Habiter le monde par la responsabilité
Dans ce que nous appelons notre être, il y a bien un grain de poussière venu des origines du monde. En devenant responsable de nous-même nous participons à la création du monde, lequel devient notre demeure, le lieu de notre liberté. Page: 86
Identification au monde
La responsabilité a toujours été là, elle n’attendait que d’être vue. Ce n’est donc pas vraiment comme si nous avions le choix d’être responsable ou non. Nous le savons déjà: sans responsabilité, l’homme n’est pas un sujet mais un objet. Être humain, c’est être responsable. Et pourtant, même à l’intérieur d’une impossibilité de choix — parce que les choses sont ainsi et pas autrement — nous avons le choix: nous pouvons consciemment choisir de cultiver notre responsabilité, de nous en emparer partout et toujours pour agrandir notre domaine de liberté et de création, ou la refuser et la nier. Dès lors que l’on découvre qu’on est fondamentalement responsable de sa vie et qu’on choisit d’assumer complètement son
destin d’être humain, infiniment humble et magnifiquement grandiose à la fois, on se met en route vers la fibre la plus intime de son être et participe consciemment à la création du monde. Cette conscience peut être plus ou moins claire, plus ou moins profonde, mais elle s’accompagne nécessairement d’un sentiment de familiarité avec le monde: celui-ci devient véritablement «chez soi». Celui qui, au contraire, ne réalise pas sa responsabilité participe certes à la création du monde mais de manière passive et dans
l’inconscience. À son regard le monde apparaît comme un endroit hostile et inhospitalier et il aura le plus souvent le sentiment d’être «joué» par des forces extérieures plutôt que de diriger sa vie. C’est comme si, entièrement absorbé par l’extériorité, il avait oublié qui il est. Ce n’est pas le moindre paradoxe
de l’existence que les gens dont la vie intérieure est riche et bien développée soient naturellement ouverts à l’extérieur. À l’opposé, une vie intérieure peu cultivée est envahie par l’extérieur, qui s’y conduit comme un occupant: l’âme, constamment réquisitionnée par les exigences de l’envahisseur, se rétrécit, se ferme, n’a
plus d’espace pour accueillir quoi que ce soit. Page 96
Dissolution dans la nature
Par contraste, la nature s’offre en contrepoint au centre et nous apporte une paix profonde en dissolvant le centre qui nous définit. Pourquoi la nature constitue-t-elle pour la majorité d’entre nous un refuge qui offre à notre âme blessée un havre où elle peut se calmer et retrouver la paix intérieure? Il suffit de peu:
un petit boisé, un parc point trop bruyant ni trop aménagé, une randonnée en montagne… Les forces primordiales y ont rapidement raison de nos angoisses, nous redonnant un sentiment d’harmonie et d’appartenance. Elles nous guérissent en nous mettant en contact avec le roc, l’eau et la sève qui coulent dans nos veines. Les grands paysages nous transportent sans que nous puissions nous opposer à ce qu’ils réveillent en nous: le contact avec la source. C’est pourquoi la grande nature — et même la
petite — a sur nous un tel effet apaisant: à son contact, l’âme se régénère en abandonnant son identité restreinte pour toucher à un silencieux ineffable. Le centre se dissout. Page 155