateur

Sous l'influence de son entourage et de sa formation humanistes, Melanchthon était profondément attaché à une sorte d'optimisme anthropologique fondé sur la conviction que l'homme, pour peu qu'il soit correctement instruit et formé aux vertus chrétiennes, est intrinsèquement capable d'améliorer l'état du monde. Comme tous les humanistes, il eut d'abord la plus grande confiance dans la science (eruditio), à laquelle il prêtait une efficacité presque automatique. Suivant cette théorie, il suffit de transmettre à une personne les connaissances accumulées par l'humanité pour améliorer son attitude et par conséquent, en dernière analyse, pour améliorer aussi l'état du monde et la situation de l'humanité en général; et l'être humain est certainement capable d'atteindre ce but si seulement il en a le désir.

La nouvelle croyance introduite par la Réforme était toutefois diamétralement opposée, pour des raisons religieuses et théologiques, à cette confiance de l'humanisme dans la perfectibilité de l'homme. Si l'homme doit s'en remettre entièrement et exclusivement à la miséricorde divine, s'il doit en faire l'unique fondement de sa foi, il s'ensuit qu'il n'est pas intrinsèquement capable de bonté. D'un point de vue purement théologique, cela signifie simplement, pour l'essentiel, que l'homme est incapable de déterminer par lui-même ses rapports avec Dieu; mais l'une des principales conséquences de cette thèse théologique est que l'homme n'est pas non plus capable par lui-même de bonté dans ses rapports avec le monde et avec ses semblables.

En 1524 et 1525, dans sa controverse avec Erasme de Rotterdam, le roi sans couronne de l'école humaniste, sur la question voisine du libre-arbitre, Luther opposa à la doctrine humaniste du libre-arbitre sa propre doctrine théologique de la non-liberté de la volonté humaine, poussant très loin la réflexion sur les mystères de la détermination par Dieu de l'homme et du monde afin d'illustrer sa croyance, fondée sur la Bible, selon laquelle la nature humaine est intrinsèquement dépravée et est donc tributaire de la grâce divine. Cette controverse entre Luther et Erasme joua un rôle décisif dans les rapports entre la Réforme et l'humanisme, lequel se méfiait depuis longtemps du pessimisme anthropologique des réformateurs et de leur attitude critique envers l'éducation.

L'indéniable optimisme anthropologique d'inspiration humaniste, que Melanchthon professait avant son arrivée à Wittenberg, fut pour ainsi dire mis en déroute par la théologie pendant les premières années de ses relations avec Luther. Le point culminant de cette évolution qui rapprocha progressivement Melanchthon de la théologie luthérienne fut probablement la publication en 1521 des Loci communes rerum theologicarum seu hypotyposes theologicae [Principes fondamentaux de théologie ou hypothèses théologiques], où Melanchthon s'avoue incapable de concéder quelque liberté que ce soit aux actions intérieures ou extérieures de l'homme: «Si ad praedestinationem referas humanam voluntatem, nec in externis nec in internis operibus ulla est libertas, sed eveniunt omnia juxta destinationem divinam» [Si l'on rapporte la volonté humaine à la prédestination, il n'y a aucune liberté ni dans les actions extérieures ni dans les actions intérieures, mais toutes choses se font par la volonté divine] (Loci communes (1521), 1993, p. 44). Une application stricte de préconceptions théologiques de ce genre aurait rendu absurde tout projet d'éducation; c'est pourquoi Melanchthon et le mouvement de la Réforme en général ne pouvaient y voir le dernier mot de la théologie sur cette question.

Lorsque, après les éclaircissements et les scissions de la première moitié des années 1520, en particulier dans les relations de la Réforme avec les «vieux croyants» et ceux que Luther appelait les «enthousiastes», les théologiens de Wittenberg durent créer des structures institutionnelles et organisationnelles pour assurer la permanence du nouveau mouvement, il leur fallut aussi modifier leurs théories en matière de théologie et d'éducation. Sur le plan anthropologique, cela voulait dire que l'homme était désormais considéré comme capable d'intervenir utilement dans la conduite des affaires séculières, y compris l'éducation, et qu'on lui en reconnaissait le droit. Il en résulta une conception synthétique qui regardait Dieu comme l'unique source de salut dans toutes les questions relatives à l'au-delà, mais accordait à la volonté humaine une certaine autonomie dans les questions concernant la vie d'ici-bas. La morale et l'éducation pouvaient de la sorte conserver une autonomie relative par rapport à la théologie.

