La culture scientifique des Québécois
On notera toutefois que, telle qu’elle est définie par le questionnaire de l’enquête, la "culture scientifique et technique" n’est pas uniformément répandue dans l’ensemble de la population québécoise. Les gens les plus scolarisés, ceux qui sont bilingues et ceux qui bénéficient d’un revenu élevé montrent une plus grande culture scientifique et technique que le reste de la population. C’est aussi le cas, dans une certaine mesure, pour les plus jeunes et pour les hommes. Retenons également que l’ensemble des analyses montre très clairement l’importance capitale de la scolarité comme facteur déterminant du niveau de culture scientifique des individus. Elle est étroitement associée à chacune des dimensions explorées dans ce rapport et c’est elle qui fournit aussi la plus grande partie de l’explication de la variation du niveau des connaissances scientifiques. Le niveau d’utilisation des divers médias de masse diffusant des informations scientifiques et technologiques, la connaissance des langues officielles (en fait, le bilinguisme), l’âge et le sexe se révèlent également des facteurs importants. La présente enquête permet également de tracer le portrait particulier des deux clientèles ciblées au cours des dernières années par les initiatives en matière de culture scientifique et technologique, soit les jeunes et les femmes.
Les jeunes se disent volontiers informés sur les sciences et la technologie. Ils présentent également un degré d’intérêt relativement élevé. Ils se révèlent par ailleurs ni plus ni moins confiants que l’ensemble de la population à l’égard du développement scientifique. Ils se comparent également à l’ensemble de la population quant à leur utilisation des médias pour obtenir de l’information à caractère scientifique, à leur fréquentation des musées et à leur pratique de loisirs scientifiques. Par contre, leur niveau de compétence technique est nettement supérieur à celui des plus âgés. Dans une moindre mesure, leur niveau de connaissances scientifiques s’avère également supérieur.
Les femmes, quant à elles, se révèlent moins intéressées que les hommes lorsque, de façon générale, on leur parle de sciences et de technologie. Par contre, leur intérêt s’accroît et devient comparable à celui des hommes lorsqu’elles sont mises en présence de sujets particuliers qui définissent de façon un peu plus concrète ce qu’on entend par "sciences et technologie". Nous avons noté, à cet égard, que les jeunes femmes en particulier présentent un indice d’intérêt pour les sciences relativement élevé. Nous avons aussi remarqué que le niveau de confiance des Québécoises à l’égard du développement scientifique est aujourd’hui comparable à celui de leurs concitoyens de sexe masculin, ce qui n’était pas le cas dix ans plus tôt. Pour obtenir de l’information à caractère scientifique et technologique, les femmes sont cependant un peu moins nombreuses que les hommes à faire un usage fréquent des médias de masse. Par contre, elles fréquentent des institutions muséales dédiées aux sciences et, sauf pour les plus jeunes, pratiquent un loisir scientifique aussi souvent que les hommes. Tant au titre du loisir scientifique qu’à celui de l’intérêt pour les divers sujets scientifiques, les femmes affichent une certaine préférence pour les sciences de la vie. Notons enfin que le niveau de compétences techniques des femmes est comparable à celui des hommes. De façon générale, cependant, leur niveau de connaissances scientifiques est moindre. Par contre, toujours au titre des connaissances scientifiques, les plus jeunes femmes se révèlent aussi performantes que les hommes et parfois même un peu plus.
Notre étude permet par ailleurs d’identifier certains segments de la population qui, du point de vue de la culture scientifique et technique, apparaissent véritablement défavorisés. Il s’agit des personnes peu scolarisées, à faible revenu, âgées et unilingues. Celles-ci se montrent en effet peu intéressées aux sciences et à la technologie, se sentent aussi, en la matière, moins informées et, plus souvent qu’à leur tour, se révèlent imperméables aux informations à caractère scientifique diffusées dans les médias de masse. Elles ne visitent que très rarement les institutions muséales dédiées aux sciences et à la technologie et elles sont peu nombreuses à s’adonner à un loisir scientifique. Enfin, leurs niveaux de compétences techniques et de connaissances scientifiques sont nettement sous la moyenne de la population.
Étant donné que notre étude présente un instantané de la situation québécoise, certaines questions demeurent ouvertes. Puisque les générations plus récentes sont davantage scolarisées que celles qui les ont précédées, on serait, bien sûr, en droit d’attendre que le niveau général de culture scientifique du Québec continue de s’accroître au fur et à mesure du remplacement des générations. Cependant, puisque l’âge apparaît en lui-même comme un facteur important, il est aussi possible qu’un certain phénomène de déperdition opère à mesure que les jeunes générations d’aujourd’hui gagneront en âge. Dans la même veine, il est permis de penser que la parité que les jeunes femmes affichent avec les hommes de leur âge pourrait disparaître à mesure qu’elles avanceront en âge.
Une étude de cohorte permettrait sans doute de confirmer ou d’infirmer de telles hypothèses. Une étude qualitative (par entrevues) pourrait aussi s’avérer utile de ce point de vue, si elle permettait d’approfondir notre connaissance des déterminants de l’intérêt pour la science et de mieux cerner les obstacles matériels et symboliques au développement d’une culture scientifique. »
(p. 53-55)