La troisième ère des Jeux olympiques: vers le sport durable

Jacques Dufresne
À l'occasion des Jeux de Beijing, nous sommes heureux de vous offrir en format PDF la version intégrale d'un numéro récent du magazine L'Agora consacré au sport durable. Et nous vous invitons à réfléchir avec nous sur une conception du sport et des Jeux olympiques qui correspondrait à l'esprit du développement durable. [...] la Chine vient de rater une occasion unique que l'histoire lui offrait: celle de jeter les bases de la troisième ère des Jeux olympiques. Elle aurait pu le faire en renouant avec ses plus belles traditions sportives, où sport et art se confondent. Voici ce qu'a dit à ce propos Nicolas Zuffery, titulaire de la chaire de chinois à l'Université de Genève: «Notons cependant que le sport tel qu'il est pratiqué aux JO répond à une vision occidentale du corps, assez différente des conceptions chinoises traditionnelles. S'il y a eu des compétitions en Chine ancienne, elles n'étaient guère valorisées. Faire travailler le corps pour le corps n'est pas suffisant: il faut un travail intérieur, par exemple sur les énergies internes, travail qui n'est guère pris en compte dans le sport moderne. A quoi s'ajoute le fait que le sport à l'occidentale fait abstraction des éléments naturels: la piste doit être lisse, le vent ne doit pas trop souffler, aucun accident ne doit entraver la performance. Dans la culture chinoise, la véritable maîtrise consiste au contraire à s'adapter à la nature: un bon nageur, selon le taoïsme, est un nageur capable de se jouer des éléments.» (Source et suite)
Il convenait que la France, compte tenu de son passé, soit le berceau des Jeux modernes. Quel nom faudrait-il donner aux Jeux de la troisième ère qui devront correspondre à l'esprit du développement durable et à ce qu'on appelle déjà le sport durable? Les Jeux du troisième millénaire? Quoiqu'il en soit, la Chine vient de rater une occasion unique que l'histoire lui offrait: celle de jeter les bases de la troisième ère des Jeux olympiques. Elle aurait pu le faire en renouant avec ses plus belles traditions sportives, où sport et art se confondent. Voici ce qu'a dit à ce propos Nicolas Zuffery, titulaire de la chaire de chinois à Genève: «Notons cependant que le sport tel qu'il est pratiqué aux JO répond à une vision occidentale du corps, assez différente des conceptions chinoises traditionnelles. S'il y a eu des compétitions en Chine ancienne, elles n'étaient guère valorisées. Faire travailler le corps pour le corps n'est pas suffisant: il faut un travail intérieur, par exemple sur les énergies internes, travail qui n'est guère pris en compte dans le sport moderne. A quoi s'ajoute le fait que le sport à l'occidentale fait abstraction des éléments naturels: la piste doit être lisse, le vent ne doit pas trop souffler, aucun accident ne doit entraver la performance. Dans la culture chinoise, la véritable maîtrise consiste au contraire à s'adapter à la nature: un bon nageur, selon le taoïsme, est un nageur capable de se jouer des éléments.» (Source et suite)

La Chine a plutôt choisi de mettre en relief les plus modernes de ses inventions: la boussole, la poudre à canon, la soie, rejetant ainsi dans l'ombre ses traditions les plus riches où le reste du monde aurait pu trouver l'inspiration nécessaire pour élever les Jeux à un niveau auquel l'invite aussi bien le passé lointain que l'avenir souhaitable. J'entends par là une histoire évoluant sous le signe du développement durable, lequel, c'est la thèse que je défends dans ce court article, ne sera possible que si le sport et en particulier le sport olympique, se transforme d'une façon telle qu'on puisse l'appeler sport durable sans forcer le sens de ce mot.

Quiconque prend le développement durable au sérieux a tôt fait de comprendre qu'il s'agit d'un phénomène global mettant en cause non seulement l'ensemble des activités humaines mais aussi la nature et par suite l'univers entier. Si tous les humains se convertissaient demain à une religion les obligeant à ne manger que des aliments produits à moins de 50 kilomètres de chez eux, il en résulterait des changements majeurs dans les secteurs de l'économie, de l'agriculture et de la gastronomie. Et il va se soi que l'impact de l'activité humaine sur l'environnement et donc l'environnement lui-même seraient modifiés. Un changement de même ampleur dans le travail ou le sport aurait le même effet.

Voilà pourquoi l'approche systémique s'est imposée dans la recherche sur le développement durable. Rappelons qu'un système est un réseau dont tous les éléments agissent les uns sur les autres. On appelle causalité réticulaire – par opposition à causalité linéaire – les rapports complexes qu'entretiennent entre eux les éléments constitutifs du réseau. La notion de système écologico-social ou SES (socio-ecological system en anglais) semble devoir s'imposer comme unité d'analyse dans la recherche sur le développement durable. «Un SES est un système composé d'un sous-système social (humain) et d'un sous-système écologique (biophysique) en interaction mutuelle.» Une ville est un SES.

Le sport est-il un SES ou un sous-système à l'intérieur d'un SES plus vaste? Nous pouvons, sans avoir à répondre à cette question théorique, affirmer que tout changement radical ne pourrait qu'avoir des effets majeurs sur divers SES. Il va aussi de soi à nos yeux que tout changement radical dans le sport serait l'une des conditions d'un déblocage dans le progrès vers le développement durable. Car il est entravé par un mécanisme de déni entretenant l'illusion qu'il suffira de quelques gestes ponctuels dans le domaine de l'énergie pour limiter les émissions de gaz à effet de serre et retarder ainsi le réchauffement climatique. Or, c'est l'inverse qui est vrai: les gestes en vue de limiter les émissions de gaz à effet de serre ne seront efficaces que dans la mesure où ils seront soutenus par des changements majeurs dans les domaines les plus éloignés de celui de l'énergie. Comme on peut déjà le constater, c'est un changement dans les habitudes alimentaires, un raffinement du goût qui incite d'abord les gens à rechercher les aliments produits dans leur voisinage. Il en résulte une économie considérable d'énergie. Une changement analogue dans le sport, changement déjà perceptible d'ailleurs à l'état d'ébauche, aura les mêmes effets.

Nous vous invitons à lire les nombreux documents que nous consacrons à ce sujet dans nos encyclopédies.

Le sport
Les Jeux olympiques
Le sport durable

Ces documents convergent vers un changement de notre rapport avec la nature, indissociable d'un changement en écho dans notre rapport avec nous-mêmes et d'un autre changement dans notre conception du travail. Trop d'entreprises, dont l'une d'entre elles est commanditaire des Jeux de Beijing à la télévision, brûle leurs employés, leurs cadres en particulier pour accroître le rendement dans l'immédiat, exactement comme tant d'athlètes sacrifient leur harmonie intérieure et leur harmonie avec la nature à l'ambition de monter sur un podium. On brise cette harmonie en réduisant le corps à un instrument au service d'une volonté sans failles, au détriment du désir et du corps comme signe, au détriment également d'une symbiose avec la nature et avec le sacré qui, comme le soulignait Nicolas Zuffery, caractérisait jusqu'à tout récemment la conception du sport en Chine!

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