Découverte des Montagnes Rocheuses

François-Xavier Garneau
M. de la Vérendrye s'associa à Montréal, en 1731, quelques hommes, qui lui firent l'avance des marchandises de traite et des équipements, et partit pour le lac Supérieur avec le P. Messager, missionnaire. Il avait reçu l'ordre de prendre possession au nom du roi des pays qu'il découvrirait, et d'examiner attentivement les avantages qu'offrirait une communication entre le Canada ou la Louisiane et l’Océan supposé. Mais il n'avait encore fait que quelques pas vers l'inconnu en 1733, et les ministres persistaient toujours dans leur résolution de ne rien faire pour venir à son aide, quoiqu'il fût évident que plus il s'éloignerait des postes français, plus la traite deviendrait difficile, ou que plus il se livrerait à la traite, et moins il s'approcherait du but cherché. « Aussi, dit M. Margry, malgré l'aide de ses quatre fils et de son neveu, M. de la Jemerays, tous les cinq intrépidement et infatigablement dévoués à son entreprise, avec une générosité égale à son désintéressement, bien réel, quoiqu'il ait été fort attaqué, M. de la Vérendrye ne put, par le fait de la situation qu'il avait acceptée, parvenir, après douze ans de peines et de sacrifices, qu'à la découverte des terres enfermées entre les Montagnes Rocheuses à l'ouest et les lacs Supérieur et Ouinipeg à l'est. »

M. de la Vérendrye prit la route du lac Supérieur et de Kamanestigoya, fort construit au nord de ce lac, vers 1717, par le lieutenant Robutel de Lanoue. Les gens de La Vérendrye, sortant de là, passèrent, en 1731, par le lac des Bois, sur lequel ils élevèrent, l'année suivante, le fort Saint-Charles; par la rivière Ouinipeg, sur laquelle ils construisirent, en 1734, le fort Maurepas. Les Français prenaient possession du pays en établissant des postes pour les protéger, et pour favoriser en même temps leur commerce de pelleteries. Continuant leurs courses, ils traversèrent le lac Dauphin et le lac des Cygnes; ils reconnurent la rivière des Biches et remontèrent jusqu'à sa fourche la rivière Saskatchaouan ou Poskoïac. Ils élevèrent le fort Dauphin à la tête du lac Manitoba, et le fort de la Reine au pied du même lac; le fort Bourbon sur la rivière des Biches à la tête du lac Ouinipeg; le fort Rouge dans l'angle formé par la rivière Rouge et celle de Assiniboils. Ils continuèrent ensuite, dirigés par le frère et les fils de M. de la Vérendrye, à s'avancer tantôt vers le sud et tantôt vers le nord, sans trouver l'Océan qu'ils cherchaient.

Une de ces courses avait déjà coûté la vie à l'un des fils de M. de la Vérendrye, à son parti composé de vingt hommes et au jésuite Auneau, qui avaient tous été massacrés, en 1736, par les Sioux, dans une île du lac des Bois. Quelques jours après, cinq voyageurs canadiens trouvèrent leurs restes. Les têtes des Français, la plupart sans chevelure, étaient posées sur des peaux de castors. Le missionnaire avait un genou en terre, une flèche dans la tête, le sein ouvert, la main gauche baissée contre terre, la droite élevée vers le ciel. La Vérendrye était couché sur le ventre; il avait le dos ciselé à coups de couteaux et une houe enfoncée dans les reins; il était sans tête, et son corps était orné de jarretières et de bracelets de porc-épic.

Les Français parvinrent en 1738 chez les Mandanes, peuple que le livre d'un voyageur distingué, M. Catlin, a rendu si intéressant, et, en 1742, ils atteignirent le Haut Missouri, dont ils remontèrent le cours jusqu'à la rivière nommée depuis Yellow Stone, et qui prend sa source dans le lac des Sablettes au pied des Montagnes-Rocheuses. Le fils aîné de M. de la Vérendrye et le chevalier, son frère, se trouvèrent enfin le ler janvier 1743, ou 60 ans avant le voyage de Lewis et Clarke, en face de ces montagnes, dans un voyage qui dura depuis le 29 avril 1742, jusqu'au 2 juillet de l'année suivante, et dans lequel ils passèrent par le village des Beaux-Hommes, et visitèrent les Pioyas, la nation des Petits-Renards, les gens de l'Arc, et la nation des Serpents.

M. de la Vérendrye, déjà endetté de 40,000 livres et hors d'état de continuer les découvertes, était revenu à Québec pour tâcher d'obtenir quelque appui du gouvernement; mais ses démarches furent vaines. Ses ennemis avaient fait courir sur ses courses de faux bruits, qui avaient excité les préventions du public et du ministre, M. de Maurepas. Afin de donner à ces nuages le temps de se dissiper, le gouverneur nomma pour continuer les découvertes M. de Noyelles, à qui M. de la Vérendrye remit sa commission. Plus tard M. de Beauharnais et M. de la Galissonnière, son successeur, dissipèrent les préjugés du ministre, et le prince, par une espèce d'amende honorable, nomma M. de la Vérendrye capitaine, et le décora de la croix de Saint-Louis. En même temps M. de Maurepas voulut qu'il reprit la tâche qu'il avait en partie exécutée, et M. de la Vérendrye allait se remettre en route lorsqu'il expira le 6 décembre 1749.

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