Le mythème de destin et la maîtrise divinatoire de la temporalité
1) L'avenir est déterminé par les dieux (les esprits, les astres, les puissances invisibles...) dans ses lignes générales mais non dans ses détails, qui admettent la possibilité d'aménagements ponctuels.
2) Il peut être connu et révélé par la divination sous l'une ou l'autre de ses innombrables formes.
3) Conséquemment, il peut être infléchi et modifié par des moyens magico-religieux, la prescience de l'événement funeste permettant soit d'en conjurer l'occurrence (2), soit d'en différer l'échéance par des moyens sacrificiels (3) soit encore, dans le pire des cas, de s'y préparer avec résignation, «apathie» et sérénité (4). Le mythème de destin implique ainsi un jeu irrationnel de l'homme avec les dieux, le temps et la magie. Cette conception survit aujourd'hui dans la croyance en l'astrologie, la numérologie et autres techniques divinatoires. Il est important de saisir que le destin ici n'est pas une fatalité, c'est-à -dire une une nécessité inflexible, dans la mesure où il peut être compensé par des moyens magico-religieux. Il laisse en ce sens place à la liberté. (Dans le mythe homérique, le destin peut être changé. C'était le sort d'Ulysse de rester loin d'Ithaque jusqu'au moment où Athéna obtient que Zeus décrète son retour (Odyssée, I, 64 sqq.; cf. la tirade de Poséidon dans Odyssée, 5, 285 sqq.). En raison de leur témérité, les héros peuvent de même mourir ou au contraire l'emporter en dépit du destin (hyper moron, uper moron ou hyper aisan, uper aisan). Il arrive que les hommes aggravent les malheurs assignés par le sort (Odyssée, I, 34). Le plus bel exemple de cette liberté jouant avec le destin est celui du choix de sa destinée par Achille (Iliade IX, 410-416). Sa mère, la déesse Thétis, lui avait offert de choisir entre une existence longue, mais anonyme, et une existence brève mais glorieuse).
Notes
(1) J. POIRIER, «Les logiques de la raison et les systèmes traditionnels de valeurs», Encyclopédie philosophique universelle. I. L'Univers philosophique, Paris, P.U.F., 1989, p. 1443.
(2) C'est le cas le plus fréquent. La plupart des énoncés divinatoires revêtent une forme conditionnelle: si tu livres bataille demain, tu subiras une défaite.
(3) Cf. la réponse de Delphes à Crésus dans HÉRODOTE, I, 91: si «au sort qu'a fixé le destin, un dieu même ne peut échapper», Apollon peut intercéder auprès des Moires pour obtenir un sursis à exécution de l'événement fatal (trois ans dans le cas de Crésus).
(4) PTOLEMÉE, La Tétrabible, I, 3, «Que la doctrine des effets célestes est utile». Ptolémée distingue deux types de fatalité et, par conséquent, deux types d'énoncés divinatoires. La fatalité naturelle est conditionnelle: «si tu pars en voyage demain, tu connaîtras un malheur». La prédiction de l'événement néfaste permet d'en prévenir l'occurrence. La fatalité divine est en revanche inconditionnelle et absolue: «Tu mourras demain». À quoi bon énoncer une telle prédiction? Ptolémée prétend que la connaissance astrologique est utile même en ce cas: elle permet à l'individu de se préparer avec sérénité à l'inévitable.