Melanchthon participa ainsi à l'élaboration d'une synthèse exemplaire entre théologie et pédagogie, entre Réforme et humanisme, qui devait avoir des répercussions historiques bien au-delà et en dehors des problèmes du siècle de la Réforme. En contribuant à résoudre ces problèmes, il contribua aussi, on ne peut en douter, à la construction et à la fondation du système de pensée et d'action qui est à la base de la théologie réformée, et qui sera connu plus tard sous le nom de doctrine protestante des deux royaumes, doctrine qui, en matière de foi, fait tout dépendre de l'amour de Dieu pour les hommes, mais qui laisse aux hommes une marge de manoeuvre appréciable dans les affaires qui ont trait à la formation de la réalité immanente, parvenant ainsi à concilier, dans une complémentarité caractéristique, le pessimisme et l'optimisme anthropologiques.

Dans notre esquisse biographique sur la jeunesse de Melanchthon, nous avons déjà évoqué ses idées sur les théories scientifiques traditionnelles de l'aristotélisme médiéval. Il pensait que les disciplines universitaires traditionnelles, avec les «sept arts libéraux» et les sciences enseignées dans les facultés supérieures, ne pouvaient ni par leur contenu ni par leurs méthodes embrasser les découvertes révolutionnaires de son époque. Il élargit dans plusieurs directions la catégorisation traditionnelle des sciences en insérant dans son système d'études non seulement l'histoire, la géographie et la poésie, mais encore les nouvelles sciences de la nature. Nous avons également indiqué qu'avant son arrivée à Wittenberg le jeune Melanchthon
avait rédigé à l'intention des étudiants des textes d'introduction à différentes sciences. Mais, au début des années 1520, dans cette Université de Wittenberg où il subissait la forte influence de Luther et s'appuyait sur la nouvelle théologie réformée, il courait le risque d'adopter une attitude de rejet de toutes les aspirations de l'homme à la connaissance scientifique; l'affirmation théologique qui professe que l'homme a besoin d'être sauvé menaçait en effet, en occultant tout le reste, de modifier la place du savoir dans son échelle de valeurs. La controverse avec les «esprits enthousiastes», qui rejetaient tout savoir, lui fit cependant sentir de nouveau l'importance de la connaissance scientifique, même s'il pensait par ailleurs que l'étude ne doit jamais devenir une fin en soi, mais rester toujours la servante de la théologie et de la connaissance de Dieu. Sur la base de ces prémisses, il recommença, après le milieu des années 1520, à élaborer des cours d'introduction à diverses sciences qui, sans présenter les résultats de la recherche les plus radicalement nouveaux, résumaient les connaissances de l'époque dans une perspective encyclopédique remarquable du double point de vue du contenu et de la méthode, afin de transmettre ces connaissances aux jeunes étudiants.

C'est ainsi que Melanchthon devint l'auteur de manuels qui firent autorité dans presque toutes les disciplines universitaires de son temps, des «sept arts libéraux classiques» à la psychologie (Commentarius de anima [Commentaires sur l'âme], 1540) et à la morale, à laquelle il consacra plusieurs traités (par exemple, Ethicae doctrinae elementa [Principes de morale], 1550) dont beaucoup demeurèrent en usage pendant tout le reste du XVIe et une grande partie du XVIIe siècle, exerçant ainsi une influence durable sur le monde savant. En matière de théologie dogmatique, ses Loci communes, déjà mentionnés, qu'il révisa plusieurs fois, constituaient un type de manuel entièrement nouveau, où il passait successivement en revue les topoi élémentaires de la théologie. Enfin, dans le cadre de la réforme universitaire qu'il avait amorcée, il enrichit la formation des étudiants par des méthodes telles que la dispute [discussion, débat] et la déclamation, dans lesquelles il était lui-même passé maître (voir Stupperich, 1960, p. 56).

Le troisième domaine où l'influence de Melanchthon s'est fait sentir bien au-delà de son époque est celui de la politique de l'éducation et des écoles. On a souligné à maintes occasions l'importance exceptionnelle de la Réforme pour l'histoire et l'évolution du système scolaire allemand. E. Spranger et W. Flitner considéraient la Réforme comme la «racine» ou la «source» centrale de ce système. Alors que, nous l'avons vu, le principal souci de Luther dans ce domaine était de créer des écoles élémentaires populaires pour permettre à tous les chrétiens d'accéder à la parole de Dieu contenue dans la Bible et aux éléments de la culture chrétienne, Melanchthon, l'humaniste, s'intéressait particulièrement à l'enseignement supérieur, c'est-à-dire aux collèges et aux universités. Les deux réformateurs assignèrent aux autorités séculières la charge d'organiser le nouveau système éducatif, ainsi que de protéger la nouvelle Église, charge que ces autorités n'hésitèrent pas à accepter parce qu'elles y voyaient un moyen supplémentaire d'étendre leur pouvoir en vue d'édifier les premiers États absolutistes (voir Rupp, 1994, p. 36 et suiv.). Sous l'effet de ces arrangements initiaux, l'école allemande demeura jusqu'au XXe siècle une res mixta, intermédiaire entre une institution ecclésiastique et une institution d'État. Cela signifie que les différentes réglementations qui ont régi l'Église à partir du XVIe siècle se sont toujours appliquées en même temps aux écoles. Les plans de Melanchthon pour l'organisation des écoles supérieures suscitèrent aussi l'intérêt d'un grand nombre de souverains locaux et de magistrats municipaux, qui espéraient que des établissements d'enseignement supérieur bien ordonnés leur fourniraient des administrateurs compétents ainsi que des prédicateurs dûment formés à la théologie. Le latin resta la principale langue d'enseignement dans ces écoles. Melanchton voulait aussi que l'enseignement se concentrât sur l'essentiel; c'est pourquoi il réduisit la «diversité» des contenus en excluant des programmes de nombreux sujets superflus.

