L'Encyclopédie sur la mort


Tombeau de Charlemagne

Mort de Charlemagne

À notre avis, Georges Minois a gagné son pari. Grâce à l'étude de ses sources, il a réussi à dévoiler un portrait du Charlemagne historique, occulté par la figure mythique du géant de l'histoire, du saint empereur ou du «Père de l'Europe», véhiculée dans les multiples légendes et fictions littéraires ou épiques depuis des siècles jusqu'à aujourd'hui. Émouvant le dépouillement avec lequel il fait le récit de la mort et des funérailles du héros de la Chanson de Roland.

«Lorsqu'il reçoit cette lettre [du pape Léon III, Charlemagne est à Aix, où il va passer son dernier Noël. Il aborde sa soixante-douzième année très affaibli. Au début janvier, il est saisi d'une très violente fièvre et doit s'aliter. Laissons Eginhard, qui était là, raconter la fin: "Comme il le faisait toujours quand il avait de la température, il réduit son alimentation, pensant qu'il pourrait soigner sa fièvre en jeûnant, ou au moins la faire baisser. Puis il ressentit une douleur dans le côté, que les Grecs appellent une pleurésie. Il continua à jeûner, prenant du liquide comme seule nourriture, et cela à de rares intervalles. Après avoir été alité pendant sept jours, il reçut la sainte communion, puis il mourut, à neuf heures du matin, le 28 janvier, dans la soixante-douzième année de sa vie et la quarante-septième année de son règne." Thegan précise que c'est après avoir pris un bain que Charlemagne a contracté sa fièvre et sa pleurésie, ce qui n'a rien de surprenant en sortant de l'eau chaude à Aix-la-Chapelle au mois de janvier. C'est Hildebald, le "pontife qui lui était le plus proche", qui lui donne la communion au corps et au sang. L'Empereur n'ayant donné aucune instruction concernant sa sépulture, son entourage décide de l'enterrer le jour même dans la chapelle du palais d'Aix, craignant sans doute que les moines de Saint-Denis ne viennent réclamer son corps. Il n'y aura donc pas de funérailles grandioses. Eginhard croit nécessaire d'ajouter, pour se conformer à la Vie d'Auguste de Suétone, que la mort de Charlemagne avait été annoncée par une multitude de présages: [...]. Mais, précise Eginhard, "Charlemagne ne prêtait pas attention à ces présages".

Des messages sont immédiatement envoyés à Louis [fils de Charlemagne], qui se trouve au Sud d'Angers, à Doué, dans le domaine du Layon. C'est le comte Rampon qui lui apprend la nouvelle. Louis est très affecté, et c'est son fidèle Bégon qui le console. Commence alors le voyage vers Aix-la-Chapelle, qui prendra un mois. Les gens se précipitent pour voir le nouvel empereur...» (Georges Minois, Charlemagne, Perrin, 2010, p. 463-465)

Funérailles

Nous empruntons à M. F. de Mély des extraits de sa «Communication» sur Le tombeau de Charlemagne à Aix-la-Chapelle:

D'après Eginhard (771-840), intendant de Charlemagne (742-814) et son biographe, le corps de l'Empereur «fut, suivant le rite solennel (more solemni), lavé et préparé (sans aucun doute sur le brancard), et suivi d'un peuple en larmes, porté à l'église et inhumé (humatum). Il fut enseveli (sepultus), dans cette basilique, le jour même de sa mort [le 28 janvier]. Sur sa tombe, on éleva un arc doré, avec une image et cette inscription:

"Sous ce sépulcre (conditorio) est déposé (situm) le corps de Charles, grand et religieux empereur, qui glorieusement agrandit le royaume de Francs et le gouverna heureusement pendant XLVII [47] ans. Il mourut septuagénaire, l'an du seigneur DCCCXIIII [814], indict. VII, le V des calendes de février."»

On a attribué à Columban, abbé de Saint-Trond [actuellement en Belgique] au commencement du IX° siècle [...], un Chant de deuil, dans lequel nous lisons ces trois vers:

«Lorsque j'ai mis l'auguste et éloquent Charles sous les pelletées de la terre d'Aix (in Aquisgrani glebis terrae tardidi), quelle fut ma douleur!»

