L'Encyclopédie sur la mort


Suicide et inversement (roman)

Jeanne Rivoire, Suicide et inversement, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 2010.

«Agathe a été élevé dans le culte de l'excellence, une excellence de classe - elle est poussée à intégrer une école prestigieuse pour faire partie des élites - et une excellence éthique: dans sa famille on vote pour plus de justice sociale, on «pense bien». Mais cette quête n'est pas seulement dure à vivre, elle est aussi truquée. Minée par un humour dévastateur, Agathe, pour échapper aux contradictions de son milieu, se réfugie dans la maladie, jusqu'à la tentative de suicide*. Mais à travers cette épreuve, elle prend conscience de sa singularité et surtout de son humanité, qui n'est d'aucun milieu. Ce roman se situe entre l'intime et le politique. Nos maladies parlent du monde dans lequel elles surgissent. Et elles sont parfois un chemin, sinon vers la sagesse du moins vers une réconciliation avec la vie.

L'auteure Jeanne Rivoire est née à Alger. Elle travaille à la médiathèque d'Ivry où elle est responsable de l'audiovisuel. Elle a collaboré aux revues Inculte et Lieu-dit. Suicide et inversement est son premier roman.» (Quatrième page de la couverture)

Extrait

«Je rêvai d'un âne dans une clairière. L'animal mangeait de l'herbe et respirait aisément. La thérapeute me demanda si parfois je me trouvais bête, et si parfois j'étais mécontente de moi parce que j'avais fait ou dit une ânerie. Tout le temps, lui répondis-je. Ah quand même, fit-elle. Je réfléchis tout haut: il respire bien cet âne de mon rêve, je vois sa cage thoracique qui monte et qui descend. Elle demanda et vous, vous respirez bien? Je répondis je ne sais pas, oui. Elle dit cet âne c'est peut-être la part de vous- même que vous avez tendance à trouver bête et à n'aimer pas à cause de cela, la part qui dit des âneries et contre laquelle vous êtes mécontente tout le temps, le rêve semble dire que ce moi-là - vous avez un milliard de moi, on est d'accord? - va bien, qu'il st en bonne santé, il y a la clairière donc la clarté, herbe pour se nourrir, la respiration aisée, l'âne c'est la femme que vous n'aimiez pas en vous-même et que vous avez essayé de détruire, sans y arriver, elle est peut-être un âne, crétine et tout, mais elle a été plus forte que la mort, elle est la plus forte, je crois, et elle est votre moi profond. Un âne mon moi profond ? Oui, qu'est-ce que vous en pensez? Je veux bien, être profondément bête, pourquoi pas. Alors vous rejoignez le club, dit la thérapeute, parce que vous savez que nous sommes plusieurs, à être profondément bêtes, moi par exemple qui vous parle je ne sais même pas pourquoi nous sommes en vie, pourquoi il y a la vie, ni pourquoi la nuit succède au jour, ni le jour à la nuit, il y a tout un tas de choses élémentaires comme ça qui m'échappent. Je dis l'âne en moi a le droit de vivre. [...] Elle répondit voilà, et à mon avis il a de nombreux autres droits en plus de celui-là puisque c'est votre moi profond. Je dis il est la source. La source, répéta-t-elle, ça me va complètement. C'est pour ça qu'on aime bien déconner, poursuivis-je, dire ou faire des conneries, des âneries, c'est parce que dans ces moments-là on agit depuis sa source, sa source de vie. Elle dit je vois que nous avons les mêmes joies simples quoique métaphysiques, vous et moi. Et elle me jeta dehors car nous avions dépassé de sept minutes le temps réglementaire.» (Jeanne Rivoire, Suicide et inversement, Paris, Éditions Jacqueline Chambon, 2010, p. 146-147)

Date de création:-1-11-30 | Date de modification:2012-04-10