Enfin, il convient de mentionner le principe de structuration qu'il introduisit dans ses collèges en divisant les élèves en trois groupes en fonction de leur niveau de connaissances, selon un système qui avait pour but - et qui a eu pour effet - d'accroître l'efficacité de l'enseignement. Les collèges divisés en trois classes décrits à l'article 18 de son Instruction des visiteurs (1538) servirent ainsi de modèles pour les écoles supérieures pendant plusieurs générations. Les hommes qui étaient à la tête de villes et de principautés ne furent pas rares à consulter Melanchthon sur l'organisation de leurs écoles supérieures, et certains d'entre eux conçurent - mais en vain - l'espoir de lui faire quitter Wittenberg pour entrer à leur service (voir Stupperich, 1960, p. 51). Bien qu'il n'ait pas encore été clairement établi que Melanchthon rédigea lui-même les statuts de nombreuses écoles de l'époque, les statuts des écoles de villes comme Nuremberg et Eisleben portent manifestement la marque de son influence (voir Stempel, 1979). Cette influence ne fut pas moins durable sur la réforme des universités allemandes qui, elles aussi, firent toujours le plus grand cas de ses conseils. Il en fut ainsi, par exemple, des universités de Tübingen, de Francfort-sur-l'Oder, de Leipzig et de Heidelberg.


Une personnalité influente du XVIe siècle

Lorsqu'il mourut à Wittenberg le 19 avril 1560, Melanchthon qui vers la fin de sa vie se disait persécuté par la rabies theologorum (la fureur des théologiens) à cause de la querelle qui faisait rage dans le protestantisme sur l'interprétation de la théologie de Luther pouvait avoir le sentiment d'avoir mené une vie bien remplie. Le rôle historique de son oeuvre a tenu en partie à l'habileté avec laquelle il sut s'entourer d'amis et de disciples capables de poursuivre cette oeuvre après sa mort dans le même esprit que lui. A cet égard, outre sa féconde activité de professeur à l'Université de Wittenberg et sa vaste correspondance avec la plupart des personnalités marquantes de son temps, c'est sans doute sa schola domestica qui joua le rôle le plus important: dans cette école installée chez lui, des étudiants choisis, souvent originaires d'autres pays que les États allemands, vivaient et travaillaient parmi les membres de sa propre famille. Fréquemment, en vertu d'arrangements conclus par Melanchthon en réponse à des demandes reçues de l'extérieur, ses élèves quittaient Wittenberg pour se rendre dans toutes les régions d'Allemagne, et parfois même hors des frontières du Saint-Empire, comme prédicateurs, visiteurs, directeurs d'école, administrateurs de haut rang, maîtres de conférences dans les universités, etc., continuant à oeuvrer dans son esprit et à porter au loin la renommée de leur maître, Précepteur de la Germanie. Nous pouvons certainement, sans crainte d'exagération, souscrire à la remarque de Robert Stupperich (1981, p. 324) sur l'importance historique de Melanchthon: «Il fut, dit-il, l'une des personnalités les plus influentes du XVIe siècle.»

Notes
1. Horst F. Rupp (Allemagne). Après des études de théologie, de psychologie, de philologie germanique et d'histoire aux Universités d'Erlangen et de Zurich, Horst F. Rupp a obtenu un diplôme de professeur de l'enseignement secondaire et est entré dans les ordres. Il a enseigné de 1983 à 1986 et obtenu un doctorat de l'Université d'Erlangen en 1985. Il est ensuite devenu maître de conférences et professeur de religion aux Universités d'Aix-la-Chapelle, de Coblence-Landau, de Francfort et de Wurtzbourg. Il a notamment publié Fr. A.W. Diesterweg: Pädagogik und Politik [F.A.W. Diesterweg: pédagogie et politique] (1989) et Religion-Bildung-Schule [Religion, éducation, école] (1996); il a dirigé avec R. Lachmann la publication de
Lebensweg und religiöse Erziehung [Le chemin de la vie et l'éducation religieuse] (1989), et collaboré à la publication des Sämtlich Werke [Oeuvres complètes] de F.A.W. Diesterweg.
2. Pour un portrait d'Érasme pédagogue, voir «Penseurs de l'éducation», Perspectives (Paris, UNESCO), vol. XXIII, n° 85-86, 1993, p. 337-356.

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