Quant à la chronique de Moissac, également du même temps, nous y lisons: «On l'ensevelit (sepelierunt) dans le vieux palais d'Aix, dans l'église qu'il avait donné l'ordre de bâtir»; ou, si l'on admet la ponctuation des Monumenta Germaniae, «dans le palais, dans la vieille église», palatio, seniore ecclesia.» (par M.F. de Mély, «Communication», Comptes-rendus des séances de l'année, Académie des inscriptions et belles-lettres, 1915, Volume 59, n° 5, p. 342-362)
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/crai_0065-0536_1915_num_59_5_73602

Tombeau de Charlemagne et culte de l'Empereur




















Nous poursuivons le récit du Tombeau de Charlemagne tel qu'il figure dans sa «Communication» de 1915. Comme on pourra s'en rendre compte, beaucoup de confusion règne autour de l'histoire (ou des légendes) de l'inhumation et du tombeau de Charlemagne, trop longue à raconter. Tous ces récits contrastent énormément avec le dépouillement qui caractérise les événements réels. On peut lire le texte intégral de la «Communication» dans la revue Persée
indiquée ci-dessus. En voici juste quelques extraits:

«Cent quatre-vingt-cinq années se passent sans qu'il soit question du tombeau de Charlemagne. En l'an mil, l'empereur Otton III veut voir les restes du héros qui est maintenant entré dans la légende. Thietmar, qui devient, en 1009, évêque de Mersebourg, où il meurt en 1018, absolument contemporain, par conséquent, de la recherche du corps de l'Empereur, relate ainsi la découverte:

«Comme Otton ne savait pas où se reposaient les os (ubi requiescerint ossa) du César Charles [Charlemagne], il fit en cachette soulever le pavage à l'endroit où il pensait les découvrir et creuser jusqu'à ce qu'on les trouvât dans le solio regio [coffre sépulcral ?]. Ayant pris la croix d'or qui fut suspendue à son cou (pependit), avec quelques fragments de vêtements qui n'était pas pourris, il reposa (reposuit) le reste avec une grande vénération."

[...]

En 1166, le 6 des ides de janvier, soit le 8 janvier, Frédéric Barberousse fit enlever de la terre où ils reposaient depuis trois cent cinquante-deux-ans, par l'évêque de Liége Alexandre les ossements (ossa) de l'Empereur, et [...] il fit placer par Renaud, archevêque de Cologne, le corps dans une grande châsse d'argent exécutée par un orfèvre d'Aix, Wibert. Mais la tête du nouveau saint fut portée à Osnabruck, tandis qu'un bras était envoyé à [l'abbaye de] Saint-Denis [Paris]; [...]

[...]

C'est dans la châsse de Wibert que Fréderic II prit, au XIII° siècle, les ossements pour les déposer alors dans la magnifique châsse d'Aix, où ils furent totalement oubliés jusqu'en 1843, ainsi d'ailleurs que le souvenir même de l'endroit où Frédéric Barberousse les avait découverts en 1166.

[...]

Ainsi, d'après l'Ordo que Charlemagne lui-même avait fait composer, son corps dut être mis dans la terre, donec omnis caro in suam redigature originem, «jusqu'à ce que toute chair soit rendue à son origine.» Il ne fut donc pas embaumé.

De telle sorte, m'écrivait M. Edm. Bishop, que si on voulait avancer que Charlemagne fut déposé dans un tombeau, hors de terre, il faudrait démontrer que ce fut contrairement aux rites et aux indications funéraires du VIII° siècle.

La descente de Don Carlos, le futur Charles Quint, au tombeau de Charlemagne par Victor Hugo*

Charlemagne est ici! Comment, sépulcre sombre
Peux-tu sans éclater contenir si grande ombre?
Es-tu bien là, géant d'un monde créateur,
Et t'y peux-tu coucher de toute ta hauteur?...
Le pape et l'empereur! Ce n'était plus deux hommes.
Pierre et César! en eux accouplant les deux Romes...
Faisant refondre en bloc peuples et pêle-mêle
Royaumes, pour en faire une Europe nouvelle,
Et tous deux remettant au moule de leur main
Le bronze qui restait du vieux monde romain!...
Géant, pour piédestal avoir eu l'Allemagne!
Quoi! pour titre César et pour nom Charlemagne!
Avoir été plus grand qu'Annibal, qu'Attilla
Aussi grand que le monde!...
(Hernani, Acte Iv, scène II, cité par G. Minois, op, cit., p. 52)

IMAGE
La châsse de Charlemagne à Aix-la-Chapelle
http://fr.academic.ru/pictures/frwiki/83/Sarg_Karl.jpg


Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30