Leçons sur la Révolution française : compte rendu critique

Raymond Guyot
Il faut remercier MM. J. Neville Figgis et R. Vere Laurence d'avoir recueilli et publié ces leçons faites à Cambridge de 1895 à 1899 par le professeur de tout premier ordre que fut Lord Acton. À coup sûr, on ne saurait chercher dans ces vingt-deux conférences, fort courtes pour la plupart, une histoire complète de la Révolution, même résumée. L'étude des institutions est à peu près sacrifiée, en dehors des textes constitutionnels de 1791 et de 1793. La législation civile, la transformation sociale sont à peine indiquées, c'est tout juste si l'on trouve quelques mots sur les biens nationaux; le maximum n'est pas même nommé. L'histoire extérieure elle-même est à peu près réduite à une leçon. Ce qui occupe la première place, ce sont les hommes "représentatifs": Mirabeau, Sieyès, Dumouriez, Robespierre; ce sont aussi les scènes dramatiques: le serment du jeu de paume, la prise de la Bastille, le 4 août, Varennes, l'exécution de Louis XVI, le 9 thermidor.

À vrai dire, on s'explique cette préférence, si l'on pense qu'il s'agit d'un cours presque public, professé en Angleterre devant un auditoire à peine préparé par un enseignement historique antérieur. L'orateur avait fait sans aucun doute, - et au besoin les quelques notes critiques imprimées en appendice en donneraient la preuve, - une étude approfondie et souvent personnelle des faits qu'il raconte. Il avait déjà à sa disposition une partie des recueils de documents qui se sont multipliés depuis, il avait même pressenti que la publication de ces textes renouvellerait l'histoire de la Révolution. Quand il possède une solide base de travail, comme le recueil de Chassin sur la Vendée, le résultat auquel il arrive est excellent, car toutes ses qualités donnent leur plein effet: le plan est d'une admirable clarté, quoique très habilement machiné parfois, le récit coloré, vivant, illustré de faits bien choisis, le style élégant, sans recherche, avec de vraies trouvailles d'expression. Les jugements nous étonnent parfois (comme celui que Lord Acton porte sur Sieyès et qui est vraiment trop favorable), mais c'est par leur originalité, jamais par la passion ou le parti pris. Les défauts sont plus sensibles dans les sujets à caractère un peu plus général (la constitution civile, par exemple, ou la Terreur). Là, l'insuffisance de l'information apparaît parfois, et il arrive que le procédé, familier à Taine, qui consiste à tirer d'un fait "frappant", même exceptionnel, une conclusion générale, fausse les appréciations. Si contestable pourtant que semble par endroits l'opinion de Lord Acton (par exemple sur Fénelon, précurseur de la Révolution), elle n'est jamais indifférente. Ce livre n'est pas à utiliser comme memento ou manuel, et du reste il n'est pas fait pour cela. Mais il est plein d'intérêt, d'agrément même et souvent tout à fait suggestive.

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